2007 : Berkeley, frites et rhum coco

- 7h00 -

Les foulées des deux jeunes gens, têtes cachées sous des capuches étanches, sont régulières et affirmées malgré la pluie inhabituelle qui fend le ciel de la Californie ce matin-là. Cependant, rien ne semble pouvoir gêner leur course à travers le parc du quartier. Ni leurs chaussures ni le bas de leurs vêtements de sport qui sont imbibées de pluie. Ni leur différence de taille. Elle fait 3 foulées, il en fait 2 et ils maintiennent le même rythme à travers les allées courbes. À cette heure, le parc est quasiment vide. Seuls deux ou trois autres courageux arpentaient l’endroit, par obligation uniquement. Pour promener leurs chiens ou couper à travers le parc pour rejoindre leur lieu de travail.

Comme un seul homme, ils ralentissent et rejoignent la sortie du parc tout en reprenant leur souffle. Main dans la main, ils longent sans un mot les bâtiments crèmes et orangés des rues de Berkeley. L’immeuble devant lequel ils s’arrêtent fait 3 étages de haut et est typique des appartements californiens. Ou du moins de l’image qu’en avait Shaélynn, habituée aux bâtiments britanniques en briques rouges.

L’immeuble, construit dans les années 90, était orange et beige comme la majorité du quartier. Les appartements n’avaient pas d’espace extérieur ni de parties communes. À la place, un large balcon à l’avant du bâtiment permettait l’accès aux appartements des étages supérieurs. De loin, on aurait pu le confondre avec un môtel. C’était majoritairement des étudiants comme eux ou des salariés peu qualifiés qui logeaient ici. Les deux étudiants s'empressèrent de se mettre à l’abri de la pluie et de monter les escaliers. Un jeune homme se tenait là, cigarette dans une main, l’épaule opposée appuyée contre le mur et les yeux rivés sur la fenêtre qui donnait sur leur salon. Le son de la télé poussé au max leur parvenait à travers la vitre close.

- Oh non...le spectacle de rêve de bon matin ! Je ne m’en lasserai jamais, je crois… Balança en se moquant Noah, son petit ami.
- Chuuut… Tais-toi,lui répondit Shaé en réprimant un gloussement.

En les voyant arriver, Cameron se redressa, leva les deux mains en l’air, montra la fenêtre du doigt et s’empressa de se défendre.

- J’ai pas ouvert la fenêtre ! Zéro pixel de fumée à l’intérieur, promis.

Comme l’avait souligné Noah, le spectacle valait le détour. Comme tous les matins, Cameron portait un t-shirt avec le logo de l'université, un short de sport gris, des pantoufles et un peignoir à carreaux. Une cigarette à la bouche, ses cheveux blonds en fouillis, sa barbe naissante et ses yeux encore rougis par le sommeil complétait encore ce tableau matinal. Du haut de ses 19 ans, leur petit génie de l’informatique ressemblait à un ado déguisé en quinquagénaire découragé. Shaélynn passa devant lui en lui faisant signe qu’elle l’avait à l'œil et ouvrit la porte pour inspecter l’appartement.

Son meilleur ami avait tenu parole. Au vu de l’odeur de pancakes brûlés qui régnait sur place, il n’avait effectivement pas ouvert la fenêtre. Il aurait peut être fallu mais il avait fait le petit déjeuner, l’appartement ne sentait pas la cigarette et elle mourrait de faim. La britannique s’empressa de filer sous la douche tandis que les garçons discutaient. Elle laissa ensuite sa place à Noah et aida son colocataire à finir la préparation du petit déjeuner. Ils le prenaient toujours sur le comptoir de la cuisine puisqu’ils n’avaient pas de vraie table pour le moment.

L’appartement faisait à peine 52m². Il n’était pas grand mais pour 3 personnes, il était confortable. Les 2 chambres étaient franchement petites mais celle de Shaé et Noah avait un dressing intégré. De son côté, Cameron avait une penderie minuscule mais suffisante pour ce qu’il en faisait.

Comme à son habitude, le petit ami de Shaé se préparait un déjeuner de “vrai sportif”. Ou de “gros cliché” comme le disait Cameron. Muesli, café, fruits frais, oeuf dur. Parfois il picorait un peu de ce que préparaient les autres. Aujourd’hui des pancakes. Shaé avait une alimentation moins stricte mais pas plus rigoureuse que celle de l’informaticien. Perchée sur son tabouret, l’anglaise relisait rapidement un de ces cours tandis que les garçons regardaient les dessins animés sur leur petite télé.

Avalant sa dernière bouchée de pancake, elle se dirigea vers la cuisine pour déposer son assiette dans l’évier. Machinalement, elle alluma la bouilloire, relança la cafetière et sortit trois grands thermos du placard puis rejoignit les deux autres sur le canapé le temps de finir son café. Depuis quatre mois qu’ils vivaient là, une petite routine commençait à s’établir. L’épisode se termina, Shaé se leva, déposa sa tasse dans l’évier, aéra la cuisine pour éliminer toute trace d’odeur du petit déjeuner. Tandis qu’elle se lavait les dents d’une main, elle remettait le lit en ordre, tapant les oreillers, lissant le drap de l’autre. Elle se maquilla, sécha et lissa soigneusement ses cheveux bruns avant de revenir dans le salon. Noah venait de finir la vaisselle, Cameron remplissait les thermos avec les breuvages appropriés.

La jeune femme fila vers le canapé qu’elle remit en ordre, pliant au carré le vieux plaid qui trainait dessus, ramassant quelques miettes et papiers de gâteaux sur la table basse. Elle en profita pour jeter un œil dehors et vit qu’il ne pleuvait plus. Cameron ressortit de sa chambre après s’être changé, prêt à partir à l’heure pour une fois et les trois étudiants se dirigèrent vers la sortie. Noah se chargea de la fermeture de la porte pendant que les deux autres se précipitaient vers le parking pour avoir la place côté conducteur. La place qui contrôlait la musique. Elle s’était fait avoir la semaine d'avant par ruse et avait dû supporter 20min d’une playlist douteuse composée moitié d’OST d’animé moitié métal. Pas aujourd’hui !

Malheureusement, Cameron, contrairement à Shaé, savait où avait été garée la voiture la veille et il gagna de précieuses secondes, ce qui lui permit d’arracher la victoire. Un clic leur indiqua que les portes étaient déverrouillées et ils prirent place à l’intérieur. L’un avec un sourire triomphant et l’autre avec une moue résignée.

- On a oublié les thermos, je crois.

D’un seul geste, ils se tournèrent vers la vitre arrière pour regarder Noah qui arrivait, lui aussi sans les thermos. Shaé se laissa retomber dramatiquement sur son siège.

Gif:

- Fais chier ! Pour une fois qu’on était à l’heure.
- Tu veux que je remonte ?
- Non, c’est bon j’y vais moi.

La blondinette ressortit donc sous le regard surpris de l’américain.

- On a pas pris les thermos, tu me donnes les clés ?

L’appartement n’avait que 2 jeux de clés et ils n’avaient pas encore pris le temps d’en faire un troisième. Galant, Noah se porta volontaire à sa place pour aller chercher les clés et s’empressa de retourner chercher et de ramener, non sans peine, les boissons chaudes. Biosyn leur offrait peut-être une bourse confortable mais la vie était chère en Californie et ils ne roulaient pas non plus sur l’or. Et les distributeurs de l’université auraient eu tôt fait de dévorer leurs économies. De retour à la voiture, il commença à râler en voyant que Shaé et Cameron avaient changé de place.

- Non, allez, sérieux ! Je monte pas derrière, je vous préviens ! Surtout si c’est lui qui conduit.

La négociation dura quelques instants. Noah ne voulait pas monter derrière du fait de sa grande taille, Shaé voulait choisir la musique et Cameron était prêt à lâcher la place passager mais uniquement s’il avait le droit de conduire pour une fois. Finalement, Shaé accepta de s’asseoir à l’arrière à condition de choisir quand même la musique et Noah, pris à contre cœur place côté passager.

Musique:

La voiture était presque plus vieille qu’eux et laissait leur squelette apprécier chaque aspérités de la route. Surtout quand c’était l’informaticien qui conduisait. Il avait tendance à pousser l’accélérateur et à ne pas anticiper les virages. Shaé regretta un peu sur le moment mais au moins s’ils devaient mourir, elle mourrait avec Keep Holding on de Avril Lavigne dans les oreilles, que la jeune femme fredonnait à longueur de journée. Ils eurent le temps d’écouter quelques chansons de l’album avant d’arriver sur le campus.

Ils déposèrent Cameron à l’entrée du campus près du bâtiment dans lequel il étudiait et Shaé en profita pour récupérer la place conducteur. Noah et elle échangèrent un baiser avant que la jeune femme ne démarre pour les conduire vers les bâtiments réservés aux sciences. Vu la vitesse avec laquelle l’informaticien avait conduit, ils entrèrent finalement à l’heure dans l'amphithéâtre. Quelques têtes connues, notamment de chez Biosyn, leur firent signe et ils s’installèrent près de leurs amis pour papoter en attendant le début du cours.

Les cours sur le campus étaient finis pour la journée. Du moins pour Shaé et Noah. De son côté, Cameron ne terminait qu’à 13h. Les deux amoureux auraient pu se rendre directement dans les locaux de Biosyn et laisser leur colocataire rentrer avec d’autres. Mais aujourd’hui, leur premier cours de la journée chez Biosyn ne commençait pas avant 15h. Entre réviser là bas ou sur place cela ne changeait pas grand chose finalement. Ils attendirent donc leur ami en révisant à la bibliothèque du campus. Quand le temps le permettait, ils révisaient et mangeaient dehors sur la pelouse du campus. Mais le sol était encore trop détrempé des intempéries du matin pour suivre ce programme.

Au vu de leur emploi du temps du jour, le plus simple était de manger directement à la cantine dans les locaux de Biosyn. Ils avaient un quota mensuels de repas payés par la structure alors autant en profiter. Sur le chemin, ils envoyèrent quelques sms pour savoir qui mangeaient éventuellement sur place et les rejoindre. 2 de leurs amis répondirent à l’appel et ils les rejoignirent directement au réfectoire. Mandy et Ian faisaient partie des recrus arrivés en même temps qu’eux. Ils étudiaient aussi à Berkeley.

Mandy était d’ailleurs dans le même cursus que Cameron tandis que Ian étudiait dans un domaine différent et s’était spécialisé dans les recherches sur les énergies renouvelables. Shaé n’était pas très fan de lui, qu’elle trouvait un peu chiant. À l’inverse, elle adorait Mandy qui, contrairement à leur geek préféré, n'était pas en reste lorsqu’il s’agissait de sortir et s’amuser. Parfois, elle songeait qu’au lycée, elle n’aurait probablement jamais fréquenté ni l’un ni l’autre.

C’était d’ailleurs le cas. Si cela n’était pas toujours évident au premier coup d'œil, Shaelynn n’avait en fait que 17 ans, ce qui lui faisait deux ans d’écart avec Noah qui en aurait 19 ans en juillet et presque trois avec Cameron fêterait ses 20 ans en décembre.

Elle avait été dans le même lycée, puis dans la même classe que le jeune informaticien lorsqu’il avait redoublé sa 2ème année mais ils ne s’étaient jamais adressé la parole. En même temps… Shaélynn traînait avec le même groupe de filles à papa modèles depuis le jardin d’enfant. Et Cameron avait été envoyé en internat par ses parents, anglais et snobinards, après que son don certain pour le jardinage ait été exposé au grand jour. Quand sa mère avait découvert qu’il avait massacré une armoire familiale bicentenaire pour y cultiver une plantation de marijuana plus que respectable. À la demande de Arthur Lewis, il avait arrêté d’en consommer de manière quotidienne mais cela restait toujours une blague entre eux. De savoir qui de lui ou de ses deux colocataires paléobotanistes avaient le plus la main verte.

Après avoir partagé le même lycée, mais pas les mêmes cercles sociaux, pendant 2 ans sans lui adresser plus d’un regard, Cameron avait finalement pris une place immense dans sa vie. Même si cela ne paraissait pas toujours évident de l’extérieur puisque Shaé avait l’air de passer sa vie à le materner, le jeune informaticien lui apportait beaucoup. S’il était désorganisé, tête en l’air et un peu mal dans sa peau, il était aussi lucide, rassurant et franc. Il savait comment parler à son amie pour que l’information trouve un chemin à travers sa mauvaise foi.

Quant à Noah. Il ne venait pas d’une famille en mesure de payer un lycée privé à 15 000£ l’année pour ses chérubins. Il était américain, elle était anglaise. Il y a encore 2 ans en arrière, elle n’aurait jamais pensé mettre un pied aux Etats-Unis. Il faut dire aussi qu’il n’avait pas vraiment tapé dans l'œil de Shaé la première fois qu’elle l’avait vu. Ni par son physique ni par son look ni par son attitude. Rien n’allait. Il pouvait se moquer de Cameron et de ses vêtements larges, à ses débuts chez Biosyn, Noah n’avait rien à lui envier. Gêné par sa grande taille qui le rendait trop visible, ses cheveux trop longs pour cacher ses oreilles trop décollées qui le complexait, le jeune américain ne respirait pas la confiance en lui.

Mais comme le répétait souvent Arthur Lewis, Noah Williams était intelligent. Si Shaélynn était douée dans son domaine, son petit ami avait des facilités d'apprentissage et un sens de la logique à toutes épreuves. La jeune femme compensait en consacrant plus de temps aux révisions et à ses cours. Elle l’avait vu comme un adversaire au début avant qu’il ne lui montre qu’il pouvait au contraire être un allié de taille. La jeune blonde avait d’abord appris à l’apprécier pour ses capacités. En outre, il possédait quelques qualités humaines qui faisaient défaut à Shaé : la sympathie et la compassion par exemple. Il était naturellement plus sociable qu’elle et cela le favorisait grandement lorsqu’il s’agissait de bosser en groupe. Et c’était peu de le dire.

Depuis la mort de son père, la fille Moore avait du mal à s’ouvrir et à s'intéresser aux autres. Elle n’en avait pas conscience mais elle faisait souvent preuve d’un cruel manque d’empathie et avait souvent des remarques acerbes envers ceux qui ne constituaient pas son cercle proche. Noah et Cameron n’étaient évidemment pas - plus - concernés par cette attitude. Lorsque son comportement dépassait un peu les bornes, son petit ami était souvent là pour jouer les médiateurs et arrondir les angles avec les autres ou la calmer. Lui-même ne s’était jamais laissé avoir par cette image qu’elle se donnait.

Cameron avait toujours été moins tolérant de ses comportements de diva et avait même une expression pour cela. Il l’appelait son “mode connasse” et quand elle prenait ses grands airs, il l’ignorait, quittait la pièce ou refusait de lui répondre, tout simplement. Cela avait eu le don de la vexer et de la transformer en boule de nerf au début. Cependant et, à la surprise de Shaé, elle-même, le fait qu’il lui tienne tête et ne lui passe aucun de ses caprices l’avait adoucie et elle avait cessé d’être sur la défensive avec lui. Du respect mutuel était née la confiance, l’amitié et finalement un amour fraternel.

Alors oui, il y a encore quelques mois, Shaé ne leur aurait pas adressé plus qu’un regard. Mais 15 mois après leurs débuts chez Biosyn, elle n’aurait plus été capable de vivre sans eux. Prise d’un élan d’amour, elle embrassa Noah sur la tempe et lui adressa un sourire qu’il lui rendit immédiatement. Elle tourna alors le regard du côté de Cameron qui bidouillait sur son téléphone en mangeant.

- Hey Cameron ?
- Ouais ? Marmonna-t-il sans lever la tête.
- Je t’aime de ouf.
- Je sais. Lança-t-il dans une imitation parfaite de Han Solo, ce qui fit rire le groupe.

Cette fois, il releva la tête une demi-seconde pour lui adresser un sourire complice puis braqua de nouveau son regard sur son jeu.

- Moi aussi… Mais t’auras pas mes frites.

D’un air faussement autoritaire, il pointa du doigt l’assiette de Shaé sans la regarder et fourrant quelques frites au ketchup dans sa bouche, il ajouta la bouche pleine :

- Finis tes haricots verts.

Les jeunes recrues de Biosyn faisaient attention à leur alimentation pour conserver la forme nécessaire pour survivre aux entraînements. Cameron n’allait pas sur le terrain, il ne serait jamais agent infiltré, il n’était donc concerné ni par les entraînements ni par l’obligation de vivre sainement. Et il ne se privait pas de ce privilège. Un bout de frite s’échappa pour atterrir sur son pantalon et lorsqu’il releva la tête, Shaé poussa un cri dégoûté en voyant qu’il avait du ketchup plein la barbe. D’un geste vif, elle lui jeta une serviette en papier au visage.

- Oh, mais regarde ce que tu fais quand tu manges ! T’es vraiment un crado.

Il y eut un regard entendu entre Cameron et Noah avant qu’ils ne se mettent à réciter en cœur et d’une voix passionnée.

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- Et c’est à cet instant qu’il compris, que quand elle lui disait “t’es vraiment un crado” elle voulait en fait dire “je vous aime”.

Des gloussements s’élevèrent autour de la table en reconnaissant leur version de la fameuse réplique de Princess Bride. La britannique avait mis longtemps à reconnaître qu’elle tenait à eux, qu’elle tenait à Cameron, qu’elle était amoureuse de Noah et encore plus longtemps à leur dire. Son petit ami en revanche, lui avait dit assez tôt dans leur relation qu’il l’aimait. Sans obtenir aucune réponse dans un premier temps puis uniquement de subtiles formulations, sous les moqueries de Cameron. Même le jeune informaticien, le plus introverti des trois, avait été plus rapide qu’elle, à leur lancer des “je vous aime les gars”. Forcément, ils ne perdaient donc jamais une occasion de la tacler sur le sujet. Notamment à base de répliques de films tels que “Je sais”, “Idem”, le “comme vous voudrez” de Princess Bride évidemment et d’autres pour lesquels Shaé n’avait pas toujours les références ou qu’ils avaient simplement inventés comme “merci, j’en prends note”.

Oubliant toute dignité et souhaitant toucher l'ennemi au cœur, Shaélynn bondit et, à genoux sur sa chaise, elle se pencha par-dessus la table, prit appui sur son coude pour pouvoir s’étirer et eut le temps d’attrapper deux ou trois frites tandis que Cameron s’époumonait.

- Non, non, non, tu laisses mes frites en dehors de ça !

Cameron protégeait maintenant son assiette, les mains jointes par-dessus la nourriture, le regard faussement menaçant. Mais la britannique était lancée maintenant et elle fit le tour de la table tandis que son ami essayait de finir son repas en vitesse. Évidemment c’était peine perdue alors il se contenta d’en prendre une poignée particulièrement poisseuse de sauce et lorsqu’elle fut suffisamment proche de lui, le geek l'attrapa par la taille d’un bras et essaya de lui coller l’ensemble sur le visage de l’autre. La blonde se dégagea de justesse en se débattant énergiquement et s’enfuit en faisant le tour de la table.

- C’est le moment de choisir ton camp mon pote, menaça Cameron, sa poignée de frites toujours en main. Et l’un de nous deux est nul à WOW !

La jeune femme fit volte face en sentant le danger arriver. Elle était effectivement nulle à WOW, malgré ses efforts pour jouer avec les garçons. Noah était déjà dans son dos, mort de rire. Mortellement sérieuse, le visage de Shaélynn s’était durci et fixait son petit ami d’un air de mise en garde. Le visage de l’américain se ferma aussi et il bomba le torse dans un geste exagéré.

- Je te préviens Williams, si tu fais ça, je te jure que je te tuerai.
- T’as perdu à combien la dernière fois qu’on s’est battu ? C’était quoi : 1 contre 4 ? C’est ça, Moore ?

La négociation à peine entamée, elle était déjà terminée et Shaé s’élança contre Noah qui esquiva. Elle en profita pour lui mettre un coup dans le dos qui lui fit pousser un râle mécontent. La jeune femme essaya de lui faire un croche-patte mais il était solide sur ses appuis et c’est lui qui lui fit perdre l’équilibre. L’américain la rattrapa in extremis et en se penchant vers l’arrière, il la souleva par la taille et la retient de ses deux bras, tandis qu’elle battait des pieds en l’air pour empêcher Cameron d’approcher.

- Jettes lui dessus, Cameron !

Mandy et Ian regardaient la scène en riant tandis que leur camarade promettait en hurlant 1000 souffrances à ses colocataires, pas plus silencieux qu’elle.

Soudain, une voix surpassa le vacarme et fit taire le groupe.

- Moore, Montgommery, Williams. Vous voulez peut-être qu’on vous aide ?

La bouche ouverte tels trois poissons morts échoués sur le bord d’une plage, les trois recrues se calmèrent d’un coup. Shaé se figea et relâcha ses jambes tandis que Noah la reposait au sol en douceur. L'homme avait beau être plus petit que Noah, l’étudiant se ratatinait toujours en sa présence. Même Shaélynn qui lui tenait régulièrement tête, ne faisait plus la fière avec sa tache de ketchup sur la joue. Arthur Lewis, chemise blanche, pantalon de costume gris foncé et la veste assortie pliée avec soin sur son avant bras, venait de surgir devant eux tout en souplesse et élégance. Il était accompagné de trois autres hauts placés de Biosyn et revenait probablement de leur déjeuner dans la salle réservée à l’élite. Les quatres hommes avaient la mine figée. Seul Cameron affichait une attitude sereine et se contenta de mâcher ses frites maltraitées. Lewis désigna la tablée des cinq étudiants, englobant Mandy et Ian, d’un geste un brin théâtral sans quitter les trois colocataires du regard.

- Messieurs, je vous présente une partie de mes recrues. J’ai malgré moi tendance à les considérer comme… “prometteurs”.

Son ton était pincé. Leur comportement lui avait déplu. Il désigna un homme de taille moyenne, probablement d’origine hispanique et le présenta aux recrues.

- Eduardo Cueva ici présent est un éminemment biologiste argentin. Outre cette discipline, Eduardo élève à ses heures perdues une race de chien particulièrement turbulente. Il eut un sourire en coin, se tourna vers l’homme et tout en lui tapant sur l’épaule d’un air guindé, il ajouta : J’aurais bien besoin de vos conseils comme vous pouvez le voir. Messieurs, nous allons rejoindre la salle de réunion.

Les trois hommes rirent au trait d’humour de leur hôte et avancèrent vers la sortie. Le silence était mortel dans le grand réfectoire. Arthur Lewis était connu, reconnu et craint. L’apparente proximité et l'attitude paternel qu’il affichait avec ses étudiants participait à son aura mais ne le rendait pas moins impressionnant. Au contraire. Il soufflait souvent le chaud et le froid. En passant à côté de la table, leur mentor s’adressa à eux avant de quitter la pièce.

- Remettez la table en ordre, finissez de manger et faites moi le plaisir d’aller en cours. En vous comportant comme des humains et pas comme des babouins, si ce n’est pas trop vous demander.

Le ton était calme mais dur, sans appel. Le groupe s’exécuta en silence et ils reprirent leur place autour de la table. Même Ian et Mandy qui n’avaient rien à se reprocher avaient été un peu refroidis par l’intervention du chef.

- Pffiou… Bonjour l’ambiance de mort. Shaé, Noah, des frites ?

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Cette fois-ci, Cameron les proposait de bon cœur, espérant redonner un peu le moral à sa meilleure amie. Il savait que ses deux amis avaient tendance à être plus impactés que lui par les réflexions de Lewis. Shaé secoua la tête d’un air écoeuré et pencha la tête vers son assiette, d’un air résigné. Elle sentit la main de Noah qui lui caressa le dos pour la réconforter. Ils terminèrent leur repas en échangeant à peine quelques mots et s'empressèrent de se diriger, comme leur avait demandé Lewis, vers leurs salle de classe.

L’informaticien était en grande discussion avec d’autres recrues lorsque les portes du gymnase s'ouvrirent. Shaé aurait probablement pu comprendre le sens de la discussion si elle en avait eu l’envie. Mais le groupe qui sortait de la salle d’entraînement semblait avoir été vidé de son énergie. Noah et la jeune femme avaient particulièrement souffert. Les deux recrues avaient compris immédiatement que la séance ne serait pas de tout repos lorsqu’ils avaient croisé Lewis sortant de la salle. En les voyant, le professeur leur avait adressé un sourire puis leur avait souhaité un bon cours. Il avait fait un signe de la main à leur coach, un jeune français dans la trentaine nommé Baptiste et était parti en sifflotant soudainement guilleret.

- Ok, ça sent mauvais. je crois que l’après-midi va être long.

Et les deux amoureux n’avaient pas été déçus. Les foulées de Shaélynn n’étaient pas assez régulières, elle avait donc dû faire 2 tours de gymnase supplémentaires. Noah ne pliait pas assez les coudes en soulevant ses poids, 20 répétitions de plus. La britannique avait mis au tapis sa première adversaire trop rapidement, ainsi que la seconde et Baptiste lui avait donc fait enchaîner trois combats coup sur coup. Il était évident qu’il avait reçu l’ordre de la part de Lewis de ne rien leur laisser passer aujourd’hui. Défaits, en sueur, saoulés de cet acharnement, ils s'apprêtaient à quitter la salle quand leur coach les interpella. Ils venaient juste de passer la porte et retrouver Cameron qui les attendait. L’informaticien n’était jamais à l’heure mais curieusement il trouvait toujours le moyen de les rejoindre à temps à la sortie du gymnase. Shaé soupçonnait que la présence de Baptiste avec son débardeur devenu transparent et collant de sueur n’était pas étrangère à cette ponctualité ciblée.

- Moore, Williams ! Vous rangez la salle. Et sans râler, Moore, prévient-t-il en entendant la jeune femme protester entre ses dents serrées.

Shaélynn entendit quelques ricanements dans son dos. Et une réflexion murmurée parvient malgré tout à ses oreilles.

- Franchement, ça lui fait les pieds à cette connasse. Je me demande ce que Noah fout avec elle.

La remarque la fit sortir de ses gonds. Tête baissée, la britannique fila vers Luis, une recrue un peu plus âgé qu’eux, qui rigola en la voyant arriver. De par sa taille, il ne se faisait pas trop de soucis devant la petite carrure de Shaé. Noah s’interposa alors qu’elle arrivait à hauteur de son adversaire et dans son élan, elle s’écrasa contre son torse. Il l’entoura de ses bras et tout en lui déposant un baiser sur le sommet du crâne, l’obligea à reculer.

- Allez, on finit de ranger et on rentre à la maison, terminator. On s’est déjà assez battu pour aujourd’hui.

Si Noah affichait un calme à toute épreuve, Shaé le connaissait suffisamment pour savoir qu'intérieurement il bouillonnait à l’idée même de la savoir énerver. En voyant Baptiste revenir vers eux, tout le monde se calma et Luis fila en faisant le malin. Il savait qu’il était clairement l’un des meilleurs de leur groupe en combat et l’un des rares à avoir réussi à faire le poids contre Noah et ce dès le début des cours. Après plus d’un an, les rapports de force s’inversaient et le plus fort physiquement ne l’emportait plus systématiquement. Même Shaélynn du haut de son mètre 70 et de ses 56 kilos était parvenu à le mettre au tapis quelques fois. Mais Luis, en plus de sa force, restait également tactique et il ne lâchait rien. Alors que le petit ami de Shaé, de par sa taille, avait parfois tendance à manquer de rapidité et de souplesse dans ses déplacements.

- Bon, vous m’aidez ? Je vais pas me taper le boulot tout seul ! Je ne fais même pas partie du cours, je vous rappelle.

Pour gagner du temps, leur geek préféré avait décidé de les aider. Il prenait la situation à l’humour mais Shaé voyait qu’il était contrarié. Contrairement à Noah, il avait bien entendu ce qu’avait dit Luis. Ils savaient que l’américain aurait foncé dans le tas si cela avait été le cas. Il y a encore quelques mois, il avait encore tendance à se battre facilement. Mais les entraînements chez Biosyn et le sport en général, l’avait aidé à s’apaiser et à contrôler son surplus d’énergie. Lewis l'aidait aussi à dompter ce tempérament colérique.

Cameron était différent. Avec eux, il était ouvert, drôle et à l’aise et tout comme Shaé, il aimait bien tenir tête à Lewis. Mais ce n’était pas le cas avec les autres. En cas de conflit, il s’écrasait.

Enfin arrivés à leur voiture, l’ambiance était à la grimace et ils montèrent dans le véhicule en silence. Shaé prit le volant et personne ne chercha à disputer la place de personne. Noah prit le siège passager et Cameron fila sur la banquette arrière sans demander son reste. Seul le son du dernier album de Daughtry, que les garçons adoraient, résonnait dans l'habitacle.

Musique:

La jeune femme gara la voiture alors que s’éteignaient les dernières notes de Over You. Les trois amis regagnèrent leur appartement et Shaé s’empressa de retirer et ranger ses chaussures. Elle attrapa la couette qui traînait dans le panier du salon et s’enroula dedans avant de se laisser tomber à plat ventre dans le canapé.

- On sort ce soir ?

Shaélynn poussa un soupir agacé et enfouit sa tête dans un coussin dans un geste dramatique. Mais la question arracha au moins un rire à Noah.  

- Non, on sort pas, leur indiqua la voix étouffée de la jeune femme. v

Une minute passa avant qu’un objet lancé de l’autre bout de la pièce ne heurte sur sa tête.

- Joyeux Anniversaire !
- C’est dans 2 mois et demi…
- J’ai pris de l’avance.

Ne pouvant résister longtemps à l’appel d’un cadeau, la jolie blonde sortit un bras de son cocon en duvet et ramassa l’enveloppe. En l’ouvrant, elle trouva une fausse carte d’identité avec son visage mais au nom de Kate Montgomery, née en 1985. Alors qu’elle-même était née en 1990.

- Kate ? Montgommery ? Sérieusement ? T’as mis quoi sur la tienne ? Et la sienne ? Ajouta-t-elle en désignant Noah.  
Bah Cameron Montgomery - en posant le doigt sur son propre torse - Noah Williams - en désignant son ami, écroulé de rire sur le canapé.
- Pourquoi vous gardez vos noms vous ? Et du coup, toi et moi on est quoi ? Mariés ?
Bah non, on est jumeaux ! On est né le 9 novembre 1985 à Denver et du coup aujourd’hui on fête nos… Il prit quelques secondes pour calculer. 22 ans !
- Et si on garde nos noms et pas toi c’est parce que Cameron et Mandy, qui ont réalisé les cartes, estimaient que Shaélynn Moore sonnait trop comme une fausse identité.
- Excusez-moi les pauvres ! 1 c’est pas ma faute et 2 c’est ce qui arrive quand tes parents passent trop de temps à sniffer du fric et se croient tout permis. Et 3…
- C’est un vrai prénom en Irlande, ça existe ! Récitaient-ils en imitant la jeune femme.

Vexée, la jeune femme se recoucha sur le canapé et remit la couette sur sa tête. Leurs protestations lui parviennent à travers le tissu. Elle sentit alors qu’on la soulevait du canapé mais elle décida de ne pas bouger et ne sortit la tête que lorsqu’elle sentit qu’on la reposait. Noah venait de la déposer sur leur lit. Et Cameron était en train de fouiller dans son dressing.

- Ce soir, on sort j’ai dis !
- Non, touche à rien, tu vas mettre le bazar !  S'exclama-t-elle d'une voix plaintive.
- Aucun risque, tu tries par couleur, c’est facile de ranger.  Lança-t-il sur un ton assuré.Regardes, je sors ce truc  - il se tourna et leur montra une robe mi longue couleur pêche peu adaptée à la saison ou à la sortie qui s’annonçait. Ok, ça c’est moche ! On range. Hop, à sa place.  

L’informaticien n’avait aucune notion des couleurs et la robe n’était évidemment pas “à sa place” mais 3 places trop sur la gauche.

- Bon, t’as compris l’idée, tu t’habilles avec un truc voyant, tu mets tes paillettes sur les yeux, les talons trop hauts, le total look de pouff et on sort. Je vais même aller sans râler dans une de tes boîtes de snob que je déteste et si tu mets moins d’une heure à te préparer, je…  

Il bafouilla, réfléchissant visiblement à un argument capable de la convaincre.

- Tu mettras un t-shirt propre et tu feras semblant de danser et de t’amuser ?Proposa Noah, en veillant à la réaction de Shaélynn du coin de l'œil.
- ça ! Et même ! Si tu arrêtes de te comporter comme une vieille dame acariâtre, je mets même une chemise de connard. Comme celle de Noah. Tout plutôt que de supporter ta mauvaise humeur toute une soirée.  

Tandis que l’américain tiquait sur le “chemise de connard”, Shaélynn avait l’air plutôt dubitative mais néanmoins intéressée par la proposition.

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- T’as une chemise dans ton placard ?

Cameron quitta la pièce tel un comédien quittant les planches. Ils l’entendirent ouvrir sa commode puis son armoire puis de nouveau sa commode. Noah en avait profité pour passer un bras autour de la taille de sa petite amie et lui chuchoter à l’oreille.

- J’ai hâte de voir l’état de la chemise en question.

Il déposa un baiser sur sa joue tandis que Cameron revenait. Et ils ne furent pas déçus. La chemise en question semblait comporter plus de pli que de tissu mais elle avait le mérite d’exister. Shaé n’était cependant pas prête de laisser passer une telle occasion et elle bondit de son lit pour aller taper dans la main que lui tendait son ami.

- “Deal” ! On sort, j’arrête de faire la gueule, je me transforme en boule à facette et dans une heure, toi, moi, Noah et ta chemise… On sort !
- Ouais mais sa chemise repassée. Tu sortiras pas avec ça. Donne-moi ce torchon.

Noah quitta la pièce pour aller repasser la chemise et la blondinette s’empressa de regarder dans son dressing les nombreuses options qui s’offraient à elle.

- Tu préfères laquelle ?

Elle avait sorti quelques robes de son placard et se tourna vers Cameron qui s’était assis sur le lit.

- Ha non si tu commences comme ça, tu sera pas prête dans une heure.

Shaé le vit se relever d’un coup et se diriger vers sa chambre dont il claqua la porte. Les robes étaient accrochées à des cintres sur les portes du placard. Elle se mordilla nerveusement la lèvre. Il fallait effectivement se décider rapidement. Mais elle était encore devant quand Noah revient avec la chemise du compromis, repassée et mise sur cintre. Il jeta un oeil aux robes accrochées et lança un simple :

- Je préfère la violette. Non, non laisse, je vais ranger les autres, va te préparer.

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Elle lui fit un bisou sur la joue au passage et commença donc à se recoiffer et se maquiller. Dans le reflet du miroir, la britannique vit le jeune homme ranger les robes à la bonne place et déplacer celle que Cameron avait mal placée. Cela lui donna instantanément le sourire et elle lâcha ce qu’elle était en train de faire pour le rejoindre. Il venait de retirer son t-shirt et était dos à elle. Elle passa ses bras autour de ses hanches et colla sa joue contre son dos nu.

C’est pour ça que je sors avec toi et pas avec Cameron.

Il eut un petit éclat de rire et lui fit face.

- Pour mes omoplates musclées ou parce que je sais trier tes robes par couleur ?
- Les deux.
- Mais ça tient juste à “ça” du coup ?
- Non… murmura-t-elle en l’embrassant.

Le baiser s’éternisa un peu et se fit plus intense. Ils entendirent à peine Cameron sortir de sa chambre avec son bol de céréales, sale mais vide, en main et sursautèrent.

- Si vous continuez à vous rouler des pelles, porte ouverte en plus, on ne va vraiment aller nulle part.

Il fit quelques pas dans le couloir tout en continuant de râler :

- Fin, si ! Je vais déménager, je vous préviens !

Shaélynn leva les yeux au ciel et poussa Noah, encore torse nu, vers le couloir. Avant qu’il ait pu protester, elle lui lança un t-shirt propre et ferma la porte en criant :

- Tu mettras ta chemise de connard quand j’aurais fini de me préparer.

La jeune femme l’entendit rejoindre Cameron dans la cuisine en râlant gentiment.

Malgré sa promesse de faire semblant de s’amuser, Cameron avait du mal à se lâcher. Dès qu’il était en présence de plus de quatre humains, il semblait perdre toute notion sociale et se renfermait sur lui-même. Alors au milieu d’une “boîte de snob”, il n’y avait plus de Cameron. En temps normal, il ne venait jamais avec eux ou lors de rares occasions. En un an et demi, Shaélynn pouvait les compter sur les doigts d’une main. Il participait aux soirées uniquement lorsqu’elles avaient lieu dans leur appartement ou dans ceux de leurs cercles d’amis proches. Parfois, il allait à des soirées avec quelques autres geeks de la fac. Mais lorsque Shaé et Noah sortaient avec l’équipe de foot et de cheerleading ou tout simplement lorsqu’ils allaient en boîte, Cameron préférait rester à la maison. Ce n’était pas son univers.

Mais ce soir il avait promis. Et il devait commencer à le regretter.

Après une heure passée à essayer de le dérider et de le convaincre de danser avec elles, Shaélynn et Mandy arrivèrent avec deux plateaux de 6 shots. Cette dernière en attira un vers Brett, Ian, Noah et elle.

- Un pour nous.

L’étudiante criait pour couvrir le bruit. Elle poussa le second vers Shaé et Cameron.

- Et celui-là pour vous ! Joyeux Anniversaire les jumeaux !

Cameron se passa une main dans les cheveux. Un sourire timide mais sincère se dessina sur ses joues. Il se tortilla sur sa chaise et Shaé savait que ce n’était pas simplement de la gêne mais de la fierté concernant cette histoire de carte d'identité. Il tendit donc un shot rhum coco à sa colocataire avant d’en prendre un autre pour lui.

- Et ben à ma petite soeur et à moi-même ! À nos 22 ans !

Quelques heures et de nombreux shots plus tard, Cameron était déchaîné. Enfin pas plus que d’habitude. Mais il ne l’était jamais en public, pas de cette manière. Il dansait sans complexe, chantant faux et fort sur des musiques qu’il connaissait, puisque Shaé lui imposait en voiture, mais qu’il détestait en temps normal. De temps en temps, il lui perçait le tympan en lui lançant un “je m’amuse pas vraiment hein”. Généralement, elle répondait juste “Oui, oui, je sais” en se moquant de lui et se contentait de continuer à danser avec eux.

Musique:

Tout se déroulait sans encombre jusqu’à une heure du matin environ. Snap yo fingers résonnait dans l’établissement et les recrues de Biosyn en arrivaient à un point, où ils avaient plus de vodka que de sang dans les veines. Cameron, Brett et Noah faisaient du playback en improvisant de vagues mouvements de break dance et Shaélynn se faisait la réflexion que la journée n’était pas si terrible que cela.

Jusqu’à ce que Cameron s’arrête soudainement de danser et ne se dirige d’un air déterminé vers le bar. Lorsque Shaé aperçut Luis un peu plus loin, tranquillement installé au bar avec quelques amis, une bière à la main, il était trop tard. L’informaticien avait déjà pris de l’avance. Et le temps qu’elle attrape Noah par la manche et ne le rejoigne, le ton était déjà monté. Soudain le coup partit et elle vit son meilleur ami écraser son poing sur l’épaule de son adversaire. Non seulement il avait raté sa cible mais à voir sa grimace, il s’était fait mal.

Il avait beau ne faire qu’un mètre 67, soit une bonne tête de moins que Luis, il était prêt à se jeter sur lui si Noah ne l’avait pas retenu. Sentant la tension augmenter d’un cran, Shaélynn s’interposa.

- C’est bon Luis. Tu vois bien qu’il est torché, laisse tomber.

La jolie blonde vit regarder le videur s’approcher. Luis était peut être con et tête brûlée mais ils tenaient tous à leur place chez Biosyn. Et surtout aucun d’eux n'avait réellement 21 ans. Ils échangèrent un signe de tête entendu mais tendu. Jusqu’à ce que.

- Il a traité Shaé de connasse tout à l’heure.

Le blondinet torché venait de le beugler dans les oreilles de Noah. Suffisamment fort pour qu’on l’entende malgré la musique. Il y eut un brouhaha et elle se retrouva poussée vers l’arrière par son petit ami. Planquée derrière son mètre 90, elle n’entendait et ne voyait plus rien évidemment. Tout ce qu’elle voyait c’était Cameron, qui s’agrippait à son bras en le secouant et encourageait son pote à grands cris.

- Vas-y Noah, défonce-le !  

Shaé lui colla une tape derrière la tête.

- Mais arrête de gueuler toi ! Et lâches mon bras !  

De nouveau, elle s’interposa, essayant de raisonner Noah, une main fermement posée sur son torse.

- Allez, s’il te plait, on passe une bonne soirée. Tout le monde lâche l’affaire et on repart chacun de notre côté. On s’en fout franchement ! Si on devait casser la gueule à Cameron à chaque fois qu’il me traite de connasse ou qu’il te traite de connard, il pourrait même plus respirer tout seul.  

Sa mâchoire était serrée et la britannique savait qu’il luttait pour rester calme. Quand elle sentit sa main sur son coude, elle sut qu’elle avait gagné. Elle glissa sa main dans la sienne et se pencha pour attraper celle de Cameron et les éloigner. L’autre groupe amorça le même mouvement mais dans la direction opposée. Mais en passant à côté de l’informaticien pour se rasseoir au bar, Luis ne put retenir une dernière provocation.

- Tapette.  

Shaélynn vit le visage de Cameron s’assombrir d’un coup, il sembla se ratatiner sur lui-même comme s’il venait de décuver soudainement. La britannique vit rouge et alors que son adversaire venait de rejoindre son tabouret, elle l'agrippa par les cheveux et lui tapa le front contre le bar. Elle entendit une vague de “ouch” dans son dos. Elle entendit un impact et vit l’un des amis de Luis atterrir au sol. Il était venu secourir son pote mais Noah l’avait neutralisé avant qu’il n’atteigne Shaé. L’américain fit un signe à Brett tandis que lui-même tirait maintenant l’informaticien, qui hurlait qu’il voulait se battre, vers la sortie. Prête à en découdre, Shaélynn attendait que l’un de ses adversaires se décident de passer à l’attaque quand Brett la prit par le bras. Elle se débattit alors il la chargea sur son dos et l’entraîna vers la sortie. En se débattant, elle perdit un escarpin. Furax, elle fut malheureusement obligée de se débarrasser de l’autre pour pouvoir courir jusqu’à la voiture.

Tout ça pour se retrouver nez à nez avec des officiers de police qui procédaient à des contrôles d’alcoolémie à la sortie du parking. Et vu leur dégaine, les recrues de Biosyn ne respiraient pas la sobriété.

- Messieurs, mesdemoiselles. Vos papiers s’il vous plaît.

Les néons de la cellule de dégrisement lui piquaient les yeux. Shaélynn sentit des petites larmes envahirent ses yeux et elle commença à les essuyer avant de stopper son geste. Bingo, elle avait du maquillage partout sur les doigts et donc probablement autour des yeux. L’arrière de la tête appuyée sur le mur, Noah somnolait à moitié. Il avait des tâches de mascara sur l’épaule et une belle tâche grasse de rouge à lèvres sur le biceps et au vu de la teinte, la britannique comprit qu’elle avait dû s’assoupir sur lui à un moment. Immédiatement, elle chercha Cameron du regard et finit par le trouver dans un coin, accroupi devant les toilettes, la tête dans la cuvette. Elle voulut se lever mais à peine ses pieds nus posés sur le sol, elle eut un vertige et elle se laissa donc tomber sur le banc.

- Cameron ?
- Hum ? Demanda-t-il en relevant la tête.
- ça va ?
- J’ai pas vomis !

La blondinette sut pas trop quoi lui répondre. En l’état actuel des choses et vu les mélanges alcool / fumées qu’il avait tenté, elle ne savait pas si c’était bon signe ou pas. Elle souleva le poignet de Noah pour voir l’heure et réussit à déchiffrer le cadran malgré sa vision floue. 3h du matin. Déjà 2h qu’ils moississaient ici. Son petit ami la serra contre lui et elle laissa tomber sa tête contre son épaule.

Cameron venait finalement d’arriver à se lever avec l’aide de Mandy. Mandy qui de son côté  pleurait et ricanait en même temps depuis plus d’une heure. Ian et Brett dormaient à même le sol, résignés. Autant dire qu’ils n’en existaient pas un pour rattraper les autres.

- J’ai sommeil.
- Dors sur mon épaule.
- Non, mais je veux pas dormir. Elle avait presque pleurniché en le disant.
- Quoi ? murmura Noah en s'endormant déjà.

Une série de grands coups sur les barreaux réveilla tout le monde.

- Oh ! Je vais pas passer la nuit ici !  

Entre sa dégaine, pire que celle de d’habitude, ses yeux rouges, sa voix cassée par l’alcool, la cigarette et probablement la marijuana et sa position accrochée au barreaux, Cameron ressemblait à un chimpanzé. Avec une infection oculaire.

- Toi ! Je te parle. Approche toi !  

Shaé se mit à rire. Mais elle n’était pas la seule. Cameron était surexcité et tournait en rond dans la pièce en invectivant tous les policiers qui passaient.

- Cameron, assis-toi mon pote, tu vas te faire casser la tronche si tu continues.  

Comme s’il venait d’être frappé par une soudaine révélation, l’informaticien se précipita à la grille et se remit à s’époumoner.

- Vous avez entendu ! Mes potes à l’intérieur, ils vont vous casser en deux si vous ne nous laissez pas sortir. Surtout eux, les deux gros là.  

Il désignait tour à tour, Brett et Noah qui jouaient dans l’équipe de foot de l’Université. Mais les deux gros en question n’étaient plus très vigoureux.

- Arrêtes de gueuler, Cam’, tu me fous une de ces tronches là…  

Mais il n’arrêtait pas son manège et agacés, deux policiers firent irruption dans la cellule pour lui dire de se calmer. Il se débattit un peu mais ils l’immobilisèrent. Shaé sentit les muscles de Noah se contracter sous sa joue et même à deux grammes dans chaque bras, il était prêt à se lever pour défendre son meilleur ami. Après avoir demandé une nouvelle fois à leur troll domestique de se calmer, il finit par écouter ses deux nouveaux amis en uniforme et leva les mains en signe de capitulation. La main de Noah remonta sur sa tête pour la protéger de Cameron qui venait d’être poussé sur la banquette par le plus âgé des deux policiers.

Un des policiers s'approcha, pour les supplier de rester tranquilles et leur annonça que quelqu’un arrivait pour les chercher. Brett et Ian, désormais bien réveillés, semblaient désormais prêts à poursuivre la soirée et s’étaient remis à chanter et danser au milieu de la cellule.

Sans prêter attention aux nouveaux visiteurs, les autres encourageaient leurs amis et chantaient faux avec eux.

Les six étudiants riaient encore quand ils entendirent des échanges dans le couloir qui menait à leur cellule. Jusqu’au moment où la porte s’ouvrit et que Arthur Lewis s’arrêta au milieu de la pièce. Ses élèves s’arrêtèrent net. De rire, de chanter, de respirer et même de vivre. Sauf Shaélynn qui dormait sur l’épaule de Noah, la bouche semi entrouverte.

Contrairement à eux qui étaient aussi frais que du poisson laissé toute une journée en plein soleil, le professeur Lewis était habillé impeccablement. Il avait changé de costume mais il avait toujours la même classe qu’habituellement. Ses cheveux grisonnants parfaitement coiffés,rasé de frais et les mains croisés dans le dos, il examinait méticuleusement chacune de ses recrues avec attention et déception.

- Messieurs, mesdemoiselles, quelle charmante soirée.  

C’en fut trop pour Cameron, qui se cramponnait à Shaélynn. Elle le sentit sursauter, ce qui la réveilla et hurla en constatant qu’il avait vomis sur sa robe. En apercevant Arthur Lewis, elle oublia cependant la robe et se mit à pleurer. Puis à sangloter franchement quand elle se souvient de nouveau qu’elle était couverte de vomi.

- Si vous voulez bien vous en donner la peine.    

Il leur indiqua la sortie de la même manière qu’il guidait habituellement ses invités de marque dans les couloirs de Biosyn. Cordialement, il remercia les policiers et leur serra la main avec son flegme anglais habituel tandis que ses protégés sortaient tant bien que mal.

- Messieurs, pouvez-vous m’indiquer la direction des toilettes ? Pour qu’ils puissent se rafraîchir un peu.  

Après un rapide passage aux sanitaires d’où ils ressortirent tous, le visage humide, ils avaient tous l’air un peu plus frais. Sauf Shaélynn, qui avait désormais la robe complètement mouillée et l’air d’un panda. Un taxi attendait devant le poste. Lewis et le chauffeur installèrent Brett, Ian et Mandy à l’intérieur. Eux vivaient à l’opposé de chez les trois amis. Après que leur professeur ait grassement payé le chauffeur pour qu’ils acceptent de les déposer tous les 3 à bon port malgré leur état, il se tourna vers les autres.

Noah, qui avait une meilleure résistance à l’alcool, maintenait Cameron debout d’un bras et entourait Shaélynn, tremblante de froid de l’autre.

- Tu crois que tu peux emmener Cameron jusque dans la voiture ?  

Le jeune américain lui fit signe de tête pour confirmer et dégagea son bras pour soutenir son ami. Les yeux de Lewis glissèrent jusqu’aux pieds de Shaé. Elle n’était plus exactement pieds nus puisque Noah lui avait donné ses chaussettes mais elle n’avait pas de chaussures pour autant. Et il avait plu. Son mentor fit un pas vers elle et s’approcha pour la porter.

- C’est gentil mais je vais marcher, professeur Lewis.

Le menton fièrement relevé, la jeune Moore commença à descendre les escaliers d’un mouvement mal assuré et faillit glisser. Avant qu’elle ait pu protester, le vieux britannique la souleva dans ses bras et traversa le parking, avec une prestance presque surnaturelle pour un mec qu’on avait sorti du lit à 4h du matin. Noah avait laissé la portière ouverte et Shaélynn se glissa sur la banquette arrière avec Cameron. Les deux amis se tassèrent l’un contre l’autre et s’endormirent dès la sortie du parking. La blonde se réveilla lorsque la voiture s’arrêtait devant les escaliers de leur appartement.

L’informaticien était en piteux état et Lewis dû l’aider à sortir. ll se proposa aussi d’aider à le monter jusqu’à l’étage mais son élève lui assura qu’il pouvait se débrouiller. Quelque chose dans la posture de Noah et son attitude indiquait à Shaé que Lewis et lui avaient dû discuter tandis qu’elle dormait. Sûrement son air de chien battu.

- Merci d’être venu nous chercher, professeur. Désolé pour le dérangement.
- C’est rien, Williams. Prends le temps de réfléchir à ce que je t’ai dis. Allez vous couchez, on aura l’occasion d’en reparler.

Shaé et Noah pâlirent. Ce n’était pas juste une formule de politesse et ils le savaient très bien.

- Shaélynn… Reste avec moi deux minutes, tu veux bien ?

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Alors que la jeune femme se rapprochait des garçons pour aider Cameron à monter, elle se stoppa net. Elle échangea un regard avec son petit ami. Elle connaissait cette expression et elle laissa ses copains s’éloigner à contre-coeur. Shaélynn regretta de s’être endormie et de ne pas avoir pu assister à leurs échanges dans la voiture. Mais depuis presque un an qu’elle connaissait Noah, elle se doutait déjà de ce qui s’était passé.

Contrairement à elle, il n’avait pas été recruté directement par Lewis. Mais c’était tout de même lui qui avait validé son intégration au sein du programme. Et puis comme il l’avait fait pour Shaé, le professeur Lewis avait pris en main son déménagement, une place en chambre étudiante et son inscription à l’université. Bien sûr qu’il ne s’en occupait pas personnellement mais il donnait les ordres. Et pour le jeune homme et sa maman qui l’avait élevé seule et avec peu de moyen, cela avait été un soulagement. L’avenir était enfin assuré pour lui, il avait quelqu’un de plus sur qui compter. Sa copine se moquait parfois de lui en appelant Lewis “Papa” ou “Papounet”. Tout ce que prononçait Lewis faisait office de religion pour Noah et comme ça lui réussissait… De fait, il était plus calme, moins impulsif, plus sûr de lui, c’était évident. Shaélynn l’aimait profondément et adorait passer du temps avec lui. C’était vraiment l’homme parfait, là n’était pas le problème.

- Noah m’a raconté ce qui s’est passé.

Le problème c’est que son homme idéal avait tendance à devenir une énorme poucave quand c’était Arthur Lewis qui posait les questions. Shaé ne put retenir un pouffement de rire amer et leva les yeux au ciel. Elle savait qu’il ne pensait pas à mal, il ne pouvait juste pas s’en empêcher. Il confessait tous leurs péchés, essayant de prendre les torts pour lui, le professeur lui distillait quelques phrases sur le sens de sa vie, embrayant sur deux ou trois conseils de développement personnel puis lui tapait dans le dos en l’appelant “gamin”, “fiston” et Noah repartait reboosté pour la semaine et entouré d’une aura lumineuse d’immunité. Hop c’est bon, elle avait envie de vomir. D’un air dédaigneux, elle secoua la tête l’air de dire “ouais et alors ?”

- Il m’a dit que c’était toi qui avait frappé Luis.
- Ce n'est pas moi qui ait commencé. C’est Cameron qui l’a frappé.

Merde. Voilà que c’était elle qui balançait son ami maintenant.

- Je sais. Je sais aussi que tu as déjà failli le frapper ce matin et que Noah t’as retenu. Mais ce n’est pas vraiment ce qui m'intéresse Shaélynn.

Arthur Lewis laissa quelques instants de silence, le temps que son élève se creuse un peu la tête et redescende un peu en tension. Seconde après seconde, son attitude confiante se fissurait doucement.

- Noah a beaucoup changé ces derniers mois, tu le sais. Je sais que tu n’es pas étrangère à ce changement et c’est une bonne chose pour lui. La fille Moore venait de croiser les bras et relevait de nouveau le menton, prête à la défense. Je ne t’apprends rien non plus en te disant que Cameron et lui n’ont pas eu beaucoup de personnes sur qui compter ou à qui faire confiance dans leur vie. C’est un vrai changement pour eux. Un changement positif et ils seront une vraie valeur ajoutée à l’équipe, le moment venu.

Cette fois-ci, Shaélynn n’avait plus une seule once de fierté en elle. Elle voyait enfin où Lewis voulait en venir.

- Mais toi, tu t’obstines. Tu continues à te comporter comme si les autres étaient l'ennemi. Nous ne sommes pas contre l’esprit de compétition, loin de là. Avec Noah, cela vous motive au quotidien, ensemble ou l’un contre l’autre, c’est indéniable. Mais Luis n’est pas un ennemi, Shaélynn. Tu peux penser ce que tu veux de lui, personnellement, mais c’est un collègue sur lequel tu devra compter dans le futur et qui doit pouvoir compter sur toi. Je me ferai un devoir de lui rappeler aussi, bien sûr, mais… Ce qui s’est passé ce soir, cela s’arrête aujourd’hui.

Il marqua une nouvelle pause.

- C’était peut-être l’idée de Cameron de sortir mais soyons honnête : il ne l’aurait pas fait si ce n’était pas pour toi. En fait, il ferait n’importe quoi pour vous. Je ne doute pas une seconde qu’il pense vraiment ce qu’il dit. Mais il ne me tiendrait pas tête de cette manière si cela ne te plaisait pas autant. Vous vous façonnez les uns et les autres et ce n’est malheureusement pas toujours pour le meilleur. Les garçons….

Cette fois-ci, elle le coupa et compléta sa phrase comme si elle récitait un texte appris par cœur.

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- Les garçons ont beaucoup changé et moi pas assez. J’ai compris l’idée, le message est passé. Je suis une mauvaise influence pour les deux, j’encourage Cameron à embrasser ses envies de rébellion, je fais obstacle à Saint Noah dans sa quête pour devenir le Grand maître de la Zénitude, blablabla, j’ai compris.
- Ce n’est pas ce que j’ai dis. Cependant si c’est ce que tu en as compris, il y a sûrement une raison.

La jeune femme ouvrit la bouche pour répliquer mais la ferma aussitôt. Putain. Shaélynn pouvait critiquer Noah mais elle ne valait pas mieux. Elle n’avait peut-être pas les idées claires mais elle ne faisait plus la fière. Arthur avait le don de taper là où cela faisait mal.

- Je peux aller me coucher maintenant ?

L’étudiante vit la commissure de ses lèvres se relever. Il fit un signe de tête pour confirmer et Shaélynn s’éloigna.

- Qui vous a vendu les cartes ?
- Cameron et Mandy les ont fabriqués.  

Sans même réfléchir, la réponse est sortie toute seule.

Fais chier.

Elle l’entendit rire franchement dans son dos tandis qu’il regagnait sa voiture.

- 12h30 du matin -

Shaélynn se réveilla avec la bouche pâteuse et l’impression qu’on lui avait défoncé la tête avec un marteau piqueur. La jeune femme avait eu beau avoir pris une douche rapide et s’être lavé les dents dans un ultime acte de bravoure avant d’aller se coucher, elle se sentait poisseuse. Et son haleine exhalait malgré tout le cocktail à la noix de coco. Elle ouvrit courageusement un œil un peu vitreux. Il était donc urgent de prendre une douche mais elle entendait déjà l’eau couler. Elle ouvrit donc le deuxième œil et à travers la lumière qui s’engouffrait par les trous des volets, elle vit qu’elle était seule. Elle tendit l’oreille pour écouter si du bruit provenait du reste de l’appartement. Aucun ronflement n’arrivait de la chambre de Cameron.

Merde.

C’était 50/50. Soit c’était Noah qui occupait la salle de bains et elle pourrait s’incruster. Soit c’était Cameron et elle se serait levée pour rien. Pour savoir, il aurait fallu se lever et c’était trop pour elle.

Abandonnant toute lutte, Shaélynn se rendormit.

A son second réveil, tout était déjà plus clair et elle se sentait déjà plus alerte. Elle repoussa donc la couette et se leva. Le son de la télé lui provenait du salon et elle s’y rendit donc directement. Cameron déjeunait sur le canapé, en jogging et sweat, ce qui était un indicateur fiable qu’il faisait frais dans l’appartement, ses pieds nus sur la table basse. Il avait visiblement pris une douche car ses cheveux semblaient presque coiffés. Il tourna la tête et, apercevant la dégaine de sa meilleure amie, il affiche un sourire ravi. L’occasion de se venger des remarques régulières de la jeune femme sur son apparence lui était offerte sur un plateau. Il eut un sursaut exagéré et d’un air transcendé il se moqua :

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- Whaou, quelle beauté… Bouleversante ! Tellement bouleversante, qu’à partir d’aujourd’hui j'aime les femmes.

La jeune femme leva les yeux au ciel et se dirigea vers la cuisine pour prendre un verre d’eau. Elle l’entendit poser son bol de céréales sur la table basse et la rejoindre dans la cuisine.

- Si, si vraiment. Fais un bisou !

Un pouffement de rire lui échappa et elle faillit s’étouffer en avalant l’eau de travers. Tandis qu’elle toussait et cherchait à l’éviter, il parvient cependant à s’approcher et à lui coller un baiser piquant sur la joue, avant de fuir à l’autre bout de la pièce pour éviter les représailles.

- Si j’étais toi, je prendrais une douche, tu ressembles et tu sens le poney ma vieille.

Quelques instants plus tard, à la lumière de la salle de bains, elle put constater qu’il n’avait pas menti. Ses cheveux étaient ondulés à cause de la transpiration, elle avait les yeux cernés, le teint légèrement verdi par ses excès de la veille et elle sentait effectivement le poney. Ha et elle avait mis son  débardeur à l’envers.

Elle avait repris forme humaine lorsqu’elle revint dans le salon après une douche, un lavage de cheveux et un soin de la peau plus tard. Elle avait rapidement séché ses cheveux mais le bruit de l’appareil lui donnait mal à la tête et ils étaient donc encore légèrement humides. Mais tant pis. Il faisait effectivement frais dans l’appartement et elle s’empressa donc d’enfiler elle aussi un jogging en coton, un débardeur et un gros gilet en laine.

Elle eut la bonne surprise de découvrir qu’une tasse de café chaude et un bol vide l’attendait déjà sur la table basse. Son geek préféré tapota le canapé à côté de lui et lui laissa même un peu de place sous la vieille couette fleurie - gentiment donnée par la maman de Noah - et qui portait officiellement le nom de “couette du canapé”.

- Tu devrais boire plus souvent, ça te réussit vraiment. Bonjour au fait. Et merci pour le café.

La bouche pleine, il fit juste un petit son pour acquiescer et ils échangèrent un sourire avant de se lancer dans le visionnage d’une rediffusion de série policière. Quand la porte de l'appartement s’ouvrit et que Noah revint, ils n’avaient pas bougé d’un pouce. En revanche, le paquet de céréales avait pris une gifle.

- Quand je vous vois comme ça, avec vos joggings assortis, je me dis que Lewis n'a peut-être pas tort quand il dit qu’on se déteint dessus.
- Ha je vois qu’on a eu le droit au même discours hier… marmonna Shaélynn d'un air dépité.
- Lewuiche, on l’emmerde… articula Cameron avec la bouche pleine de céréales.
- Foutu pour foutu, je mets des frites au four, je prends une douche et je vous rejoins.

Avant, il fit un détour par le canapé pour embrasser Shaé.

- J’ai pas voulu te réveiller mais t’aurais dû venir courir avec moi, ça m’a fait un bien fou.  
- T’es un grand malade…   Son ton était presque écoeuré et plein de jugement.
- Pour une fois, je suis d’accord, personne ne va courir un lendemain de cuite comme ça. Mais je t’aime quand même.  
- Oublies pas les frites en passant.  

25 minutes plus tard, ils étaient maintenant trois loques en joggings sur le canapé, un saladier de frites et un assortiment de sauces devant eux.

- On regarde quoi ?  
- Il est quelle heure ?  
- Midi trente.  
- Du matin.  
- Donc techniquement…   Il essayait de faire le calcul dans sa tête.
- On est samedi, on se lève pas demain.  
- Si on le lance le premier maintenant et qu’on fait 10min de pause entre chaque… Faut prévoir le temps pour faire à manger.  
- On s’en fout, on a encore des trucs au congel. Il doit rester deux pizzas et des légumes.  
- Minuit et demi max, on a fini. On a largement le temps, allez je le lance.  
- Attends ! Laisses moi 2 minutes, que je prenne de quoi refaire mon vernis, s’il te plait.    
- Je lance le chrono.  

Elle était encore en train de choisir la teinte du vernis quand elle entendit une alarme résonner à travers la cloison qui donnait sur le salon. Le con, il l’avait vraiment fait. Shaélynn donna une tape de protestation sur le mur et attrapa en urgence la boîte de vernis au complet et s’élança dans le salon où retentissait déjà la voix de Galadriel.

- J’avais dit 2 minutes.  

Il y eut un petit remue ménage le temps que tout le monde trouve de la place, un bout de couette, installe ses produits de beauté sur la table. Mais au moment où Sauron était vaincu par Isildur pour la 4ème fois cette année, le calme était revenu dans le salon.

Depuis qu’elle avait démarré chez Biosyn, les journées n’étaient pas toujours calmes ni faciles à vivre. Surtout depuis qu’elle avait commencé à vivre avec ces deux là. Mais elle se sentait toujours à sa place quand ils étaient là. Ce qui n’avait pas toujours été le cas. Elle ne le réalisait pas toujours mais elle avait l’impression d’avoir trouvé un équilibre, une vie qui lui convenait. Les paroles de Arthur Lewis tournait dans un petit coin de sa tête mais, calée sur le canapé entre ses deux personnes préférées, elle se dit qu’elle s’en foutait. Cameron avait raison.

Elle emmerdait Arthur Lewis et ses leçons de morale.