Il était monté dans la voiture côté passager et il les avait suivis du regard, les yeux dans le rétroviseur. Il les avait regardés s’engouffrer peu à peu dans la grotte aux fossiles jusqu’à ce qu’il soit finalement trop loin pour vraiment les discerner. Dès le premier virage, la grotte avait disparu derrière un rideau de végétation, il n’y avait plus moyen de faire machine arrière.
Marcos s’était voulu rassurant mais au fond de lui l’américain savait que ça n’allait pas être aussi simple. Il savait que d’une manière ou d’une autre le français essayait lui-même de se rassurer en prononçant ces mots.
Ils étaient désormais sur le chemin de son bungalow. Le ronronnement de la voiture résonnait dans sa poitrine et dans ses oreilles. Cole avait effectivement demandé à Angel d’y repasser car il était préférable qu’il se change, juste au cas où. Ses vêtements étaient dans un état pitoyable après son escapade et puis il y avait de toute façon plus de chances pour qu’on le prenne au sérieux en costume que dans cet accoutrement. Dans l’immédiat, il en aurait probablement plus besoin.
Cole avait ensuite profité du trajet pour expliquer plus en détails à Angel cette histoire de compteur rouge et ce que cela pouvait impliquer. Après tout, il y a déjà deux ans de cela, Shivak les avait mis en garde sur le possible retour de la Chimère et il l’avait fait encore lors de leur rencontre en Angleterre, convaincu de ce qui était en train de se préparer dans l’ombre. L’ancien guide avait envie de le croire, il en était presque persuadé.
En vérité, Cole se sentait déjà à bout, il était presque aux bords de l’explosion et, visiblement, il n’était pas le seul. Le jeune homme n’avait jamais vu Angel dans cet état, il ne l'avait jamais vu aussi stressée, remontée et inquiète. Ça ne lui ressemblait pas et de fait, ça l'inquiétait encore davantage. C’était comme voir un monument, un immeuble entier s’écrouler sans pouvoir rien faire.
Après un court trajet, ils étaient enfin arrivés. Angel l’attendait dans la voiture et Cole était retourné seul à l’intérieur en lui assurant qu’il ferait au plus vite. À peine avait-il passé le seuil de la porte que l’atmosphère du lieu l'engloutit d’un seul coup. L’endroit lui semblait terriblement vide et l’air était encore lourd de leurs derniers échanges. Cole n’était pas prêt pour tout ça, il ne l’avait jamais été et pourtant tout allait se jouer aujourd’hui. Seul dans le bungalow, il observait les tasses vides qui trônaient encore sur la table, une boule au ventre qui ne cessait de grandir. Il n’y avait plus de choix, c’était aujourd’hui et maintenant. Il n’y avait pas de temps à perdre. Il prit une grande inspiration et monta dans la chambre où il se changea rapidement, pour la deuxième fois de la journée. Cela ne dura pas très longtemps et il était déjà sur le départ mais en redescendant, le doute le tétanisait brusquement au milieu de la pièce.
Et si tout ça se terminait mal ? Et si le dénouement de cette histoire n’était pas bon ?
Il se sentait soudain terriblement seul et pourtant il avait encore cette horrible sensation d’être observé. Les conséquences et les risques potentiels de toute cette opération sur les épaules, il avait l’impression que le monde entier le jugeait. Le poids manquait de le faire flancher. Il avait l’impression qu’
“il” était encore là et que de là-haut,
“il” le regardait. Il sentait sa présence, il avait sa motivation, sa force et son courage derrière lui qui le poussait à continuer.
Pourtant, il était seul.
Est-ce que tout ça allait vraiment recommencer ? Est-ce qu’ils allaient encore vivre un désastre ? Qui était-il pour se mettre en travers du chemin de la Chimère ?
Il n’était personne.
Pourtant, Cole était animé d’une volonté qui ne semblait plus la sienne. Il refusait de croire catégoriquement que le dénouement serait le même et une flamme dans le creux de sa poitrine avait envie de se battre. Son corps était déjà fatigué de cette virée dans la jungle et par toutes les épreuves qu’il avait vécu. C’était comme s’il n’avait jamais vraiment dormi et que toute la fatigue accumulée lui tombait soudainement sur le dos. Il tremblait à cause de la peur, de l’excitation et du manque.
Dans le meuble derrière lui trônait encore la Midleton que Josh lui avait offerte avant son départ sur Isla Nova. Après les événements tragiques, Cole avait sombré mais jamais il n’avait touché à cette bouteille. Il l’avait conservée comme une relique précieuse, elle était pour lui une mémoire qu’il ne fallait pas bafouer. Il avait même préféré la racheter à l’identique pour l’anniversaire de sa mort plutôt que de toucher à celle-ci.
Il était sur le point de partir lorsqu’il fit volte-face et s’y dirigeait avec fermeté. Il ouvra la vitrine, attrapa finalement la bouteille qu’il ouvrit sans hésiter et prit une grande gorgée. Il la reposait lourdement à sa place en essuyant ses lèvres et sentait tout à coup son corps se relâcher, comme subitement soulager d’un mal qui le clouait alors jusqu’à maintenant sur place.
Soudain, une voix derrière lui le fit sursauter.
« Vraiment Cole ? Je te manque à ce point là ? », lui dit la voix d’un air narquois.
Cole se retournait lentement car cette voix, il la connaissait bien mais elle lui semblait aujourd’hui différente. Elle était apaisée et calme, elle n’était plus agressive comme elle le fut longtemps. Il se tenait là, devant lui et sa petite tête blonde lui faisait un grand sourire.
« Alors ? Tu m’dis pas bonjour ? », sourit-il en montrant ses dents.
Le jeune homme savait qu’il n’était pas vraiment là, ce n’était pas possible mais il ne put s’en empêcher. Les émotions débordaient, il ne pouvait pas se contenir. À cet instant,
“il” était comme une bouée de sauvetage à laquelle il s’accrochait coûte que coûte. Cole se jeta sur lui en retenant un sanglot et le prit dans ses bras. Il le serrait contre lui et ce dernier lui rendit immédiatement son étreinte.
« Oh… Oh ! Toi aussi tu m’as manqué vieux. C’est ton talky que j’ai senti contre moi ou tu es juste très content de me voir ? », dit-il avec son ricanement bien à lui.
Cole lâchait finalement ses bras et fit un pas en arrière. Il lui souriait en frottant une larme qui se trouvait déjà sur sa joue puis ils se mirent à rire aux éclats ensemble, comme ils ne l’avaient pas fait depuis longtemps, comme ils l’avaient toujours fait habituellement. C’était un rire de soulagement, parsemé d’un vibrato et de sanglots, un rire sincère.
« Co… Comment…? Qu’est-ce… Qu’est-ce que tu fais là …? », bafouillait-il tout d’abord.
« Enfin… », fit-il pour se corriger.
Il se ravisait et baissait légèrement la tête. Il connaissait la vérité mais l’espace d’une minute, il y avait cru. Il la relevait lorsque ce dernier l'interpella de nouveau.
« Il y a pas de mal. T’en fais pas Cole. T'inquiète. », Josh lui souriait toujours puis reprit d’un ton sérieux.
« Cole, je regrette ce qu’il s’est passé. Ok ? » Cole acquiesça timidement. Il n’avait jamais ressenti le besoin d’une telle déclaration mais sans vraiment comprendre pourquoi, elle lui faisait du bien. Il s’en était passé tellement de choses qu’elle restait vague de toute façon mais sa voix seule lui faisait du bien.
« T’en as bavé, je le vois bien et tout ça - il fit un arc de cercle de la main -
c’est de ma faute, ok ? » Il acquiesça à nouveau même si, encore une fois, il n’avait jamais envisagé que cela soit le cas. Il ne l’avait jamais blâmé pour tout ça et il ne le ferait jamais car les vrais fautifs, c’était la Chimère.
« Tu n’y es pour rien, ne prends pas tout sur tes épaules. Et tu n’es pas seul. Angel t’attends dehors, dans la voiture. » Sa voix était apaisante et pleine d’assurance. Josh avait ce don, il était un orateur exceptionnel qui savait toujours quoi vous dire, quels mots utiliser. Il avait raison, comme souvent, Angel était là, elle l’attendait dans la voiture. Elle lui avait fait confiance, il lui avait menti et il l’avait manipulé. Malgré ça, elle était encore là et elle faisait ce qui était juste, pour la bonne cause. Cole aurait des comptes à régler avec elle, il le savait et le moment venu, il le ferait. Il assumerait les conséquences de ses choix et de ses actes.
« Shaé et Marcos sont là, eux aussi, ils vont faire tout leur possible pour mener à bien leur mission. Et Priscilla t’attends aussi, elle tient terriblement à toi. Ô mon vieux, si tu savais combien elle tient à toi. »Cole eut un petit rictus sans pouvoir le retenir. Cette sensation d’aimer et d’être aimé provoquait chez lui ce sourire incontrôlé. Il tenait énormément à elle, lui aussi. Tout ce qu’elle avait déjà fait, tout ce qu’elle avait déjà supporté et entrepris. Il ne pouvait certainement pas mettre en doute ses sentiments, ni les siens d’ailleurs.
Pourtant, il l’avait fait pendant si longtemps. Dès le début, dès qu’il l’avait rencontré, il avait tout de suite ressenti quelque chose pour elle. Il s’était juste interdit de le faire et il avait en quelque sorte éteint cette part de lui. Indirectement, il estimait ne pas le mériter, tout comme il refusait de croire que l’on puisse ressentir ça pour lui.
Dès le début, il tenait à elle et il ne pouvait s’empêcher de la décevoir pour la repousser et la faire fuir, pour qu’elle ne s’approche pas. Il l’avait fait à la fois volontairement et involontairement. Il avait beau eu combattre ses sentiments puis après les accepter, il n’était pas arrivé à mettre des mots dessus et ça lui avait pris beaucoup plus de temps, trop de temps. Il aimait Priscilla Kensington et il lui avait fallu près d’une année entière pour le comprendre vraiment, pour l’assimiler et l’accepter, puis finalement pour lui avouer.
« Et tu es le mec le plus social que je connaisse, tu serais capable de te faire aimer par un caillou. » Les deux souriaient en soufflant du nez devant le ridicule de la phrase. Josh avait posé sa main sur son épaule pour le conforter et continuait ensuite.
« Je sais que tu pourras gérer les troupes, je sais que tu pourras rétablir l’ordre en cas de soucis. Il suffit seulement que tu crois en toi et n’oublies pas que, si toi tu ne le fais pas, tout un tas de gens le feront à ta place. Des gens comptent sur toi Cole, ne les abandonne pas. »Cole regardait dans les yeux de son ami, prenant conscience de ce qu’il venait de lui dire. Les mots perçaient son crâne et semblaient s’ancrer dans son cerveau. Il voulait les croire et, au fond de lui, il y croyait. Après la visite du QG des guides et ce drôle d’épisode qu’il avait vécu, il avait déjà pris sa décision.
Cette fois, il n’échouerait pas.
« Alors vas-y. Fonces. Ne perds pas un seul instant de plus ! »La main sur l’épaule le repoussait finalement pour lui donner l’élan dont il avait besoin et la voix murmurait une dernière phrase.
« Je crois en toi Cole Hudson. »Et d'une étrange façon, comme il ne l’avait jamais vu avant, devant ses yeux grands ouverts, Josh disparaissait soudainement comme emporté par un courant d’air. Cole restait une minute de plus, cloué sur place. Il n’avait jamais eu ce genre d'interactions avec lui, avec une hallucination et il ne l’avait jamais vu disparaître comme ça.
Josh lui manquait terriblement et cet échange, il l’avait imaginé, il l’avait conçu tellement de fois dans son esprit. Mais il ne s’était pas du tout passé comme il l’avait rêvé. Non. Il s’était passé mille fois mieux.
Cole déglutit. Bien sûr, il avait toujours peur mais pas que. Il était parcouru d’une sensation étrange et il lui fallut bien quelques instants supplémentaires pour comprendre ce qu’il venait de se passer. Il avait l’impression d’être plus léger, il avait l’impression d’avoir gagner quelques centimètres de plus. Il se sentait plus grand, il se sentait presque libre. Il avait l’impression de respirer enfin, c’était comme si ses poumons étaient restés bloqués depuis très longtemps et qu’ils utilisaient enfin pleinement toutes leurs capacités. Il respirait, il se sentait bien, il se sentait léger. C’était comme si ses épaules s’étaient libérées d’une charge importante, c’était comme si on lui avait enlevé la moitié de son poids d’un coup, d’un seul.
Il avait envie de craquer, il avait envie d’hurler, il avait envie de pleurer, il avait envie de rire, il avait envie de courir et de crier à en perdre la voix.
Il avait envie de se battre.
Il avait envie de retrouver Priscilla, de lui dire combien il l’aime, combien il tient à elle. Il voulait la voir, il voulait la sentir et l’entendre, il voulait l’embrasser et la prendre dans ses bras.
Il voulait vivre, il avait envie de vivre.
Déterminé, Cole fermait ses yeux avant de poser sa main sur la poignée. Il prit une grande inspiration et ouvrit enfin la porte. Il la claquait derrière lui et disparaissait, laissant à nouveau son bungalow dans un silence devenu apaisant.
Cette fois, il était prêt à y aller.