Entre le Marteau et l’Enclume. - L'Alliage inoxydable (Dernière partie)

Des questions, la roumaine en avait des tonnes. Et toutes restaient sans réponses aujourd'hui. Quoi de plus frustrant pour un scientifique de n'avoir aucune idée, aucune solution à apporter quant aux problèmes qu'il rencontre ? C'était sûrement ce qu'avait ressenti Elina quand elle apprit l'enterrement de sa meilleure et unique amie : de la frustration. Pourquoi elle ? Non, la jeune femme savait pourquoi. Emma avait potentiellement fouillé trop profondément dans les affaires de la Chimère et en avait subi les conséquences. Alors comment ? C'était peut-être une question qu'il ne fallait mieux pas se poser. Avait-elle réellement envie de savoir quelles ont été les derniers instants d'une personne traquée par une société secrète et barbare ? Une autre question à laquelle Elina ne parvenait pas à répondre, partagée entre le besoin de savoir et la peur de connaître la vérité.

Mais quand un scientifique se sent incapable de progresser dans ses recherches, il arrive qu'un seul élément suffise à débloquer une série d’événement qui l'aide à avoir les réponses dont il a besoin. Il s'agit parfois d'un accident, d'une erreur de manipulation ou d'une simple coïncidence. Être au bon endroit, au bon moment, est souvent un facteur de réussite dans ce monde. Les opportunités ne manquent pas, il faut simplement se les créer. Et ce n'est certainement pas en restant enfermé dans la monotonie que l'on se crée ces opportunités. Il faut savoir sortir de sa zone de confort, affronter les dangers de ce monde, se confronter à ses peurs les plus intimes, pour pouvoir progresser.

Quelles étaient les peurs les plus intimes de l'ex-scientifique du Jurassic Park ? Voilà une question avec beaucoup trop de réponses. Le rejet. La trahison. La souffrance. Le jugement et le regard des autres. La monotonie d'une vie banale. Les conséquences d'un préservatif périmé. Ou plus simplement un Carcharadontosaurus enragé. Tant de choses qui ne manquent pas de plonger la jolie roumaine dans de longues soirées d'insomnie.

Finalement, la plus grande peur d'Elina était de vivre dans la souffrance. Et qu'avait-elle fait jusqu'à présent pour combattre cette peur ? Elle avait simplement décidé de fuir la réalité. Plus personne ne peut vous faire de mal si vous décidez de ne plus voir personne. Choix radical et peu rationnel en fin de compte quand on sait que tous les scientifiques du monde s'accordent pour affirmer que l'être humain est un animal social dont la solitude a un effet destructeur pour lui. Mais Elina avait-elle déjà pris une décision qui n'était pas motivée par ses émotions ?

Bien sûr, il existe dans ce monde des personnes solitaires qui savent apprécier le temps passé seul. Et la jeune femme avait essayé de se convaincre que l'alcool et les somnifères étaient de meilleurs compagnons que ses congénères. Mais fermer les yeux sur la réalité ne la fait pas disparaître. Et aujourd'hui, plus que jamais, la roumaine se sentait seule, isolée, vide, et elle avait l'intime conviction que personne au monde ne serait un jour capable de la comprendre ou de l'accepter. Aujourd'hui, plus que jamais, elle aurait voulu qu'Emma soit à ses côté.  

C'était sans doute la raison qui l'a poussé à dépenser le restant de ses économies dans ce voyage à Denver. Revoir cette femme qui lui a appris à se battre, à tirer, qui avait même joué le rôle d'agent de terrain pour elle, et qui lui avait sauvé la vie dans ce motel sordide. Et la seule chose qu'Elina avait apportée à l'américaine était de connaître à son tour le goût amer de la trahison. Cette nuit-là, Emma était venue chercher de l'aide auprès son amie. Elle avait tenté de lui expliquer le danger que représentait la Chimère et lui avait fait comprendre qu'elle comptait se battre. Mais la roumaine, effrayée par les conséquences de devoir enquêter sur une entreprise dont la technologie et les ressources étaient nettement supérieures aux leurs, avait préféré perdre la seule personne qui tenait encore à elle. Et aujourd'hui, même s'il était trop tard pour regretter ce choix, Elina ne pouvait s'empêcher de penser à ce qui aurait pu se passer si elle ne s'était pas laissé noyer dans cet océan de solitude.

Le ciel, noirci par d'épais nuages sombres, déversait un torrent de pluie et le cimetière n'était éclairé que par les quelques éclairs qui tombaient sur la ville. À croire que le monde était à la fois triste et en colère de devoir enterrer une personne aussi remarquable qu'Emma. C'était compréhensible. Qui, dans ce monde, pouvait être capable de détester cette jeune femme ? Le nombre important d'invités au Manoir des Beckett en était la preuve. Mais Elina n'était pas restée. À peine sortie du taxi, elle avait senti le poids de la culpabilité peser lourdement sur ses épaules. Elle ne se sentait pas capable d'affronter le jugement de la famille Beckett.

La famille d'Emma connaissait les moindres détails de sa vie privée tant la jeune américaine ne manquait jamais une opportunité de parler avec ses frères ou son père. Ils étaient donc sûrement au courant que la scientifique avait tourné le dos à son amie au moment où elle avait eu le plus besoin de son soutien. Ils savaient également que la roumaine s'était réfugiée dans l'alcool et les médocs pour fuir les difficultés de la vie. Prise d'une grosse crise d'angoisse, elle avait préféré retourné dans son taxi et se rendre directement au cimetière pour attendre la cérémonie d'enterrement.

Une fois au cimetière, la roumaine choisit un endroit isolé, sous un arbre au sommet d'une petite colline, pour observer la scène. Même ici, elle ne se sentait pas à sa place. Elle n'avait pas le droit d'être là alors que c'était sûrement à cause d'elle si Emma était morte. Elina s'interdit même de pleurer. Ça non plus, elle n'en avait pas le droit. De toute façon, elle avait déjà tellement pleuré pour Erin qu'elle doutait avoir encore des larmes pour l'enterrement de sa meilleure amie. Elle se contenta d'attendre, à distance, adossée à son arbre, allumant sa septième cigarette pour que la nicotine puisse calmer ses nerfs, et la réchauffer.


Le temps passait et un sentiment d'abandon gagnait Elina. Jusqu'à maintenant elle n'avait jamais vraiment réalisé à quel point elle était seule. La roumaine n'avait plus personne à qui parler, plus personne à qui demander de l'aide. Même la pluie venait de la quitter, plongeant ce cimetière dans un silence sinistre. La jeune femme avait créé des dinosaures, affronter des monstres qui font cinq fois sa taille, étudier un des venins les plus dangereux au monde, sauver la vie de ses collègues, réparer des machines d'une grande complexité… Mais aujourd'hui, elle ne se sentait pas de taille à affronter les difficultés qu'elle rencontrait. Elle voudrait des conseils, du soutien, ou au moins entendre des paroles rassurantes. Mais tout ce qui se trouvait autour d'elle n’était que des tombes. Alors, sentant l'émotion la gagner, elle se laissa glisser au sol car il était plus facile d'abandonner, enlaça ses jambes car c'était sa seule manière de se sentir aimé, et se réfugia dans sa solitude en laissant sa cigarette se consumer.


L'arrivé du prêtre devant la tombe d'Emma la réveilla, et c'est alors qu'elle le vit. Il n'avait pas été difficile à reconnaître. Il était l'homme des photos, l'homme des rendez-vous, l'homme lié à tout ce merdier… Shivak Garland. Son nom avait résonné dans l'esprit de la jeune femme comme celui d'une créature mythologique qui venait de prendre vie. A sa vue, Elina sentit la colère monter en elle. Il était clairement lié à la mort d'Emma, c'était même sûrement de sa faute ! Il devait être lié à la chimère, à Biosyn ou n'importe quoi d'autre qui justifierai de pouvoir lui remettre la mort d'Emma sur le dos ! Elle devait le faire parler, le faire avouer que si le parc avait été attaqué, c'était de sa faute. Que si Emma était morte, c'était de sa faute. Et que si sa vie était aussi merdique, c'était de sa faute ! Alors, Elina ramassa une pelle, sûrement laissé par les fossoyeurs, et suivit sa cible pour la faire parler. Mais alors qu'elle entreprenait sa filature, la roumaine remarqua qu'elle n'était pas la seule à vouloir la peau de l'ancien vidéo-documentaliste du Jurassic Parc. Elle décida de poursuivre l'homme qui suivait Shivak. Et la vérité lui explosa au visage.
La pluie était revenue, et Elina manqua de perdre l'équilibre tant les informations qu'elle venait d'entendre était importantes. Il y avait trop de noms, trop d'incompréhensions dans l'échange entre cet inconnu et Shivak. Et puis, elle était éloignée, cachée, et la pluie camouflait la conversation. Mais les dernières paroles qu'ils échangèrent suffit à faire naître une haine profonde dans le cœur de la jeune femme.

« Elle, je l’ai tuée juste pour le plaisir...»

A ces mots, Elina sorti de sa cachette. Il était le meurtrier d'Emma, il l'avait tué simplement pour assouvir ses pulsions meurtrières, et il devait payer pour ça. Elle s'avança lentement, faisant traîner la pelle sur la pelouse humide.

« Tu ne l’as trouveras jamais. »

Ses pas étaient dissimulés par les trombes d'eau s'écrasant sur les feuilles des arbre. Elle s'avançait au ralenti vers sa cible, le regard vide, imperturbable et déterminée.

« ...elle se cache en France avec Marcos Shannon... »

Son instinct avait pris le contrôle de son corps et de ses émotions. Elle n'avait jamais tué personne, mais elle n'avais jamais ressenti une telle haine pour quelqu'un. Il était devenu un monstre, une créature démoniaque, motivé par la soif de pouvoir et de sang. Et il l'avait privé de la dernière personne qui comptait réellement encore à ses yeux.

« ...Je vais prendre tout mon temps avec elle… »

Au plus elle se rapprochait, au plus la voix de l'assassin était insupportable et inhumaine. Cela ne faisait qu'alimenter la colère d'Elina. Voilà ce qu'avait entendu Emma avant de mourir : une voix répugnante et monstrueuse. Quelle torture ! Mais elle sera la dernière personne à supporter ce supplice parce que

« ...il est temps d’en finir.»

Que lui avait enseigner Emma sur Isla Nova ?


Ton pied gauche en avant. Détends-toi, et ne crispe pas tes muscles. Il n'y a pas que ta force qui fera que le coup sera puissant, il viendra surtout de son élan.

«Adieu Shivak Lockwood»

Place la barre derrière ta nuque. Respire.

«Passe le bonjour à tes... »

Maintenant pivote et frappe !



Le coup fut aussi violent que le son qui fut produit. À tel point que le manche de la pelle avait cédé sous le choc. Et à ses pieds gisait le corps de l'homme responsable de tous ses malheurs ou presque. Est ce qu'il était mort ? Est qu'elle l'avait vraiment tué ? Si la Chimère était réellement parvenu à créer une chimère homme-reptile, il doit être doté d'une capacité de régénération hors du commun.

Elle releva la tête et croisa le regard de Shivak.

« Toi et moi, faut qu’on parle ! »  parvint-elle à articuler avec un ton meurtrier qui n'était pas voulu.

Elle jeta ce qu'il restait de la pelle au sol, et ses yeux tombèrent sur le cou ensanglanté de Shivak, pour ensuite se poser sur sa victime avant d'observer brièvement la cérémonie d'enterrement par-dessus son épaule.

« Mais pas ici » souffla-t-elle.

Elle analysa la situation : un corps potentiellement capable de se régénérer, et peut-être encore conscient. Qui sait ce que K-C avait pu donner comme capacité de pistage à son cobaye. Peut-être est-il capable de vomérolfaction ?

« Soigne toi, parfume toi, et rejoins moi à cet endroit »

Elina lui tendit la carte de l'hôtel où elle logeait, et vit que ses mains étaient, elles aussi, couverte de sang. Un morceau de bois appartenant à la pelle était rentré dans sa peau. Elle tremblait. Était-ce la douleur ? L'excitation ? L’adrénaline ? Elle ignora sa blessure et s'adressa une dernière fois à Shivak avec un ton meurtrier qui, cette fois ci était, voulu.

« Ne me fais pas regretter d'avoir assommer la mauvaise personne »

Elle tourna des talons et s'éloigna. Et alors qu'elle quittait les lieux de son crime, la roumaine fut pris de vertige. Elle attendit d'être suffisamment loin de Shivak avant de s’effondrer au sol et de vomir tripes et boyaux. Son corps avait encaissé trop d'émotions qu'il n'en était capable. Mais au moins, aujourd'hui, elle avait enfin trouvé à sens à tout ça. Et une personne qui pourra peut-être l'aider. Serait-il sa première lueur d'espoir en 4 ans d'obscurité, ou un gouffre émotionnel dans lequel elle tomberait encore plus bas ?

Elle était essoufflée. Pourtant, elle n'avait donné qu'un coup de pelle et marché 100 mètres. Son souffle était court, et sa respiration était rapide et irrégulière, comme lors d'une séance sur un tapis de course. Son corps réclamait une quantité d'oxygène qu'il lui était impossible de fournir. Son cœur battait à un rythme déchaînée, et chaque battement lui donnait l'impression que sa poitrine allait exploser. Et sous cette pluie battante, elle avait chaud. Horriblement chaud. A tel point qu'elle imaginait l'eau s’évaporer au simple contact de sa peau.

Ça n'était pas possible. Ça ne pouvait pas être vrai. Comment pouvait-on corrompre à ce point les lois de la nature ? Il n'y avait rien de logique, rien de rationnel dans cette histoire. Il s'agissait sûrement d'un mauvais tour jouer par son esprit. La colère l'avait rendu folle et avait déformé la réalité. C'était la seule raison valable. C'était la seule explication plausible qui justifiait qu'elle ait vu un… un…

Son estomac faiblit à nouveau en revoyant le monstre dans son esprit, et une autre gerbe de bile s'étala au pied de l'arbre, salissant un peu plus ses longs cheveux bruns trempés par la pluie.

Elle ne se calmait pas. Elle avait toujours autant de mal à respirer et chaque bouffée d'air était une torture. À tel point qu'il lui était impossible de quitter cet endroit. Pourtant, il fallait partir. Si cette bestiole se réveillait…

Et s'il ne se réveillait pas ? Venait-elle vraiment de tuer quelqu'un ? La police mènerait une enquête et retrouverait sûrement sa trace. Elle serait arrêtée et jugée pour meurtre et passerait le reste de sa vie en prison. Et elle n'était pas prête pour ça. Il fallait retourner là-bas et effacer les preuves.

Oui mais…

Et s'il s'était réveillé ? Elle ferait alors face à une créature avide de sang et de vengeance. C'est bien connu : il ne faut jamais s'interposer entre un prédateur et sa proie. Si elle revenait sur les lieux de son crime, il l'attendrait certainement. Caché par la forêt et l'obscurité, ce serait lui qui aurait l'effet de surprise cette fois. Et serait-elle capable d'affronter ce monstre ? Non. Elle mourrait. Elle ne veut pas mourir. Elle ne veux pas mourir ! Pas maintenant. Pas comme ça. Elle avait eu tant de mal à remonter la pente. Et elle venait de tout foutre en l'air pour sauver un parfait inconnu. Maintenant, elle était prise au piège. Elle venait de plonger à nouveau dans une affaire qui la dépassait.

*Putain, calme toi*

La jeune femme se força à prendre une profonde respiration, et cela semblait être un effort surhumain. Pourtant, cette première bouffée d'air eu un effet tellement apaisant. Et celles qui suivirent l'aida progressivement à reprendre le contrôle de ses pensées et de son corps. Elle tremblait, ses dents claquaient sous l'effet du froid ambiant et une douleur la lançait dans sa main droite. Le sang continuait de couler et l'épais morceau de bois était toujours sous sa peau. La roumaine parvint avec sa main gauche à retirer cette écharde de la taille d'un doigt, ce qui provoqua une nouvelle hémorragie et lui arracha un cri de douleur. En guise de bandage, elle utilisa son chemisier noir qu'elle portait pour l'enterrement d'Emma.

Ce qui est fait, est fait. Inutile de vouloir changer le passé. Maintenant, il lui fallait penser à la suite et quitter ce cimetière. Premièrement, il fallait nommer cette chose. Mettre un nom sur une créature inconnue et la comprendre permet de mieux maîtriser ses émotions face à elle. Beaucoup de personne dans le monde ont peur des araignées et de leur morsure par exemple. Et le mythe qui entoure les plus célèbres d'entre-elles ne fait qu'accentuer cette phobie. Mais peu de gens savent qu'il est possible de guérir naturellement du venin d'une veuve-noire et que la plus part de leurs morsures sont creuses et inoffensives. Même en manipulant une veuve-noire, vous avez plus de chance de mourir d'un crash d'avion que de son venin. Statistiquement parlant.

Tout en se dirigeant vers la sortie du cimetière, et en s'essuyant machinalement la bouche avec la manche de son manteau, l'ex-chef de section poursuivit sa réflexion. Ce… truc, était-il un hybride ? Un mutant ?  Une chimère ? Ce qui est sûr, c'est qu'il n'était plus humain.

Une mutation est un changement de génome qui apparaît chez un organisme pour lui attribuer de nouvelles caractéristiques. Normalement, les cellules sont sensées se répliquer à l'identique. Mais il arrive qu'une erreur se glisse durant la réplication de l'ADN. Ces erreurs sont détruites par le corps, la pluspart du temps. Et parfois, cette erreur reste et donne d'autres cellules du même genre jusqu'à remplacer totalement le génome d'origine. Cependant, le résultat final ne change pas la nature originale de l'organisme. Un virus qui modifie sa composition génétique pour devenir plus résistant à son environnement reste un virus. Chez les êtres humains, l'albinisme est une mutation. Les gênes donnent des cheveux blancs et des yeux rouges, mais la personne reste humaine. L’assassin d'Emma n'était donc pas un mutant.  

Elina siffla un taxi et lui demanda de la conduire chez le vétérinaire le plus proche. Avec désormais pour unique protection son manteau et son soutien-gorge trempé, la jeune femme avait toujours aussi froid. Mais elle était heureuse d'être enfin à l'abri de la pluie temporairement. Le chauffeur tenta de faire la conversation mais la scientifique était perdue dans ses pensées.

La différence entre une chimère et un hybride est un peu plus subtile. Par définition, les deux représentent un organisme possédant au minimum deux populations de cellules génétiquement différente. Pourtant, si toutes les chimères sont des hybrides, l'inverse n'est pas forcément vrai. Un hybride et un mélange génétique de plusieurs espèces, et une chimère est un mélange génétique d'une même espèce. Les siamois et les personnes hermaphrodites sont des chimères, même si parfois ce mélange de patrimoine génétique au sein d'une même personne est moins visible. On peut donc dire que la Chimère d'Homère, ainsi que toutes les créatures qu'il a imaginé dans son Odyssée, sont en fait des hybrides. Biologiquement parlant.

Ainsi, en gardant le caractère scientifique de ces différentes définitions, on pouvait en conclure que K-C n'avait pas créer un monstre mythologique mais quelque chose qui est plus proche du mulet. Cependant, même si La Chimère n'avait pas créé une créature digne de son nom, cette hybridation homme-reptile était plus que troublante, et le niveau de connaissance génétique qu'il était nécessaire pour parvenir à un tel exploit était nettement supérieur à celui de la « simple » création de dinosaures. InGen ressemblait d'avantage à des gamins jouant pour la première fois au Kit du parfait chimiste à côté de ça. Peut-être que la roumaine s'était trompée d'employeur…

Le taxi arriva à destination, et la jeune femme demanda au chauffeur de bien vouloir l'attendre. La première chose qu'elle fit en descendant du véhicule était de jeter l'écharde à la poubelle. Elle l'avait gardé pour éloigner le plus possible de cet hybride toutes traces de sa présence. La pluie suffirait à détruire le peu d'ADN ou d'odeurs qu'elle aurait pu laissé sur ce qu'il restait de la pelle. Par contre, cet infime morceau de bois imbibé de son sang pourrait suffire à la trahir. Le taxi, et ce détour chez le vétérinaire, faisaient également partie de son plan pour éviter que cet hybride (ou potentiellement un autre) ne retrouve sa trace.

Elle rentra dans le bâtiment et remarqua la présence de plusieurs personnes attendant leur tour pour la consultation de leurs animaux. En ce début d'après-midi, ce n'était pas si étonnant. Mais la roumaine n'était pas là pour cette raison. Elle était venue ici pour faire quelques achats. Elle se dirigea donc vers l'assistante du vétérinaire qui s'occupait d’accueillir les visiteurs.  

« Hey, bonjour. »commença t-elle avec un sourire un peu trop forcé « j'ai besoin de 250 ml d'urine de chat s'il vous plait. »

L'assistante la dévisageait, silencieusement, et Elina ne comprenait pas pourquoi. Peut-être avait-elle oublié un détail.

« De chat en chaleur s'il vous plait » insista la roumaine.

Un étrange silence régnait à présent autour d'elle. Quand la roumaine posa le regard sur le chat d'une vieille dame, cette dernière le serra un peu plus contre elle. Pourtant, son choix était logique. Les chats utilisent leur urine pour marquer leur territoire ou pour communiquer avec leurs paires. C'est pourquoi il contient une quantité importante d'hormone et de phéromone. Suffisamment importante pour camouflé les siennes. Avec de l'urine de chat, elle parviendrait facilement à leurrer l'hybride de K-C. En partant bien sûr du postula qu'il était équiper d'un organe de Jacobson. Il fallait être prudent.

Toujours bouche bée, le regard de la jeune assistante tomba sur le morceau de tissu qui entourait la main d'Elina.

« Oh, vous inquiétez pas pour ça. Une bouteille de whisky et je ne sentirai plus rien. »

Un alcool à 40 % ferait l'affaire pour nettoyer la plaie. Elle utiliserait les bouteilles du mini-bar. Elle n'avait pas le temps de faire un autre détour dans une pharmacie. Ses plans venaient d'être totalement chamboulé avec l'apparition de l'amant d'Emma et de son agresseur. Elle ne pouvait désormais plus rester à Denver. Elle devait retourner chez elle au plus vite. Au plus il y aurait de distance entre elle et la bête, au plus elle serait difficile à retrouver. En espérant que 3h d'avions et 3 États suffiraient à mettre assez de distance entre eux.

Finalement, la roumaine sortit de la clinique vétérinaire avec une trousse de secours pour chien et un spray répulsif pour chat. Elle aurait préféré quelque chose de plus naturelle, de moins synthétique, et de plus puissant. Mais elle allait devoir se contenter de ça. Au moins, elle n'aura pas à utiliser l'alcool de sa chambre pour désinfecté sa blessure.

De retour dans le taxi, elle commença à s'asperger le corps de répulsif pendant que son chauffeur la ramena à l'hôtel. Comme elle n'avait presque plus rien sous son manteau, il était plus facile pour elle d'appliquer le spray sous ses aisselles et sur le reste de son corps. Il était important et primordiale de masquer le plus tôt possible sa présence aux potentiels organes reptiliens de l'hybride. Aussi, elle étala le produit sur toutes les parties accessibles de son corps.

Une fois à l'hôtel, la scientifique averti le chauffeur de taxi qu'elle avait besoin de récupérer ses affaires avant de partir à l'aéroport et lui demanda une nouvelle fois s'il était d'accord pour l'attendre. Et Elina fut surprise d'entendre qu'il était prêt à l'attendre toute l'après midi s'il le fallait. Elle ne comprenait pourquoi il avait exprimé un tel engouement à l'idée de patienter dans la voiture mais elle lui promit de compenser ce désagrément comme il se devait.

Sans perdre de vue sa propre survie, Elina continua de dissimuler toute trace de son passage en utilisant le répulsif du vétérinaire dans l'ascenseur, dans le couloir qui menait à sa chambre, et sur les contour de sa porte. S'il elle avait pu le faire sans passer pour une folle, elle aurait utilisé le produit dans le hall de la réception. Mais pour l'instant, ça suffirait. Il y avait peu de chance qu'on puisse la retrouver. Pour le moment, elle se sentait en sécurité.

La chambre qu'elle avait loué pour la nuit était classique, avec le confort de base que pouvait fournir un hôtel 4 étoiles. De toute façon, elle n'avait pas prévue de rester longtemps à Denver, et son séjour venait d'être écourté. Pendant un court instant, la jeune femme envisagea de s'allonger quelques secondes sur le lit. Elle avait besoin de repos... La matinée avait été épuisante pour la jeune femme. D'abord, sa crise de panique au manoir des Beckett, l'enterrement d'Emma, sa tentative de meurtre (voir son meurtre), sa rencontre avec un hybride,…

« Et c'est pas encore fini... » regretta la roumaine.

Mais si elle s'allongeait, la scientifique craignait de s'endormir sans s'en rendre compte. Et le temps lui était compter. Il lui restait encore beaucoup de choses à faire : régler la note de l'hôtel, annuler son avion de demain pour avoir un vol aujourd'hui pour San Francisco, et surtout elle allait devoir appeler quelqu'un qu'elle n'avait pas vraiment envie d'entendre. En tout cas, pas dans ces circonstances.

Après avoir fermé la porte de sa chambre, Elina se dirigea vers la salle de bain. Et en voyant son reflet, elle comprit immédiatement pourquoi elle avait été dévisagé de la sorte un peu plus tôt. Un simple manteau pour couvrir sa nudité, un maquillage ravagé par la pluie, des cheveux sales et une sorte de boule noire et rouge à la place de la main droite. Même si la couleur de son chemisier ne montrait aucune trace de sang, les parties de sa main qui n'étaient pas couverte par le tissu trahissaient la blessure de la jeune femme. En retirant son bandage de fortune, la jeune femme remarqua que la plaie saignait encore. Il fallait peut-être s'occuper de ça en priorité.

La roumaine fit glisser son imperméable jusqu'au sol et enleva ses vêtements mouillés avant de les chasser d'un coup de pied pour ne pas être gênée. Après s'être lavé les mains, elle utilisa l'alcool et les bandages qui étaient dans le kit de soin pour chien pour se faire un pansement un peu plus propre. Quand elle eut fini de se soigner, la jeune femme en profita pour se laver le visage et rincer sommairement ses cheveux. Elle retourna dans le salon pour enfiler des vêtements plus confortables, laissant derrière elle une véritable scène de crime. La céramique du lavabo était désormais sale et couverte de sang, et les papiers d'emballage traînaient un peu partout au milieux de ses vêtements trempés. Une fois habillée, elle envisagea de faire un peu de rangement, mais elle devait partir pour San Diego et retrouver l'homme qu'elle venait de sauver.



Après avoir signaler à la réception son départ précipité et régler sa note, Elina fut soulager de voir que son chauffeur avait tenu sa promesse. Ce dernier l'attendait même avec un parapluie et aida la jeune femme à monter à l'arrière de son véhicule avant de s'occuper de sa valise. Sans lui adresser un regard, sans même le remercier, Elina s'installa dans le taxi avant de regarder les vols pour San Francisco. Elle doutait réussir à prendre l'avion de 13h21 à cause de la circulation. Elle orienta son choix sur celui de 16h53. Ça lui laisserait le temps de prendre quelques affaires et rejoindre le métro pour le Manchester de San Diego. Elle devrait arriver en début de soirée.

« Vous semblez très préoccupé ma p'tite dame »

La voix du chauffeur venait de briser le silence ambiant, ce qui surprit Elina. Cependant, elle n'avait pas envie de parler, et encore moins avec quelqu'un qui ne pourrait pas comprendre ce qu'elle était en train de vivre. Elle haussa les épaules en guise de réponse et porta son attention sur la ville qui défilait sous ses yeux.

« Vous savez, quand j'ai fuis la Roumanie pour rejoindre ce pays, j'ai perdu toutes les personnes qui étaient importantes pour moi. Mais la vie est faites d'opportunités et parfois le destin peut nous réserver de drôles de surprises »

Il avait raison, et cette situation en était la preuve. Même si l'esprit de la scientifique était trop rationnel pour croire en des dogmes tel que la fatalité ou le destin, il fallait quand même avouer l'ironie de sa situation actuel. La jeune femme avait exprimé clairement à Emma son désir de ne plus jamais avoir à faire avec la Chimère. Aujourd'hui, elle venait de s'exposer volontairement à ce danger. Et dans quel but ?

« Comment c'était, la Roumanie ? »

La curiosité d'Elina venait d'être piquée. La roumaine ne connaissait rien de ses origines et voulait en profiter pour en savoir un peu plus à ce sujet. Elle ne s'y était jamais vraiment intéressé jusqu'à présent. Dans ses souvenirs, elle ne voyait que ce petit village proche des côtes anglaises où elle avait été recueillie.

« Oh, ça a beaucoup changé depuis la dernière fois. Mais le pays est toujours aussi magnifique »

Il y avait beaucoup de nostalgie dans la voix de l'homme, et c'était assez touchant de le voir parler ainsi des ces origines communes.

« Vous savez, vous devriez sourire plus souvent. Vous être bien plus jolie avec un sourire au coin des lèvres. »

Elina apprécia malgré elle la remarque de ce chauffeur qui semblait sincère depuis qu'il avait rencontrer la jeune femme.

« Je ne me souvient pas avoir sourit » rétorqua t-elle légèrement gênée par la flatterie de cet homme  qui aurait pu être son père au vu de son âge.

« Vous venez de le faire... »

Elle avait été piégée par son chauffeur qui, depuis le début, avait essayé d'arracher une parole ou une réaction de la part de sa passagère. Mais pour une fois ce n'étais pas si désagréable.




Ils étaient enfin arrivés à l'aéroport. Et avant de partir, la jeune femme laissa un petit pourboire pour les courses. Et pour la patience du chauffeur. Et pour avoir trempé le siège arrière. Et pour ne pas culpabiliser d'avoir été peu bavarde durant tous les trajets. Il était plus simple de laisser quelques dollars en supplément, plutôt que de simplement s'excuser. Il avait l'air content du geste.

« Prenez soin de vous, ma p'tite dame. »

« Îmi poți spune Elina, vă mulțumesc pentru tot »

Il semblait surpris mais un large sourire se dessinait sur son visage. Ça n'a pas du être facile pour lui  d'évoluer loin de ses racines. Ces quelques mots avaient peut-être aidé cet homme à se sentir plus proche de tout ce qu'il avait perdu. Elina était contente de sa petite revanche. Elle aussi avait réussi à piéger le chauffeur. Il ne devait pas s'attendre à ce qu'elle parle la langue de son pays.

« Voici ma carte, appelez moi si vous revenez à Denver mademoiselle Elina »  

La roumaine rangea la carte du chauffeur sans la regarder. Après tout, elle doutait devoir revenir ici un autre jour. Quoi que… Elle n'avait pas eu le temps de faire ses adieu à Emma ou de déposer quelque chose sur sa tombe. Peut-être qu'elle fera de nouveau appel à ses services quand elle reviendra.

« La prochaine fois, évitez de vous parfumer dans mon taxi s'il vous plait... »

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« J'ai besoin de la chambre »

« Quoi, maintenant ? Mais elle est déjà vendue, Elina »

Il y avait un mélange de surprise et de colère dans sa voix, et c'était légitime. Mais elle n'avait pas d'autre choix. La jeune femme avait besoin d'un endroit où elle puisse se sentir en sécurité. Un endroit calme et isolé où elle pourrait mettre les choses au point. Elle avait également besoin de repos après ces événements récents, même si aujourd'hui la principale raison pour laquelle la roumaine avait besoin qu'on lui rende cette faveur était de pouvoir avoir des réponses à toutes les questions qu'elle se posait.

« J'en ai vraiment besoin » parvint-elle a articuler.

La culpabilité commençait à prendre le coeur d'Elina. En donnant la carte de l'hôtel et le numéro de chambre à Shivak, la jeune femme savait qu'elle ne pouvait plus faire marche arrière. Elle allait devoir assumer les conséquences de ses actes.

« Je ferais attention cette fois » argumenta la roumaine pour essayer de faire pencher la balance en sa faveur, même si elle savait déjà qu'il lui donnerait la chambre.

Après un soupir son contact répondit simplement « Je compte sur toi » avant de raccrocher.

Le plus dur était fait. Du moins c'est ce qu'elle pensait.

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Cette chambre, elle la connaissait bien. Elle lui avait été utile plus d'une fois. Elina pouvait se sentir chanceuse d'avoir une personne de contact au Manchester Hyatt de San Diego. La jeune femme savait déjà ce que çà allait lui coûter d'avoir eu recourt à ce service, mais elle devait se concentrer sur la suite. En attendant, elle répéta les même opérations qu'à Denver et aspergea l’ascenseur, le couloir et l'entrée de sa chambre avec le répulsif pour chat. En attendant son invité, Elina observa le soleil se couché sur le panorama idyllique qu'offrait les fenêtres de la chambre. C'est alors qu'elle entendit la porte s'ouvrir.

Sans perdre une seconde, la jeune femme s'empara du couteau qu'elle avait garder dans son sac et se rua vers l'intrus avant de se rendre compte qu'il ne s'agissait que de Shivak. Bon sang, on lui a pas appris à frapper avant d'entrer ? Le pire c'est qu'il osait se plaindre de l'accueil que lui avait réservé la roumaine. Et il espérait quoi en entrant par effraction chez les gens, un tapis rouge ? Elina l'observa se mettre à l'aise, décontenancée, mais la poigne autour de son couteau se fit plus forte lorsqu'elle vit l'arme à feu de Shivak, même si ce dernier l'avait sorti pour la ranger sur une étagère.

Il espérait peut-être s'approprier la confiance de la jeune femme par ce geste, mais Elina n'était pas dupe : elle savait que cet ancien espion avait sans doute d'autres armes sur lui et qu'il ne serait pas aussi facile de le tuer qu'il le laissa prétendre. Par contre, ce qui rassura la roumaine était de sentir la forte odeur d'agrume et les puissants arômes boisées de son parfum quand il était passé devant elle pour entrer dans la pièce. Cela signifiait que lui aussi serait difficile à pister par l'hybride de la Chimère, mais surtout qu'il avait suivis ses consignes. Il s'agissait bien du Shivak qu'elle avait rencontrer au cimetière de Denver, celui à qui cette entreprise terroriste avait attenté à la vie.

« Pose ton couteau Elina, ce que tu veux ce sont des réponses. Tu auras tout le loisir de décider si tu décides de me tuer après ou non. »

La concernée l'observa s'installer confortable sur le lit comme si celui-ci lui revenait de droit. Il était … sérieux ce type?! Il se croyait où ? Emma avait déjà prévenu la roumaine que son homme était particulier, mais qu'elle avait été touchée par ses belles qualités. Et bien Elina était curieuse de les voir ces qualités ! Parce que pour le moment tout ce qu'elle voyait chez cet homme était un culot bien supérieur à son égo, et une nonchalance à toute épreuve. Ils étaient pourchassés par un monstre, et tout ce qui importait à ce… type… était de pieuter. Alors que celle qui méritait du repos, c'était bien elle !

« Oui, je sais qui tu es. Je vais tout te raconter, je répondrais à toutes tes questions mais j’en ai juste une à te poser avant de commencer si tu le veux bien...  Je voudrais savoir qui tu étais pour Emma, ce que tu faisais à son enterrement et pourquoi tu es intervenue pour m’aider ? »

Si l'on observait la scène d'un point de vue objectif, on pouvait voir que l'homme aux yeux vairons était venu ici avec les meilleures intentions. Après tout, il avait suivis les consignes de la roumaine, avait essayé d'instauré un climat de confiance, et n'avait montré aucune opposition à répondre aux questions d'Elina. Il lui avait même demander poliment si elle ne voulait d'abord répondre en premier à ses propres interrogations qui étaient totalement légitimes. Mais pour comprendre tout ça, il fallait un minimum d'empathie, et d'un peu de sang froid. Des éléments qui manquaient en ce moment chez la roumaine.

« Tu… sais qui je suis » répondit Elina en sentant la colère gronder en elle. « Dans ce cas, tu sais déjà que ma vie est un enfer depuis *sa rupture avec Erin *  l'attaque du parc ? Tu sais également que j'ai tout fait pour me tenir le plus loin possible de toute cette merde ces deux dernière année? »

Comment osait-il prétendre la connaître alors qu'il était inconscient qu'Elina venait de foutre en l'air deux années à fuir les intrigues de son amie ? Comment pouvait-il dire qu'il savait qui elle était sans savoir tout ce qu'allait lui coûter ce sauvetage improvisé ?

« Par contre, moi je ne sais pas qui tu es Shivak. S'il te plait parle-moi de toi! Tu pourrais commencer par me dire par exemple : Où t'étais quand elle s'est fait tué ? * et toi Elina, où est ce que tu étais quand c'était elle qui avait besoin de toi ?* Qu'est ce que tu branlais au lieu de la protéger ? * et toi, qu'est ce que tu as fais pour la protéger ? * Elle avait confiance en toi ! * Elle avait confiance en toi… * Tu étais son… * amie *

Elle ne parvint pas à terminer sa phrase. Des larmes de rage, de frustration et de culpabilité coulaient malgré elle sur son visage. Elle venait de perdre son sang froid et avait besoin de se calmer. Elle rangea son couteau dans son sac et en sorti son paquet de cigarette.

« S'il te plait, ne dis dis rien... »

Elle l'avait interrompue avant qu'il ne puisse prononcer un seul mot. Elle ne voulait pas l'entendre. Pourtant, il insista.

« LA FERME ! »

Elle ne voulait pas le voir. Elle ne voulait pas l'écouté. Elle détestait cet homme qui était le propre reflet de son impuissance et de son inaction. Aujourd'hui, Elina regrettait de s'être caché pendant si longtemps et de s'être menti à elle-même en pensant que tout allait bien se passer. Qu'Emma sauverait le monde sans son aide.  

La jeune femme ouvrit la fenêtre, tira une chaise à elle, et alluma sa cigarette avec l'aide de sa main bandée avant de s'installer en posant les pieds sur le rebord de la fenêtre. La nicotine commençait à calmer les nerfs de la jeune femme qui préférait contempler la ville plutôt que d'affronter le regard de Shivak. Et après avoir consommer les 3/4 de sa cigarette en un temps record, elle reprit la parole plus paisiblement.



« Je lui dois la vie tu sais. Plus d'une fois. Elle m'a soutenu quand j'étais au plus mal. Elle a même travailler pour moi sur Nova »

La roumaine avait été injustement hostile envers lui. Elle tenta l'humour pour apaiser la tension qu'elle avait elle même provoquer, même si ce n'était pas son point fort.  

« C'est elle qui m'a appris à assommer les hommes-lézard avec une pelle »

Elina ignora la deuxième question de son invité. Elle avait été absente une grande partie de la vie d'Emma, et avait espéré que venir à son enterrement aurait suffit à rattraper le temps perdu. Par contre, elle pouvait répondre à sa dernière question.

« Je t'ai sauvé parce que…* tu es la seule personne à qui elle pouvait reprocher la mort de son amie, autrement qu'à elle-même. Tu es le seul qui pourrait l'aider à comprendre et possiblement l'aider à sortir de ce merdier. Tu allais te faire butter par son meurtrier. Mais surtout… * tu comptais beaucoup pour elle »

Elle se tourna enfin vers lui, et lui lança son paquet de clope sur le lit. S'il en voulait une, il n'avait qu'à se servir.

« Vas-y parle maintenant, et dis moi que j'ai été la pire amie qu'elle n'ai jamais connue »

Ils faisaient pitié, à larmoyer tous les deux sur le sort de leur amie disparue, cherchant désespéramment qui de la roumaine ou de son amant avait été la pire compagnie possible pour cette courageuse femme qu'avait été Emma. Quelque part, cette culpabilité qu'ils avaient en commun était rassurante. Shivak portait sur ses épaule le poids du remord de ne pas avoir pu protéger la femme qu'il aimait, et la roumaine cherchait un moyen de se soulager de cette honte qu'elle ressentait pour avoir disparue de la vie de son amie pendant ces dernières années. Finalement, Elina détestait cet homme parce qu'elle se détestait elle-même. Elle le détestait parce qu'il lui avait rappelé à quel point elle était faible et naïve. Mais surtout, elle le détestait parce que le jeune homme, contrairement à elle, n'était pas resté les bras croisés en espérant que le temps s'éclaircirait un jour. Et le plus grand défi pour Elina serait maintenant d'avouer ses torts et d'accepter le jugement de cet homme qui semblait bien déterminé à mettre un terme aux agissements de la Chimère. 

Alors que Shivak avouait emprunter le droit chemin pour et grâce à Emma, la scientifique prit conscience qu'il n'attendait rien d'elle. Comme le jeune homme le lui avait dit, elle voulait des réponses et elle les aurait. Cependant, la roumaine n'était pas totalement ignorante concernant les secrets de John Hammond. Après tout, elle avait eu le loisir d'étudier méticuleusement les dossier moisis qu'elle avait trouvé sur Sorna et était facilement parvenu à faire le lien entre les échecs génétiques des premiers clones d'InGen et ce mystérieux Projet T dont lui avait parlé Ian “enfoiré de sale traître” Malcolm. De plus, Emma était parvenue à convaincre la petite roumaine que son nouveau partenaire n'était pas le monstre qui avait été présenté comme étant responsable des centaines de morts lors de l'attaque de l'île. Ces premiers éléments n'étaient donc pas totalement inconnus de l'ancienne généticienne du parc. Mais tout ça, il ne pouvait pas le savoir. 

Ils ne se connaissaient pas. Lui n'avait jamais autrement existé qu'à travers les paroles d'Emma. Quant à la jeune femme, était-elle seulement un jour apparue dans la vie de cet homme ? Certainement pas. Ils étaient deux parfaits inconnus l'un pour l'autre et le fait que l'ancien espion à la solde de Kimeria Chemistry n'avait aucune idée des connaissances de la scientifique en était la preuve. Pourtant, il partageait tous deux la lourde responsabilité de connaître les dangereuses ambitions de cette entreprise malfaisante. Et cela semblait suffisant pour que Shivak s'explique aussi ouvertement auprès de l'étrangère qu'il avait face à lui. 

Les première paroles de Shivak avaient eu pour effet de calmer les nerfs de la jeune femme, exténuée par cette journée qui ne parvenait pas à se terminer. Mais la suite des révélations raviva de lourds souvenirs et la scientifique avait de nouveau l'impression de pouvoir craquer de manière imprévisible. Elle venait de prendre conscience que sa fuite, son silence et son inaction venait de mettre en péril le monde tel qu'elle le connaissait. 


Il y eut d'abord un grand silence durant lequel Elina tenta d'encaisser tout ce qu'elle venait d'entendre. Elle l'avait écouté. Du début à la fin. Sans l'interrompre. Et ce que cet homme venait de dire venait de faire remonter à la surface un passé qu'elle avait dissimulé au plus profond de son cœur quand elle avait sombré dans la psychose et la folie. Elle n'était plus au Manchester de San Diego. Les murs s'étaient effondrés et elle voyait désormais autour d'elle la végétation dense de l’île des brumes. Le mobilier avait disparu pour laisser place à des gardes armés tirant sur tout ce qui bouge. Elle se souvenait de tout. Elle ressentait de nouveau cette peur qui la faisait sursauter au moindre bruit suspect, au moindre craquement de branche, au moindre tir d'arme à feu, et son corps se mit à trembler. Mais surtout, elle se souvenait de sa plus grande erreur. Et elle voyait aujourd'hui les conséquences du pire échec de sa vie. 

Shivak savait beaucoup de choses. Mais paradoxalement, il ne savait rien de la situation catastrophique dans laquelle ils étaient tous embarqués. Le compagnon d'Emma avait sûrement beaucoup voyagé pour accumuler tout ce savoir. Il avait dû endurer les pires épreuves possible pour être arrivé jusqu'ici. Il avait même perdu la femme qu'il aimait et qui l'avait aidé à sortir de cette organisation terroriste. L'ancien espion était conscient de ses erreurs et du sort qui se jouait actuellement, et il s'était lancé à corps perdu dans cette quête à la recherche de rédemption. Et elle, qu'avait-elle fait ?

* Qu'est ce que j'ai fait ?! *

Il était difficile de croire que la peau de la roumaine pouvait devenir plus blanche qu'elle ne l'était déjà. Pourtant, c'est ce qui se passa. Elina blêmit en réalisant ce qu'avait coûté ces deux années de silence. Elle se pensait épuisée après les événements du cimetière, mais ces révélations lui ôtèrent ses dernières forces. Les informations de Shivak s'étaient associées aux connaissances de la scientifique et tout devint plus clair, et plus obscur aussi. Tout, autour d'elle, devenait de plus en plus noir, et ses vertiges menaçaient de la faire tomber de sa chaise. 

Elle croyait aux paroles de l'homme qui se tenait face à elle, mais elle ne lui faisait pas confiance. Il était Shivak. Le Shivak que lui avait décrit son amie. S'il était venu pour attenter à la vie de la roumaine, il l'aurait déjà fait depuis longtemps et n'aurait pas pris la peine de parler d'Emma. Pas ainsi. Mais le doute planait quant aux véritables intentions de cet ancien espion autoproclamé. Elina ne savait pas si elle pouvait se confier face à l'homme qui était actuellement assis sur le lit. Que fera-t-il, une fois qu'il saura ? Sera-t-il son sauveur ou son bourreau ? Mettra-t-il fin à toute cette souffrance, ou utilisera-t-il la roumaine pour d'autres ambitions ? Survivrait-elle à une nouvelle trahison ? 

Son regard croisa celui de Shivak. Il avait l'air inquiet. L'était-il pour la jeune femme ? Elle ne le croyait pas. Il s’inquiétait de ce qui allait sortir de sa bouche, des paroles qu'elle allait prononcer, des mots qu'elle allait utiliser. Peut-être était-ce le bon moment pour la scientifique de se repentir ? Une autre occasion se présentera-t-elle seulement un jour ? En tout cas, elle ne pouvait aujourd'hui plus vivre avec ce lourd secret qui la rongeait. Pas en sachant qu'elle avait condamné l'humanité tout en continuant de croire que tout reviendrait dans l'ordre naturellement. Que Emma, et les autres personnes impliquées sauveraient le monde. 

Elle se leva, sans vraiment comprendre comment elle y était parvenue, et commença à réfléchir à la meilleure manière de lancer le sujet. Pour le moment, Shivak ne savait pas que K-C était déjà en possession de ce fameux projet. Il était convaincu que cette molécule à la fois miraculeuse et dévastatrice était encore sur Nublar. Et c'était logique de le croire. Après tout, l'incendie qui avait ravagé le Jurassic Garden avait détruit toute trace de leur passage. Personne n'aurait pu savoir ce qu'il s'y était passé, si ce n'est les témoins de la scène ce jour-là. 

Elle lui lança finalement un regard emplit de peur et de fatigue. Elle avait besoin de calme et de repos. Elle avait besoin d'être seule ou avec des personnes qu'elle ne reverrait plus le lendemain. Elle avait besoin de s’assommer le crâne avec un demi-litre de whisky et de fuir à nouveau cette réalité qui ne lui plaisait pas. Mais elle se retenait de le faire. Elle devait d'abord faire prendre conscience à Shivak que tout ce qu'il essayait de combattre actuellement était déjà en cours de préparation. La Chimère possède déjà des clones et des hybrides, et ça signifie que le chantage génétique et médical allait arriver bientôt. Il fallait se préparer au pire… Ou agir maintenant.

« Il est déjà trop tard Shivak. Tu parles de clonage et de modification de l'ADN, mais tout ça, la Chimère en est déjà capable. Emma chassait les clones quand je l'ai vue pour la dernière fois, et la créature qu'on a vue au cimetière est la preuve qu'ils maîtrisent déjà l'hybridation des espèces mieux qu'InGen. Si tu penses qu'ils feront du chantage pharmaceutique avec le projet T, alors il faut partir du principe qu'ils en sont déjà capable.»

Il semblait perplexe, hésitant. Il avait raison de ne pas écouter les élucubrations d'une femme sortie de nule part. Pour convaincre Shivak que K-C était plus dangereuse qu'il ne le pensait, la scientifique allait devoir en dire davantage. 

« Je l'ai vu Shivak. » Elle se tourna dans sa direction, sans pour autant oser croiser son regard « Le projet T. »

Il avait toujours été là, sous son nez. Elle n'avait jamais cru que ces choses qu'elle créait étaient des dinosaures. Pourquoi utiliser l'ADN d'une grenouille moderne ? Pourquoi donner une collerette au Dilophosaure ? Pourquoi le Carcharodontosaurus avait-il les mêmes caractéristiques que la Desmodus rotundus ? Au même titre que le meurtrier d'Emma, les créatures du Jurassic Park ne sont rien de plus que des hybrides génétiques, le mélange de deux espèces qui ne sont pas faites pour se mélanger, un amalgame circassien d'une créature disparue depuis des millions d'année et du fruit de l'évolution d'un poisson qui a un jour voulu conquérir la terre. Mais pour dissimuler ce véritable exploit scientifique, Hammond, Wu, InGen, ils se sont tous donnés un mal fou pour faire croire que c'était aussi simple que ça. Mais l'ancienne responsable des scientifiques du parc n'avait jamais cru en cette simplicité. 



« C'est impossible » souffla-t-il avant de porter son attention sur son arme. Une lueur malsaine se mit à briller dans ses yeux. Elle connaissait ce genre de regard pour l'avoir vu de nombreuses fois à l'hôpital psychiatrique. Ce genre de regard que les gens ont avant de perdre totalement le contrôle. 

Elina paniqua, peut-être avait-il mal interprété les propos de la petite brune. En avouant avoir vu le projet T, peut-être croyait-il qu'elle était liée à la Chimère. Elle s'empressa de continuer ses explications pour lever ce malentendu. 

« Au début, ce n'était qu'une tâche d'encre sur un graphique, un bruit, une interférence dont on m'a convaincue qu'elle était liée à la calibration de l'extracteur. » 

Oui, on avait cherché à tromper, à temporiser la curiosité d'Elina. Cependant, la scientifique avait appris à maîtriser les différents appareils du labo puisqu'une partie de son temps était consacré à la programmation et la calibration des machines ultra-performantes du Jurassic Park. Et la principale caractéristique des interférences est qu'elles ne sont pas supposées être régulières. Et pourtant. 

« Mais une de ces erreurs était trop répétitive pour n'être qu'une simple interférence. Ce n'était pas normal qu'en superposant des résultats d'analyse que l’on obtienne la même courbe avec la même intensité pour la même espèce, aussi petite soit cette courbe. » 

Dans son explication, la roumaine mima la superposition des différents graphiques. Constater la répétabilité de la même courbe, au même endroit, pour toutes les extractions du même « dinosaures » n'avait rien de hasardeux. Après tout, ils n'étaient tous que des clones de leurs prédécesseurs. Il n'y avait que lorsqu'elle travaillait sur d'autres espèces que cette très légère courbe variait d'intensité. 

« Bien sûr, cette régularité pouvait provenir du catalyseur ou de la solution tampon qui est utilisée mais j'ai toujours pris en compte ces paramètres lors de la sélection de mon échantillon de référence. », continua la scientifique qui était lancée sur sa réflexion. 

« Donc, on a une molécule présente lors de chaque méthode d'extraction, en quantité tellement insignifiante qu'elle mériterait d'être reléguée au rang de simple interférence, et qui n'est ni liée à la méthode de préparation de l'embryon ou à la calibration de l'extracteur. C'était forcément quelque chose en plus de l'ADN qui réagissait. Mais cette molécule était présente en quantité tellement faible qu'il m'était impossible de l'isoler… Jusqu'au...» 

Jusqu'au jour où tout a basculé. L'avènement mais aussi la chute de la roumaine. Sa plus belle réussite, et son plus grand regret.

« Jusqu'à il y a deux ans... lors de l'attaque de la Chimère... j'ai croisé une… sorte de plante carnivore digne des plus grands films de science-fiction dans les sous-sol du Jurassic Garden. » 

Les différentes parties de sa phrase étaient très espacés. La roumaine cherchait ses mots. Elle essayait d'être le plus évasive et la plus concrète possible. Il y avait des choses que cet ancien espion n'avait pas besoin de savoir. De sa main bandée, elle fit de grands gestes pour éloigner les paroles que Shivak n'avait pas encore eu le temps de prononcer. 

« Je sais, laisse-moi juste finir mon explication. » 

Elle était consciente que ce qu'elle disait n'avait aucun sens pour le commun des mortels et elle espérait au moins que cet homme, qui savait maintenant de quoi était capable Hammond et cet Handréas, puisse la croire sans poser de questions. 

« Je l'ai poignardé. À plusieurs reprises. Si bien que j'avais son sang sur moi et sur mon couteau. Et quand le calme est revenu au parc, mon premier réflexe a été d'ordonner aux survivants de réparer les machines du labo pour que je puisse analyser le sang de ce monstre. » 

En plus de la confusion qui avait régné les jours suivants l'attaque, Elina avait également profité que la carte mémoire d'un des extracteurs soit endommagée pour faire ses propres recherches sans laisser de traces. Le docteur Wu était suffisamment paranoïaque pour vérifier que les machines du parc ne servent pas les ambitions personnelles des employés, et se montrait très suspicieux dans le cas de l'effacement d'un historique. Une machine défectueuse avait donné l'opportunité à la roumaine de travailler plus librement. Et se plonger dans ses recherches avait également atténué la peine de sa rupture pendant un moment.  

« Sans surprises, cette molécule inconnue était présente dans cette plante avec un taux de concentration à crever le plafond. J'ai donc…heu... isolé cette molécule avec un extracteur à moitié en état de marche… Et… je l'ai analysée avec un autre appareil que j'ai trouvé dans un vieux carton. » 

Elle croisa le regard de Shivak qui semblait intrigué que quelqu'un puisse reconstituer cette molécule, mais la roumaine calma instantanément les espoirs de cet homme. 

« Non ! Non, non, non. Je suis incapable de connaître la composition du projet T ou de le recréer en labo. Je ne suis pas assez bonne pour ça. Je ne connais que sa masse moléculaire approximative qui varie d'un hybride à un autre, sûrement à cause de l'utilisation de différentes souches de la même molécule, ainsi que son spectre électromagnétique général. »

Il semblait confus, ne comprenant pas où la scientifique voulait en venir et quelles étaient les conclusions à tirer de ces explications. 

« Shivak, ça veut dire que si le Chimère utilise le projet T pour faire ses clones, moi je suis en mesure de les repérer. Je suis donc une cible de premier choix pour eux ! Pour cette raison, j'ai détruit mes recherches et je me suis éloignée de tout ça pendant deux ans. Mais… »

Elle avait parlé trop vite. Comme à chaque fois, quand elle parle de ses recherches, Elina s'était emportée et avait laissé libre court à sa parole. Ce « mais » était de trop, et il était désormais trop tard pour faire marche arrière. Elle en avait trop dit. Comme toujours. 

« Mais ce n'est pas la seule raison... » parvint-elle à articuler en prenant une grande inspiration devant le regard insistant de Shivak. 

« Le soir de l'attaque, il y a deux ans, j'ai suivi Ian Malcolm dans les souterrains abandonnés du parc. Quand nous sommes arrivés près du Jurassic Garden, cette mystérieuse plante carnivore dont je te parlais plus tôt gardait une porte secrète. Il s'est servi de mon ex pour distraire la créature pendant qu'il utilisait mes accès pour entrer dans cette salle secrète. Et pendant que je tentais de sauver la vie d'Erin, Ian a fui avec une mallette contenant le projet T. »

Au plus elle se confessait, au plus elle réalisait à quel point son silence ces deux dernières années avait coûté cher à Shivak et à Emma. Elina perdait de plus en plus le contrôle de ses émotions, et tout le corps de Shivak était tourné dans sa direction. Il la dominait par sa taille, sa carrure, et la colère se lisait clairement dans ses yeux vairons que la roumaine tentait désespérément de fuir. Au bord des larmes, Elina continua sa confession. 

« Nous avons finalement réussi à mettre le feu à cette plante monstrueuse, et au Jurassic Garden par la même occasion. J'ai traversé la forêt pour essayer de rattraper Ian, mais… J'ai échoué. Je ne savais pas que le docteur Malcolm allait nous trahir, sinon je ne lui aurais jamais donné mon badge d'accès. » 

Cette fois-ci, la conclusion était évidente. Elle aurait pu se taire. Elle aurait voulu se taire. Mais il voulait savoir. Il voulait l'entendre. Il voulait en être sûr. Et ça se voyait à sa posture menaçante et à son regard perçant. 

« C'est moi qui ait donné le projet T à la Chimère. »

Comprends-tu maintenant pourquoi c'était elle la pire amie que l'on puisse un jour avoir dans sa vie ?

C’est un scientifique appelé Wellan Wörst qui a prit les traits du professeur Malcolm ce jour là. C’est le…. L’hybride que tu as assommé. Le véritable Ian cherche avec Tim Murphy, le neveu de John Hammond, un moyen de stopper Handréas et ses hommes. »

« D'accord, je »

« Tu n’es nullement fautive Elina. Bien au contraire, je pense que tu as les capacités de tous nous sauver... »

« ok peut-être mais je ne »

« Si j’ai bien compris, tu es en mesure d’isoler la Tétracyclomisyne pour pouvoir la localiser, un peu comme un GPS c’est bien ça ? »

« oui c'est ça, mais écoute »

« Dans ce cas, j’ai besoin de toi. Je voudrais que tu m’accompagnes. Il faut que l’on retourne sur Isla Nublar ».

« Shivak ! Je ne viendrai pas avec toi sur Nublar. Aucune force au monde ne me fera retourner sur cette île... »


C'est à cet instant qu'ils réalisèrent à quel point ils étaient différent. Elina venait de briser le miroir dans lequel Shivak pensait voir son reflet lorsqu'il regardait la jeune femme. Elle n'était pas la lumière au bout du tunnel pas plus qu'elle ne représentait les ténèbres qui entourait cet homme. Elle venait même d'éteindre cette lueur d'espoir aussi rapidement qu'elle aurait pu le faire en soufflant sur une bougie, laissant derrière elle une odeur irritante et une sensation sèche dans la gorge. Ils partageaient tous les deux un lourd fardeau à n'en pas douter, et avec lui venait le poids des responsabilités. C'est sans doute ce qui expliquait pourquoi Elina et Shivak avaient l'air abattus. Mais leur culpabilité, et leurs secrets, étaient les seules choses qu'ils avaient en commun. Et pendant que l'ancien espion de la Chimère pensait racheter ses fautes en arrêtant son ancienne organisation, la scientifique quant à elle avait déjà abandonné toute envie de se battre depuis bien longtemps.

La situation actuelle ressemblait au naufrage d'un navire. Le bateau étant en train de couler, tout le monde cherche actuellement un moyen de sauver sa peau par tous les moyens. Certains se marche les uns sur les autres. D'autres, fatalistes, acceptent leur mort et jouent « Nearer, My God, to Thee” avec leurs instruments. Et dans la panique ambiante, Shivak tentait de boucher le trou dans la coque pendant qu'Elina observait le monde s'écrouler depuis le sommet de la plus haute cheminée. Il suffisait de patienter et d'analyser la situation pour s'y adapter au mieux. Et quand viendra le moment d'intervenir, Elina rejoindra tout ces badauds sans valeur. Est ce que ce sera pour rejoindre un canot de sauvetage, pour vider la cale après réparation de la fuite, ou pour écraser les plus faibles afin d'assurer sa propre survie ?

C'était une vision purement égoïste mais tellement réaliste de ce que représentait la Chimère et sa quête du projet T aux yeux de la roumaine aujourd'hui. Pourtant, elle n'avait pas toujours vu la situation sous cet angle. Au début, elle avait été terrifiée par les terribles conséquences qu'aurait pu valoir son échec et sa découverte. Elle s'était même fait tirer dessus pour avoir partager ses informations avec sa meilleure et seule amie. Mais ces deux dernières années, personnes n'avait de nouveau attenté à la vie de la scientifique. Peut-être s'étaient-ils tous dit que la jeune femme était suffisamment doué pour se foutre en l'air toute seule à tel point que leur intervention n'était pas requise. Et dans un sens, ils avaient eu raison. Mais de cette période de peur et de paranoïa, Elina avait appris à relativiser : autant les regarder s'entre-tuer et rejoindre le camp des vainqueurs si cela s'avérerait nécessaire.

Shivak savait beaucoup de choses, mais il ne savait rien des ambitions de la scientifique. Il s'était sans doute imaginé qu'ils sauveraient le monde tous les deux en apprenant qu'Elina était capable d'isoler une des composantes essentielles à la recombinaison génétique des hybrides du parc. Pourtant, ce que l'ancienne généticienne était parvenue à faire, toutes les personnes dotées de neurones pouvaient y arriver également. Aux yeux d'un homme de terrain ne connaissant que la manipulation et le combat, l'univers scientifique pouvait paraître très complexe. Mais si la roumaine avait pu isoler cette étrange molécule il y a deux ans, alors n'importe qui aurait pu avoir réalisé cette manipulation entre-temps. Il était difficile de croire qu'elle était la seule personne sur qui Shivak pouvait se fier. Le jeune homme trouverait sûrement quelqu'un d'autre pour l'accompagner dans son combat. S'il voulait qu'Elina l'accompagne, l'ancien espion de la Chimère allait devoir convaincre une personne égoïste, apeurée, et rationnelle de mettre sa vie en danger pour un bien commun dont elle n'avait rien à foutre.

Voir le monde brûler en sachant qu'elle aurait pu empêcher cela ne serait pas un fardeau trop lourd à porter pour la jeune femme. Après tout, que pouvait-elle faire ? Elle ne savait pas se battre, et se blessait dès qu'elle utilisait une pelle. Elle faisait également preuve de beaucoup de maladresse avec les armes à feu. Emma avait essayé de lui apprendre à tirer, mais la roumaine était un cas désespéré à ce niveau là. Comment pouvait-elle sauver le monde de la Chimère et de ses sbires alors que tout ce dont elle était capable de faire était de fuir et de se cacher ? Elina en était convaincue, elle serait un poids pour lui s'ils s'associaient.  


Et puis, quel genre de personne voudrait s'associer avec lui ? Elle venait de lui ouvrir son cœur, de partager sa peur la plus profonde et lui, venait de rire aux éclats. La situation était pourtant dramatique ! L'ennemi avait entre les mains l'arme la plus puissante au monde. K-C avait désormais entre les mains la capacité de modeler le monde à son image. Plus rien ne serait jamais comme avant ! Et la responsable de cette catastrophe lui faisait face. Et lui, il s'en moquait. Si Shivak prenait cette situation avec autant de légèreté, cela signifiait qu'il avait en sa possession des éléments que la roumaine n'avait pas ou qu'il était encore un membre actif de la Chimère et qu'il était venu finir le travail.

À cette idée, la roumaine recula lentement vers la table où se trouvait son sac et commença à chercher son arme à tâtons, tout en faisant face à cet ennemi potentiel.

« Elina, la Chimère n’a pas le « Projet T ». Tu ne leur à rien donné d’important. Tu es malheureusement victime d’une manipulation. »

Il s'était tourné vers elle après s'être calmé, et la jeune femme ne s'était pas attendue à ce genre de révélation. Elle s'était déjà imaginé une réplique du genre « oui c'est grâce à toi, et on te remercie » avant que l'homme ne pointe une arme vers la roumaine en lui disant « passe le bonjour à Emma ». Et ce scénario aurait été préférable plutôt que d'entendre qu'on l'avait manipulé, une fois de plus. Mais puisque Shivak ne semblait pas hostile pour le moment, et qu'il s'était amusé de la situation plutôt que de s’être moqué de la scientifique, il était peut-être intéressant d'écouter ce qu'il avait à dire.

« Je te remercie de t’être confié ainsi, je pense qu’il est trop tôt pour se faire confiance, mais je commence à comprendre pourquoi Emma parlait de toi. Je pense que si nous nous étions rencontrés plus tôt, tout aurait pu être différent. »

En effet, il était beaucoup trop tôt pour parler de confiance. Ils semblaient partager la même tristesse, les mêmes responsabilités, mais rien ne garantissait que les intentions de cet homme étaient bonnes. Les dernières révélations de la petite brune avaient changé radicalement l'ambiance générale de la pièce. Shivak avait semblé détendu, rassuré, au fur et à mesure que la scientifique avait raconté son histoire. Et depuis qu'il avait repris la parole, il y avait quelque chose de nouveau dans la voix du jeune homme. Il y avait de l'espoir.

Mais Elina ne partageait pas cette joie. Oui, les choses auraient sûrement été différentes s'ils s'étaient croisés plus tôt. L'ancien espion aurait alors trouvé une maniaco-dépressive toxicomane gisant au milieu de centaine de cadavres de bouteilles. Mais s'ils avaient pu se confier l'un à l'autre à cette époque, peut-être que la jeune femme aurait pu y voir l'opportunité de se relever et de se racheter de ses fautes. Et ce n'était plus le cas aujourd'hui.

Certes, elle n'était pas parvenue à se pardonner son silence et son échec qu'elle avait cru terrible pour l'humanité. Mais elle s'était relevée seule, et elle avait continué à avancer en portant ce lourd secret. Elle s'était rassurée en sachant que si le Chimère détruisait le monde, elle pourrait toujours s'adapter.  

Ce qui avait été le plus dur à supporter pour la jeune femme, c'était de ne pouvoir parler à personne de ce qu'elle avait vu, de ce qu'elle avait fait. Les avocats d'InGen étaient capables de mettre énormément de pression avec leur clause de confidentialité. Et de toute façon, personne ne la croirait ou ne la comprendrait. Shivak, lui, avait offert l'opportunité à la jeune femme de rencontrer quelqu'un qui pourrait la comprendre et qui pourrait l'aider également à comprendre pourquoi tant de gens étaient mort sur le parc. Il serait également capable de donner un sens à toutes ces manipulations dont elle a été victime.

« Ce que tu as découvert, c’est une cellule appelée Tétracyclomicyne. Elle existe en infime quantité sur chaque dinosaure recrée. Tu as vu juste à ce sujet. Elle provient de la Tulipa Tempus dont je t’ai parlé. C’est cette fleur qui est le « Projet T ». Ce que vous avez trouvé dans les souterrains, ce n’est qu’un sérum synthétique recherché par Handréas pour soigner une maladie incurable qu’il traîne depuis plusieurs années. »  

Le langage non verbale de Shivak ne trompait pas. Si le simple geste de se gratter la tête pouvait sembler anodin, cela montrait à la scientifique que ses paroles avaient été prononcer non sans une légère pointe de honte. L'homme en face d'elle n'était pas son ennemi. Il ne pouvait pas l'être. Elle le lui interdisait. Elina était fatiguée, et se sentait poisseuse. Elle n'était pas en état de se battre, pas plus que de se défendre. Il ne devait pas être son ennemi…

Le professeur Malcolm lui avait en effet parlé des propriétés curatives phénoménales de ce fameux projet, et la scientifique comprenait enfin la différence entre ce qu'elle avait découvert après l'attaque du parc et ce qui avait été volé par l'homme qu'elle avait admiré. La colle qui permettait de lier les gènes de deux périodes différentes était donc la Tetracyclomicyne. Instinctivement, Elina tenta de reconstruire la molécule dans sa tête avec le nom de la molécule, mais il devait s'agir d'un nom simplifié car aucune nomenclature ne faisait mention d'un carbonyle « micyne » en chimie organique. Peut-être que Shivak avait mal compris, et qu'il s'agissait en fait d'une Myosine ou d'une Aminoside.

Dans tous les cas, cette molécule n'était en fait qu'une seule caractéristique de cette tulipe préhistorique qui en possédait bien plus. Si la chimère était parvenu à mettre la main sur un sérum de vie créé grâce à cette plante, ils auraient déjà dû être capables de la recréer en labo. Ils devaient en avoir les moyens. À moins que… à  moins que pour pouvoir recréer ce sérum, ils aient besoin de la fleur originale. Ça voulait donc dire que Shivak et K-C étaient donc à la recherche d'une tulipe bleue sur l'une des différentes îles que possédaient InGen. L'attaque sur le parc n'avait donc servi qu'à prolonger l’espérance de vie du dirigeant de la Chimère. Le but que suivait Shivak actuellement était donc d'empêcher cette société terroriste de s'emparer de la fleur et de laisser Handréas mourir naturellement. K-C n'auraient alors plus aucune raison d'exister… À priori.

« Ian n’a jamais été présent dans ces souterrains et les clones n’ont jamais existé. La Chimère utilise une nanotechnologie de pointe appelée « Doppleganger » qui vise à reproduire à la perfection le visage d’une personne choisie, comme si l’on portait un masque. »

Il s'agissait là de la pire nouvelle de la journée. Elle qui pensait être à l'abri de la Chimère en pouvant démasquer leurs éventuels clones, elle venait de perdre tout espoir de se sentir un jour en sécurité. Le domaine de la nanotechnologie dépassait largement les connaissances d'Elina qui n'était qu'une simple généticienne. Si ce que disait Shivak était vrai, alors il serait impossible de différentier les vrais et les faux amis. Un masque qui nous donnait l'apparence et la voix de la personne voulue, voilà un procédé bien pervers. La roumaine n'avait désormais plus aucune carte à jouer dans cette partie. Elle était définitivement hors jeu. Ce qui était rassurant en fait. Elina pensait que ses connaissances faisaient d'elle une cible importante pour K-C. Mais finalement, sa découverte ne changeait rien pour le groupuscule terroriste qui ne s'intéressait pas à la TCM.

« C’est un scientifique appelé Wellan Wörst qui a prit les traits du professeur Malcolm ce jour là. C’est le…. L’hybride que tu as assommé. Le véritable Ian cherche avec Tim Murphy, le neveu de John Hammond, un moyen de stopper Handréas et ses hommes. »

Il s'était avancé. Elle avait reculé.
Il la dévorait du regard pendant qu'elle fuyait le sien.
Elle savait où le grand brun voulait en venir. Elle l'avait vu dans ses yeux, et l'avait entendu dans sa voix. Mais il faisait fausse route. Si le véritable Ian, le neveu de Hammond et Shivak étaient en train de chercher un moyen d'arrêter la Chimère, alors tant mieux pour eux. Mais la roumaine n'ajouterait pas son nom à ce groupe de résistant.

« D'accord, je »

« Tu n’es nullement fautive Elina. Bien au contraire, je pense que tu as les capacités de tous nous sauver... »

Tous les sauver ? Elle ne le voulait pas. Elle ne connaissait personne à sauver, si ce n'est elle-même. Alors pourquoi prendrait-elle de tels risques pour des personnes qu'elle ne connaissait pas ?  

« ok peut-être mais je ne »

« Si j’ai bien compris, tu es en mesure d’isoler la Tétracyclomicyne pour pouvoir la localiser, un peu comme un GPS c’est bien ça ? »


C'était exact, mais pour faire cette manipulation la scientifique avait besoin de produits organiques, de solvants et de détergents chimiques, d'un extracteur, d'un centrifugeur, d'un spectrophotomètre à fluorescence. Elle avait besoin d'un laboratoire entier ! Cela n'avait de rien d'aussi simple que de tracer un signal GPS avec un traceur.

Il s'était encore avancé. Mais rien de menaçant n'émanait de cet homme. À la place, elle sentait que son excitation montait en flèche. Il voyait en Elina une lumière qu'il avait sans doute chercher pendant deux ans. Mais il se trompait. Il s'imaginait des choses qui n'arriveraient jamais.

« oui c'est ça, mais écoute »

« Dans ce cas, j’ai besoin de toi. Je voudrais que tu m’accompagnes. Il faut que l’on retourne sur Isla Nublar ».

« Shivak ! »

Elle le gifla de sa main valide pour l’arrêter. Il était parti trop loin. La jeune femme ne pouvait pas le laisser continuer sur cette voie. Tout ce que voulait Elina pour l'instant, c'était de pouvoir enfin se reposer. Mais elle ne dormirait pas avec Shivak dans la même pièce, pas plus qu'elle ne le suivrait sur cet île infernale. Et ça, l'ancien espion devait de comprendre maintenant. Elle lui avait sauvé la vie, et il lui avait donné des réponses. Elle lui avait donné une piste, et il lui avait partagé des informations importantes. Aux yeux de la roumaine, ils étaient quittes.

« Je ne viendrai pas avec toi sur Nublar. »

Elle plongea son regard dans les yeux du jeune homme. Elle le voyait désormais. L'homme qui avait réussi à séduire Emma. L'humain qui, après s'être perdu au fin fond de son âme, était revenu à la surface. Elle pouvait même voir le cœur battant du grand brun, ce même cœur qui dictait aujourd'hui ses actions et le faisait avancer. Il n'était plus une coquille vide qui se contentait de faire ce qu'on attendait de lui. Il n'était plus un acteur dissimulant ses véritables émotions avec un sourire faussement rassurant. Ses yeux ne mentaient pas. Elle y voyait de l'incompréhension, et sans doute un peu de colère après son geste. Mais la jeune femme y voyait également sa détermination. Son courage. Son honneur qui était en jeu. Et le spectacle était tellement magnifique qu'elle se laissa emporter par cette intensité. Elle aurait aimé lui renvoyer la même image afin que Shivak puisse se rendre compte de sa propre valeur. « Être humain » n'avait jamais eu autant de sens qu'à ce moment précis.

Pourtant, le regard d'Elina n'avait rien en commun avec l'homme qui se tenait fièrement face à elle. Elle était terrorisée et épuisée. À cet instant, la roumaine serait prête à vendre son humanité pour une bouteille d'alcool et la promesse d'une bonne nuit de sommeil. Et en refusant catégoriquement de l'accompagner sur cette île, elle vit l'étincelle d'espoir s'éteindre dans ses yeux vairons. Elle était tellement déçue de décevoir cet homme que la culpabilité lui fit se mordre les lèvres. Elle n'était pas humaine. Elle était lâche, et faible, et elle l'avait accepté depuis longtemps. Elle n'avait rien d'une héroïne. Elle n'était pas Emma. Elle n'était pas Shivak.

« Aucune force au monde ne me fera retourner sur cette île... » insista la jeune femme pour prouver sa propre détermination à Shivak.

Elle baissa la tête, sentant l'impact qu'avait eu ses paroles sur le jeune homme, et fit un pas en arrière avant de croiser les bras pour le libérer de son emprise. Et un lourd silence se mit à planer dans la pièce pendant qu'Elina s'éloignait de la source de sa culpabilité. Elle se dirigea vers la porte de la chambre, l'ouvrit, et se mit à attendre, bras croisé, que son invité ne prenne congé auprès d'elle.

Il la suppliait, semblant totalement désarmé par le refus de la roumaine. Elina ne comprenait pas ce qu'elle avait de si spécial qui puisse mettre cet homme en déroute. Ce qu'elle avait fait n'était en rien un exploit. Et surtout, cela n'avait plus aucune utilité. Elle était capable de déceler la TCM dans des créatures dont on savait qu'ils avaient cette molécule en eux. C'était un peu comme prouver l’existence du sang dans un corps humain. Sa découverte ne valait plus rien. Et pourtant, Shivak insistait pour qu'elle l'accompagne sur l'île. Il insistait pour que l'ancienne généticienne du Jurassic Park l'accompagne sauver le monde.

Mais tout ce que voulait Elina, c'était de voir cet homme partir. Elle avait besoin de repos. Elle avait besoin d'une douche. Elle avait besoin de changer ses vêtements poisseux qu'elle portait depuis le cimetière où la pluie avait fait rage. Elle n'avait certainement pas besoin que Shivak reste une seconde de plus dans cet hôtel. Mais ça, il ne semblait pas le comprendre. Il se refusait à le comprendre. L'ancien espion s'obstinait à vouloir l'aide d'Elina Moldovan : la scientifique ratée d'InGen. Ça n'avait aucun sens.

Cependant, elle ne pouvait pas nier que la sincérité du jeune homme était touchante. Il semblait réellement déterminé à aider les autres contre la Chimère. Mais qui étaient ces « autres » pour Elina ? Des fantômes, des âmes errantes dont les noms avaient à peine ravivé quelques souvenirs morcelés par le temps. Ils ne représentaient rien pour Elina, et c'était sûrement réciproque. Mais pour Shivak, ces personnes comptaient, à tel point qu'il était prêt à se battre et qu'il en était venu à sacrifier son honneur en implorant la scientifique de les aider, eux. Lui, il ne méritait pas qu'Elina perde le peu qu'elle était parvenu à sauver de ce cauchemar. Mais pour lui, la jeune femme devait mettre sa vie en jeu pour aider leurs anciens collègues. C'était absurde.

La roumaine n'avait jamais pris le temps de tisser une relation suffisamment solide avec aucun des noms qu'il venait de mentionner pour justifier un tel dévouement de sa part. Mais Shivak était prêt à tout pour aider Cole, Marcos, et Shaélynn dans ce combat. Pourtant, aussi loin qu'elle s'en souvenait, le documentaliste de l'époque n'avait pas une si bonne réputation auprès de ces employés du parc. Leur relation s'est sans doute forgée au cours de ces deux dernières années. Avoir le même objectif et un ennemi commun avait sans doute contribué à renforcer le lien qui les unissait. Il avait désormais trouvé des personnes à protéger et un sens à sa vie. Et quelque part, il avait réussi là où la scientifique avait échoué. Il pouvait s'estimer chanceux et riche de pouvoir jouir d'un tel cercle social. Et ses compagnons de mésaventure étaient sûrement redevables de tous les sacrifices que Shivak était prêt à faire.

« Deux minutes. » lâcha-t-elle froidement avant de fermer la porte, tout en laissant planer le lourd sous-entendu qu'il n'y aurait pas une seule minute de plus.

Elle lui donnait deux minutes pour la convaincre. Elle attendait de lui qu'il lui trouve une raison de l'aider. Pensait-il réellement pouvoir trouver un argument après tout ce que la roumaine lui avait dit ? N'avait-elle pas été assez claire ? Ou s'agissait-il d'un caprice venant d'une personne qui n'avait jamais appris à entendre « non » ? Difficile pour la roumaine de comprendre les véritables intentions de l'homme qui lui faisait face. Mais ce qu'Elina avait le plus de mal à comprendre, c'était pourquoi elle lui avait donné une chance de la convaincre.

En vérité, la jeune femme avait besoin d'argent. Peut-être que Shivak pouvait lui proposer une somme d'argent suffisamment conséquente pour rembourser ses différents crédits et ses différentes dettes. Mais Elina était-elle seulement prête à vendre littéralement son âme pour quelques billets verts? Et puis, à quoi lui servirait cet argent si elle mourrait sur l'île ? De plus, la roumaine jugeait les gens et se jugeait elle-même, au mérite. Elle s'était battue pour fuir ce parc. Elle s'était battue pour retrouver une routine fade et ennuyeuse. Elle survivait et elle avait appris à en être fière. Toucher à de l'argent qu'elle n'avait pas gagné ne l'intéressait pas. Elle n'était même pas sûre de mériter la générosité de Shivak.

Cependant, son boulot de serveuse lui permettait à peine de contribuer au loyer et aux factures. Une fois l'argent versé pour rembourser une partie de ses dettes, il restait à la jeune femme moins de 200$ pour vivre. Pourtant, elle n'était pas conne. N'importe quel labo serait prêt à embaucher un ancien employé d'InGen et Elina était plutôt bonne dans son domaine. Malgré ses dépendances chimiques et affectives, elle était parvenue à retrouver facilement du travail après que K-C ait laissé une marque indélébile dans son cœur. Mais rien n'était plus pareil. Aucun des autres laboratoires qu'elle avait trouvés ne lui avait fait ressentir la même excitation, la même euphorie, les mêmes sensations qu'elle avait connu auparavant. Elle s'y était ennuyée. Elle s'y était perdue. Et la seule chose qui la faisait se sentir encore vivante aujourd'hui, c'était de se faire harceler par des clients alcoolisés du bar. Mais au moins, on ne la considérait plus comme un génie.  

Toutes les personnes qui avaient mis un jour en valeur les talents intellectuels de la scientifique avaient fini par la trahir. A tel point qu'elle haïssait aujourd'hui sa plus belle qualité. La jalousie et la convoitise avaient été les seules émotions qu'elle avait vu dans le regard des autres quand ils se rendaient compte des nombreuses connaissances de la jeune femme. Et de son côté, son génie l'avait plongé dans l’orgueil et le contentement. Pourtant, n'importe quel primate doté des mêmes capacités cérébrales pouvait faire ce qu'elle faisait. Les humain naissent égaux et choisissent par la suite la voie de la facilité plutôt que celle du travail. Si au lieu de se saoûler la gueule pendant leurs études les étudiants écoutaient un peu plus leurs professeurs, le monde serait rempli de gens comme elle ! Et elle ne serait alors plus la seule à souffrir de cette solitude dont souffrent les gens intelligents.

Alors, devait-elle risquer sa vie pour sauver ces fainéants qui ne parvenaient pas à la comprendre ? Devait-elle se mettre en danger pour que les piliers de comptoir puissent continuer à lui mettre la main aux fesses à chaque fois qu'elle passait devant eux ? Y avait-il seulement une seule personne au monde qui méritait d'être sauvée ? La roumaine connaissait déjà la réponse à cette dernière question. Évidemment que tout le monde ne méritait pas de subir les atrocités que planifiait la Chimère en secret et il y avait également encore quelques rares personnes auxquelles Elina tenait malgré elle. Mais elle en était persuadée, elle parviendrait à les protéger. Elle était un génie après tout…

Travailler dans des bars lui avait au moins permis de forger son caractère. Et, paradoxalement, ça l'aidait également à gérer son alcoolisme. Même si elle ressentait désormais beaucoup moins les effets du manque, la tentation était toujours présente. Mais voir quotidiennement ces déchets sans valeurs baigner dans leur propre vomis renvoyait une image suffisamment choquante pour convaincre la jeune femme qu'elle ne désirait plus finir comme eux. Elle s'était jurée de ne plus retomber aussi bas et elle tiendrait cette promesse. Même si un petit verre de temps en temps ne faisait pas de mal. Même si, elle le savait, un petit verre maintenant lui ferait du bien. Peut-être même que l'alcool l'aiderait à trouver le courage de retourner affronter les dangers de l'île des brumes.

Dans tous les cas, si elle acceptait d'accompagner Shivak, il lui serait redevable. Quoi que… les morts n'ont aucune dette à payer. S'il lui arrivait quelque chose sur Nublar, il serait impossible pour le jeune homme de lui rendre ce service. Et puis, que pouvait-elle lui demander ? Avait-elle seulement le droit de lui demander quelque chose. Elle n'était personne et ne servirait à rien dans cette histoire. Elina voulait comprendre pourquoi le grand brun insistait tant pour qu'elle le suive. Peut-être que Shivak avait lui aussi besoin de se sentir en sécurité en ayant avec lui une présence rassurante. Peut-être avait-il lui aussi peur de finir seul.

Et puis, s'il voulait vraiment avoir la roumaine à ses côtés, rien de l'empêcher de prendre son pistolet et de lui coller sur la tempe. Même si Elina avait appris à se battre avec son amie et qu'elle avait déjà échangé quelques coups dans les bars, elle n'aurait aucune chance de résister face à cet ancien espion surentraîné. Mais s'il choisissait la violence, Shivak perdrait alors toute crédibilité auprès de la jeune femme. Lui qui avait commencé la soirée en précisant qu'il avait coupé tout lien avec la Chimère montrerait alors son vrai visage. Si cela devait se produire, elle se battrait. Peut-être pas directement, mais elle ne se laisserait pas faire. À la moindre occasion, elle lui planterait sa lame pour qu'il l'accompagne dans la mort. La jeune femme était déterminée à ne plus se laisser manipuler par personne.

Elle le regarda et attendit un argument qui ne venait pas. Comme le jeune homme était assis sur le lit, Elina le dépassait de quelques têtes malgré sa petite taille, accentuant sûrement l'impression qu'elle ne reviendrait pas sur sa décision. Pourtant, elle attendait une réponse. Bras croisés, le regard fixe, contrôlant le rythme de sa respiration, elle doutait réellement que Shivak ait le pouvoir de la convaincre parce que elle-même ne parvenait pas à trouver une raison de le suivre. Et finalement, le miracle ne vint pas.

« En fait… C’est peut être toi qui a raison... »

Elle sentit toute la résignation de l'homme dans ses paroles. Elle avait gagné. Elle était parvenue à tenir tête à ce fou qui voulait détruire son ancienne organisation. Mais cette victoire laissait un goût amer dans le cœur de la roumaine.

- « … Tout claquer, tout quitter, ne plus se soucier des problèmes alentour…J’aimerais tellement pouvoir moi aussi me reposer, arrêter d’être en cavale, siroter un mojito sur une plage paradisiaque et ne m’occuper que de ma petite personne. Tout le monde aspire à la tranquillité, à une vie paisible... »

De nouveau, sa sincérité toucha la jeune femme qui ne se sentait plus aussi fière d'être égoïste. Finalement, Shivak lui ressemblait plus qu'elle ne voulait l'admettre. Lui aussi cherchait le calme et la paix d'une vie simple et sereine. Tout comme la jeune femme, il avait envie que tout s'arrête pour enfin profiter d'un repos mérité. C'était pour ce rêve qu'il se battait et qu’elle fuyait. La scientifique avait envie de l'inclure dans le cercle des personnes qu'elle voulait protéger mais elle venait de se rendre compte à quel point cette idée de protéger les personnes qu'elle aimait était fragile. Il était un dangereux assassin, cherché dans le monde entier par les cartels les plus sombres de la planète et elle, elle n'était qu'une serveuse qui s'imaginait trouver la solution miracle à une guerre biologique. Comment pourrait-elle le protéger, lui et leur rêve commun, alors qu'elle n'était personne ? L'arrogance faisait également partie des défauts associés à son génie. Elle se sentait honteuse.

Shivak avait quitté le lit et la dominait maintenant de toute sa taille. Pourtant, il n'avait rien d'intimidant dans sa posture. Elina voyait simplement un homme déçu de la tournure des événements récents. Il y avait un mélange de chagrin et de colère dans le regard de l'espion lorsque celui-ci changea le ton de la conversion pour la transformer en un jugement injuste.

- « Si ta stratégie c’est continuer de te morfondre sur toi et sur ton sort et bien soit. Continue à vagabonder entre l’alcool et tes regrets. On se retrouvera sur la tombe de tes autres « amis » que tu auras laissé tomber. »

Elina affronta à nouveau le regard de l'espion mais la rage avait remplacé la honte. Comment pouvait-il se permettre de juger la jeune femme ? Que connaissait-il de sa souffrance et de son désespoir ? Que savait-il d'Elina Moldovan et de son alcoolisme ? La roumaine était perdue. Il avait visiblement fait quelques recherches à son sujet, Shivak savait donc à qui il avait à faire quand il a accepté de rencontrer la jeune femme dans cet hôtel. Pourquoi lui reprocher maintenant ce qu'il savait depuis le début ? Il n'était personne pour lui faire des leçons de morale.

- « Content de t’avoir rencontré. On se retrouvera là-haut, avec Emma. »

Et bien qu'il se casse, lui et son arrogance ! Elina ne parvenait pas à trouver une réponse qui n'incluait pas une nouvelle gifle. Mais aucun des coups que lui porterait la roumaine ne pourrait faire ressentir à Shivak la douleur de ses paroles. Il se croyait tellement supérieur sous prétexte qu'il voulait sauver le monde et protéger ses amis. Si ça lui permettait de croire qu'il était devenu un mec bien, grand bien lui fasse ! Mais il venait de prouver par sa réaction capricieuse qu'il était toujours un immonde connard.

Elle le regarda prendre ses affaires et quitter la pièce en lui renvoyant son regard plein de dépit. La jeune femme sursauta quand il claqua la porte. Elle était autant frustrée et en colère que lui, sauf que Shivak n'avait à aucun moment cherché à se mettre à la place de la roumaine ou du moins d’essayer de la comprendre. Il était aussi égoïste qu'elle mais au moins, il était parti.



La porte s'était refermée. Enfin. Elle était désormais enfermée avec elle-même dans cette chambre, en tête à tête avec ses angoisses, ses peurs, sa solitude et sa détresse. Au fond c'était ce qu'elle voulait depuis le début : être seule. Elle n'avait jamais voulu revivre ça. Elle n'avait jamais voulu reparler de cette île, de ce travail, de ses collègues. Tous ces éléments faisaient partie d'un passé qu'elle avait enterré depuis longtemps. Ce boulot sur Nublar avait failli lui coûter la vie plus d'une fois. Chacune des missions avait exposé la scientifique dans des situations plus que inconfortables et elle s'était sortie de ces situations avec, à chaque fois, une nouvelle blessure. Grâce à ses efforts, elle était parvenue à fuir et à oublier cette vie. Jusqu'à aujourd'hui.



Jamais la roumaine n'aurait jamais pu imaginer qu'assister aux funérailles de son amie auraient eu ce genre de conséquences. Elle s'était imaginée pleurer sur la pierre tombale, prononcer quelques paroles d'adieux avant de retourner à San Francisco et continuer à vivre comme si tout ça n'avait été qu'un mauvais rêve. Mais l'enterrement avait pris une tournure inattendue. La présence du meurtrier d'Emma, l’existence d'un hybride humain monstrueux, les révélations sur le projet T. Pendant que la jeune brune s'était cachée aux yeux d'InGen et de tous ses concurrents, les choses avaient drastiquement évolué et la situation aujourd'hui était pire que catastrophique. Le monde tel qu'elle le connaissait était en train de devenir un véritable cauchemar. Et Emma était morte en essayant de l'en empêcher.

Pourtant, la scientifique n'avait pas tout de suite accepté la disparition tragique de son amie. La théorie des Clones avait permis à Elina de garder un semblant de contrôle et avait entretenu l'espoir d'un miracle. Si elle avait pu prouver la présence de la TCM dans le sang du corps qui ressemblait à Emma, elle aurait pu prouver que la vraie Emma était encore en vie et que dans le cercueil se trouvait une simple copie envoyée par la Chimère pour duper ou piéger Shivak ou ses proches. Mais ce fantasme qui avait aidé la roumaine à échapper à la réalité avait été détruit par le projet doppel et par les révélation de ce monstre de Wellan. Emma était bel et bien partie, pour toujours et Elina n'avait désormais plus aucun espoir de revoir l'amie qui lui avait autrefois sauvé la vie.

Emma était morte et ça, c'était la réalité. Elle devait l'accepter. Tout le reste n'était que théorie ou extrapolation d'idées. Mais une autre chose était sûre : Elina ne pouvait pas laisser ce crime impuni après tout ce que l'Américaine avait fait pour elle. Alors, la jeune femme sortit son visage de ses genoux pour fixer amèrement le vide de sa chambre d'hôtel  et fit la même promesse que son amie deux années plus tôt.

« Repose toi maintenant. Je vais retrouver celui qui t'a fait ça et je vais le lui faire regretter »

_________

Elle parvient juste à temps à bloquer les portes des ascenseurs, les empêchant de se refermer. Et lorsqu'elles se rouvrirent, Shivak pouvait voir les yeux rouges de tristesse de la jeune femme. Mais il pouvait également voir un regard sévère, déterminé et profond. Elina, à bout de souffle après avoir couru qu'une vingtaine de mètres, ne savait pas si elle avait fait le bon choix en rattrapant l'ancien espion. Mais elle était désormais convaincue que ne rien faire serait une idée bien pire.

Son regard, à lui, devint plus grand, moins sombre. Ses yeux s'écarquillèrent en revoyant le visage de la roumaine. Sans doute avait-il déjà accepté l'idée de ne plus la revoir. Sans doute s'était-il résigné à devoir combattre cet ennemi seul. C'était certainement la raison de l'étonnement et de la stupeur de Shivak, à tel point qu'il faillit en perdre sa mâchoire. Mais la jeune femme n'était pas revenue sans conditions ni règlement de compte.

Bloquant la porte de sa main blessée, elle plongea son regard dans celui de Shivak. Il exprimait de nombreuses émotions que la scientifique ne parvenait pas à interpréter. Mais la seule chose que cherchait Elina à travers les yeux du jeune homme, c'était de savoir s'il ne lui mentirait pas. Elle ne le laisserait pas abuser d'elle. Et si elle avait le moindre doute à son sujet, il la perdrait.

Elle prit la parole en même temps que lui et le coupa involontairement.

« La seule chose que je déteste plus qu'un inconnu qui fouille dans ma vie privée, c'est d'être jugée par ce même inconnu. »

Shivak savait beaucoup de choses. Mais savait-il seulement la fatigue que provoquait l'insomnie et les cauchemars ? Savait-il la difficulté de vivre avec une addiction ? Savait-il seulement comment communiquer normalement avec des gens normaux ? Emma lui en avait déjà parlé. Shivak était… Shivak. Égocentrique mais avec un bon fond. Il fallait lui accorder le bénéfice du doute. Il l'avait blessée parce que elle-même avait heurté son amour propre en refusant son offre sans chercher à l'écouter. Elle allait lui donner une seconde chance.  

« Je ne suis pas qu'une simple tâche d'encre sur un rapport psychologique. Tu peux sûrement trouver beaucoup de choses sur moi grâce à tes compétences ou à tes contacts. Mais tu ne sauras jamais véritablement qui sont les personnes qui t'entourent en procédant de la sorte. »

Toujours appuyée à l'entrée de l’ascenseur pour éviter que les portes ne se referment, la jeune femme sentit les larmes lui monter aux yeux. Alors, elle brisa le lien visuel qui la connectait à l'américain en baissant la tête et se frotta le visage. Ses paroles l'avaient blessée, non pas parce qu'il avait eu raison mais parce qu'Elina ne s'était pas permise de critiquer ou de remettre en questions les motivations de l'ex-agent de la Chimère. Contrairement à lui qui l'avait insulté juste par caprice. C'était blessant mais il avait sûrement réagi ainsi sous l'émotion. Tout comme la roumaine quand elle l'avait giflé. Finalement, peut-être méritait-elle le mépris du jeune homme.

La petite brune se redressa et captura à nouveau le regard de Shivak, en refoulant ses émotions au fond d'elle-même.  

« Je dois savoir tout ce que tu sais et ce n'est pas de la simple curiosité. Tous les détails sont importants. Je ne pourrai pas t'aider efficacement sur Nublar s'il me manque des informations. Je dois comprendre en quoi je peux t'être utile. »

Elina avait besoin de connaître le plan de son allié, le temps qu'ils avaient à leur disposition, les forces ennemis, leurs amis potentiels. Mais surtout, Elina avait besoin d'être rassurée.

« Promets-moi que je ne laisserai pas ma vie sur cette île et qu'après ça, tout sera terminé ! »

Bien sûr qu'elle avait peur de mourir, peur de mener un combat perdu d'avance, peur de perdre le peu qu'elle était parvenue à avoir ces deux dernières années. La jeune femme voulait plus que tout que cette histoire se termine car elle était fatiguée d'avoir peur. Et même s'il avait semblé hésitant, entendre Shivak prononcer sa promesse la calma un peu.

« Retrouve-moi dans une heure au bar juste en face de l'hôtel. Tu sembles déjà bien connaître l'endroit » fit-elle en posant son regard sur le blouson du biker. « Au besoin, dis simplement à Ginny que tu me connais »

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Elle était enfin seule mais le sentiment de solitude l'avait maintenant quitté. De retour dans sa chambre, la roumaine allait enfin pouvoir se reposer un peu avant de découvrir toute l'étendue du plan de Shivak pour trouver la tulipe avant les membres de la Chimère. Elle se sentait soulagée d'avoir rejoint le camp du jeune homme et avait l'impression qu'un poids énorme avait disparu de ses épaules. Elle doutait encore d'avoir fait le bon choix, mais cette décision l'avait libérée d'un sentiment qui la rongeait en silence depuis des années. Elle en était maintenant persuadée : se battre était sans doute une mauvaise idée mais fuir ou se cacher n'avait jamais été une solution. Cependant, le temps jouait en sa défaveur. Il ne lui restait qu'une heure pour se ressourcer avant de devoir affronter un nouveau déluge d'émotions.

En se dirigeant vers la salle de bain, la jeune femme commença à dérouler lentement le bandage qu'elle avait à la main. La plaie était encore récente et menaçait de se rouvrir à tout moment. Cette blessure marquerait sans doute à jamais son corps, comme les autres cicatrices qu'elle portait déjà. En s'aidant de la pointe du pied, elle se déchaussa et laissa ses chaussures dans le couloir d'entrée avant de commencer à se déshabiller. La petite brune n'avait même pas encore ouvert la porte de la salle de bain qu'elle était déjà torse nue et avait jeté nonchalamment son t-shirt et son soutien-gorge sur le lit. Attirée par l'odeur de la pluie, la fraîcheur de la nuit et les lumières de la ville, son regard tomba sur la fenêtre où elle avait fumé sa dernière cigarette en compagnie de Shivak. Elle regarda ensuite son paquet de clopes, puis les bouteilles du minibar et se perdit dans ses envies. En ce moment, la roumaine voulait fumer, boire, se laver, et dormir en même temps. Et chacun de ces désirs se faisait pressant, à tel point qu'elle ne savait pas quelle priorité leur donner. La poitrine dévêtue, elle regarda un moment le vide devant elle avant de rentrer dans la salle de bain dans un soupir.

D'un geste, elle poussa son pantalon de tailleur noir et sa culotte verte jusqu’au sol, s'en débarrassa en donnant plusieurs coups de pied dans le vide, jusqu'à ce que les deux vêtement tombent aléatoirement dans un coin différent de la pièce. Quand elle se redressa, elle fit face à son reflet dans le miroir mural de la salle de bain qui n'était pas assez grand pour voir plus bas que sa taille, quelques centimètres sous le nombril. Pourtant, c'était suffisant pour voir les cicatrices qu'elle portait. En les regardant, la roumaine pouvait encore ressentir la douleur de chacune d'entre elles mais aucune de ces douleurs n'était physique. Nue face à elle-même, Elina ferma quelques instant les yeux et essaya d'imaginer ce qu'aurait été sa vie sans ces cicatrices, sans ce vécu. Elle avait l'impression qu'elle portait sur elle un poids beaucoup trop lourd pour la femme de 31 ans qu'elle était. À cet âge, les nanas parlent de leur vie de couple merveilleuse, de leurs projets d'avenir, réfléchissent à leur évolution et leur épanouissement. Sûrement... Elina avait créé des monstres, faillit être dévorée et elle avait été pourchassée par de dangereux terroristes. Elle était très loin de la jeune femme ordinaire et ses marques sur son corps en était la preuve.

Avant d'entrer dans la cabine de douche, la jeune femme fit d'abord couler l'eau et attendit que celle-ci soit à bonne température. Et après seulement quelques secondes de patience, Elina pouvait enfin profiter d'un moment de détente. Elle ferma les yeux et leva la tête vers le pommeau de douche, laissant ainsi l'eau chaude arroser son visage et tomber le long de son corps. Pendant un instant, la roumaine se concentra sur cet instant de bien-être qu'elle était en train de ressentir. Et quand elle ne parvint plus à retenir son souffle, elle pencha la tête vers l'avant pour laisser l'eau couler sur sa nuque et le long de son dos. Manquant de perdre l'équilibre, elle s'appuya contre le mur pour ne pas tomber à cause du vertige qu'elle venait de ressentir. Et une douleur foudroyante dans la paume lui rappela d'utiliser sa main gauche désormais pour ce genre de chose. En tout cas pour le moment.



Quand le vertige fut passé, la jeune femme se redressa et croisa les bras en se demandant combien de temps pouvait-elle encore profiter des effets relaxants de cette douche avant de sortir. 5 minutes ? 15 minutes ? Si elle voulait faire une sieste avant de rejoindre Shivak au bar, il fallait mieux pour elle que cette douche ne s'éternise pas. Pourtant, cela lui faisait énormément de bien de pouvoir se détendre de la sorte après tout ce qu'elle venait de vivre en si peu de temps. Et dire qu'il y a quelques heures à peine, elle enterrait son amie.

Après s'être lavé rapidement le corps et les cheveux en utilisant les échantillons de l'hôtel, elle se sécha entièrement et s'enroula dans une serviette de bain pour se protéger du froid et rejoignit sa chambre pour s'habiller. Puisqu'elle n'avait pas prévu de s'éterniser à Denver, Elina avait voyagé léger : elle enfila les seuls sous-vêtements propres qui lui restait, un simple jean et un vieux t-shirt qu'elle porterait en dessous de sa veste quand elle sortira au bar seront suffisant. Et une fois habillée, elle s’allongea sur le lit, par-dessus les vêtements qu'elle avait jeté quelques minutes plus tôt et programma un réveil sur son téléphone pour ne pas rater son rendez-vous.

Elle n'était supposée passer qu'une seule nuit à Denver avant de retourner à San Francisco. La roumaine passerait finalement la nuit à San Diego et ne savait pas si elle retournerait chez Charlie le lendemain. Et comme toujours, Elina ne pouvait pas expliquer les raisons de son absence. Sachant qu'elle serait attendue, la jeune femme décida d'envoyer un message et d'écrire à sa colocataire « je ne sais pas quand je reviendrai » alors que la vérité était qu'elle ne savait pas si elle reviendrait un jour.