Décision Drastique

Depuis leurs derniers échanges, Gregory n’avait plus réellement croisé le Dr Wu. C’était comme si ce cancrelat cherchait à l’éviter. Quelque chose clochait vraiment chez ce type. C’était comme si l’asiatique l’avait immédiatement percé à jour et ne voulait plus avoir rien à faire avec lui. Il faut dire qu’il était de toute façon méfiant avec tout le monde mais il semblait particulièrement l’être avec lui. Ce qui était totalement injuste et injustifié, Gregory n’avait encore rien fait qui méritait un tel traitement. Le vieux scientifique avait bien tenté de le bloquer dans un couloir une ou deux fois mais Dr Henry Wu trouvait toujours une excuse pour se faufiler et fuir la scène. Cela ne faisait bien sûr que confirmer ce qu’il pensait déjà de lui : une personne détestable, lâche, craintive, couard et faible. Rien que ça oui.

« Je suis navré… Niah niah niah… Je regrette… Bla bla bla… Vous comprenez ? », dit-il en plissant des yeux d’un air exagéré. « Henry, Henry, Henry… mais ça ne me fait pas du tout rire ces histoires… », fit-il en balançant sa canne sur son canapé et en refermant d’un revers de poignet la porte derrière lui.

Gregory avait fini par accepter de travailler sur cette abomination scientifique uniquement parce que Masrani y avait mis son grain de sel. Dès que cet imbécile heureux avait mis le pied dans le laboratoire - et même si sa fierté et son égo prenaient un sale coup -  l’anglais avait instinctivement senti qu’il devait participer au projet “Indominus”. Au moins s’il tenait à garder sa place au sein de l’entreprise mais aussi parce que, comme le disait le dicton, “garde tes amis proches mais tes ennemis encore plus”. Et on pouvait s’en douter, Gregory était ainsi étrangement proche de tout le monde ici.

Il y avait quelque chose de louche dans toute cette histoire. Le Dr Wu était quelqu’un de beaucoup trop réservé et secret pour que cela ne soit pas suspect. Quant à ce Dr Daniel, il était presque apparu du jour au lendemain et Gregory avait un peu trop la sensation de se voir dans un miroir quand il le voyait travailler. Il y avait quelque chose d’étrange chez cet homme qu’il ne parvenait pas à expliquer mais qui le poussait en tout cas à ne pas s’y fier. Ce qui était un peu stupide à mettre en évidence puisqu’il n’accordait de toute façon sa confiance à personne d’autres qu’à lui-même. Et encore…

Mais comment expliquer cette sensation étrange qui lui parcourait l’échine quand ce dernier lui adressait simplement la parole ? Comment expliquer ce regard sombre qui l’animait par moment ?

Gregory n’était globalement pas à l’aise en sa présence et c’était le genre de sensations suffisamment rare chez lui pour que ça le perturbe réellement. Sans aller jusqu’à dire qu’il en avait peur, il se méfiait de lui et préférait simplement le côtoyer le moins possible.  

L’anglais retirait péniblement ses chaussures en se frottant frénétiquement la cuisse d’une main puis attrapait l’ordinateur portable qui reposait sur une tablette à l’entrée. Il l’avait laissé ce matin à la va-vite avant de se rendre au labo. Ce n’était pas trop prudent de sa part, la prochaine fois il ferait plus attention. Il fallait dire qu’en ce moment il était distrait, préoccupé en quelque sorte. Il peinait à trouver le sommeil et passait des heures rivés sur cet écran d’ordinateur, a essayé de comprendre ce qu’il voyait. Et donc, sans plus attendre, il poursuivait son rituel : il l’ouvrait et reprenait la lecture des recherches qu’il avait commencé il y a de ça un mois déjà.

Mais ce n’était pas que les hommes à la tête de cette machination, c’était bien plus que ça. Rien ne semblait aller dans ce projet et tout semblait attirer son regard, tout semblait sortir de l’ordinaire. Les protocoles étaient différents, il y avait des incohérences, des inconsistances, des ordres et des contre-ordres. Il y avait en somme son lot d'éléments qui ne manquaient pas de lui faire poser des questions mais qui restaient néanmoins toutes sans réponse et sans exception grâce au Dr Wu et à ce cher Dr Daniel.

Et dans tout ça, un seul élément avait largement capté son attention.

On leur avait demandé d’analyser et de compléter les chaînons manquant de quatre génomes différents. Bien entendu, il avait fallu peu de temps à Gregory pour trouver de quelles origines elle appartenait : Tyrannosaurus Rex, Rugops, Carnotaurus et Giganotosaurus. Il fut alors assez évident que la créature qu’ils étaient en train de concevoir appartenait au groupe des carnivores bipèdes. Jusque là…

La petite équipe avait ensuite travaillé sur des génomes bien plus modernes cette fois comme celui de la seiche, Sepia officinalis, de la grenouille arboricole, Hyla arborea ou encore de la vipère, Vipera aspis. Et après plusieurs batteries de test, d’analyse et de travails acharnés, le Dr Wu et son autorité légendaire avait raflé le tout pour effectuer la suite des opérations. Seul, dans son coin et sans son équipe. Des soucis d’accréditations, de sécurités et de dossiers classifiés d’après lui.

« Pfff… » Plissement des yeux exagérés. « Dr Morrison, je n’ai de compte à rendre à personne. Tâchez d’effectuer les tâches qui vous incombent et laissez moi faire mon travail. Blaaaah. », fit le scientifique en faisant mine de vomir. « C’est ça… À d’autres ! Tu veux surtout t’attribuer tout le mérite misérable vermine… »

Et ce n’était pas faute d’avoir proposé son aide avec insistance… Beaucoup d’insistance.

Alors, pourquoi une si petite équipe pour un projet de cette envergure ? Pourquoi s’isoler sur Sorna pour effectuer ce travail alors que Nublar disposait de toutes les machines, technologies et ressources pour le faire ? Surtout que le site B était finalement bien moins sécurisé que le parc en lui-même. Encore des questions sans réponses de la part du Dr Wu qui n’avait eu que pour réaction un regard froid et un mouvement de main pour le faire déguerpir.

« Abject personnage… Piètre demi-homme. », dit-il en pianotant sur le clavier de son ordinateur d’un air déterminé.

Quelques semaines plus tard, le tout était revenu empaqueté dans un seul et même génome, comme par magie. Aucune explication, aucun process, aucun protocole, aucun document officialisant les manipulations qu’il avait effectué. La frustration était à son comble lorsque l’équipe avait dû encore finaliser quelques étapes supplémentaires. Et c’était à cet instant précisément que le vieux scientifique avait découvert le pot aux roses, quelque chose qui n’avait rien à faire là, un élément qu’il n’expliquait pas tout simplement pas…

Une anomalie.

La chair froide de la créature aux couleurs verdâtres sur la table de métal avait une odeur singulière. Elle ne le dérangeait pas le moins du monde, le masque médical qu’il portait suffisait largement à l’étouffer de toute façon.

Gregory attrapa d’une main la lampe de bureau par le cou pour la braquer un peu plus sur le reptile qui traînait la gueule ouverte sur le support. Il enfilait ses gants et étendait soigneusement l’animal sur le dos. Il ouvrait ensuite sans plus attendre la petite boîte qui contenait les épingles en acier. Une fois les pattes fixées, il se saisissait d’une pince et d’un ciseaux fins préalablement stérilisés pour inciser une boutonnière au-dessus de l’appareil uro-génital. Puis, à l’aide de sa sonde cannelée, il effectuait les incisions de la peau à la base de la cage thoracique puis des pattes antérieures et postérieures. Sans réellement s’en rendre compte, le vieux scientifique se mit à fredonner un air tout en continuant sa tâche. Il épinglait ensuite la peau puis incisait à l’aide d’un scalpel la couche fine et translucide des muscles abdominaux qui produisait un son singulier.

À côté de lui, dans une cage en grillage, un autre dinosaure semblait piailler son mécontentement.

« Tu-tu-tu… T’en fais pas mon petit, ton tour viendra aussi… »

Le Compsognathus était vraiment une créature fascinante. C’était clairement un nuisible, un rongeur des temps anciens d’une certaine façon. Encore aujourd’hui, les garder parqués n’étaient déjà pas une tâche aisée mais entre l’incident de 93, l’attaque de 2013 et ces coupures électrique générale, les petites créatures avaient eu toutes les opportunités pour s’échapper dans la nature. Trouver le T-rex sur l’île n’avait déjà pas été simple alors imaginez bien que trouver un groupe de Compsognathus était aussi frustrant que de chercher une aiguille dans une botte de foin. Surtout qu’à l’époque, les créatures n’étaient pas marquées d’un traqueur GPS. Alors qui sait combien de ses créatures déambulaient librement sur Nublar ? En tout cas, ces deux-là avaient eu le malheur de se trouver sous son perron, à fouiller ses poubelles. Une aubaine !

Le vieux scientifique attrapait les intestins de l’animal mort et l’étendait sur le côté. Puis, chacun leurs tours, il enlevait les différents organes qu’il venait de mettre à nu. Pour terminer, à l’aide de ciseaux forts, il retirait les côtes et les clavicules du petit dinosaure pour récupérer les poumons et le cœur microscopique de la créature.

« Voilà… Et… Voilà. Voyons voir… »

Avec son scalpel, il découpait ensuite des tranches fines desdits organes, des muscles et de la peau qu’il répartissait soigneusement sur des lamelles en verre.

Il fit volte-face et s’installa ensuite devant le microscope. Il abaissa alors la platine et alluma l’éclairage de l’appareil. Les yeux rivés sur l’oculaire, le scientifique basculait d’un coup de molette pour changer l’objectif et passer sur le zoom supérieur. Il effectuait lentement mais avec assurance  sa mise au point.

Quelques minutes plus tard, Gregory basculait finalement vers l’arrière sur son fauteuil à roulettes et retirait son masque qu'il jetait immédiatement à la poubelle. Le scientifique arborait un sourire carnassier et un air satisfait.

« Dr Wu… Dr Wu… Petit cachotier ! »

C’était là depuis le début, juste sous son nez. Mais il fallait qu’il en ait le cœur net. Il attrapait la seringue encore à moitié remplie du composé qu’il avait récupéré plus tôt dans la journée puis se tournait vers la seconde créature qu’il avait capturé et qui piaillait de plus en plus fort à mesure qu’il s’en approchait.

« Voilà... Comme promis, à ton tour… »

Frustré et enragé, Gregory se tirait littéralement les cheveux. Ce casse-tête moléculaire était en train de le rendre fou, il n’en dormait littéralement plus la nuit. Il avait l'impression que sa tête allait exploser et son corps ne semblait plus vouloir fonctionner uniquement qu’au café. Lui qui d’ordinaire n’en buvait pas autant, devenait encore plus exécrable que d’habitude. Mais ce n’était également pas dans ses habitudes de buter autant sur un problème. Non, lui il réussissait tout ce qu’il entreprenait et rien n’avait de mystères pour lui. Pourtant, il voyait cette opportunité, elle était à portée de ses mains mais il n’y avait rien à faire…

C’était probablement la plus grande découverte de l’humanité et on cherchait à la garder secrète. Personne ne semblait vouloir se jeter des fleurs, personne n’avait breveté quoi que ce soit, personne ne la clamait haut et fort dans des conférences de cul-terreux soit disant scientifique. Non, elle dormait quelque part dans les archives du Dr Wu ou pour le peu qu’il en sache, elle pourrait bien reposer dans les tréfonds de la tombe vide de John Hammond. D’un autre côté, Henry Wu était bien trop fier pour ne pas s’approprier celle-ci. Bien sûr, il ne révélerait son secret à personne mais il crierait probablement haut et fort sur tous les toits, dans des articles, des conférences et des livres qu’il en est l’unique créateur et détenteur.

Alors qu’est-ce que cette foutue mascarade voulait bien devoir dire ?

Il avait tout essayé, ça en devenait ridicule tellement il avait tout essayé. Pour une fois dans sa vie, il était clairement mis à l’épreuve et, d’une certaine façon, il jubilait de cette situation atypique.




Les carcasses et les morceaux de Compsognathus s’entassaient dans son congélo. Il avait aussi des embryons non viables, des dinosaures imparfaits que le Dr Wu avait préféré jeter en pâture que de laisser vivre. Gregory avait même récupéré un gigot de Pachycephalosaurus qui avait été euthanasié à la suite d’un malheureux accident. C’était le genre de détails sordides qu’on ne montrait pas au public, bien entendu… Et bien entendu, le scientifique aux cheveux grisonnants s’attelait à ce que cela reste inchangé.

Oui, il avait tout essayé, toutes les méthodes qu’il connaissait pour isoler cette satanée molécule y étaient passées. Récupérer le matériel adéquat lui avait déjà pris un temps fou. Il était parvenu à en importer sur l’île dans ses valises avant que la sécurité n’augmente sévèrement  mais il en avait également “emprunté” à durée indéterminée dans les surplus des laboratoires.

Sur un calepin à côté de lui figurait l'étendue de ses recherches et la liste des échecs s'allongeait sur une feuille. Des gribouillis, des calculs alambiqués, des choses barrées ici et là, des dessins et des flèches. Ce carnet ressemblait de plus en plus au journal intime d’un fou à lier.

Hydrodistillation. “Non.”
Filtration simple. “Non.”
Filtration sous vide. “Non.”
Chromatographie sur couche mince. “Non.”
Centrifugeuse. “Non.”
Polarité. “Non.”
Extraction par solvant. “Non.”

« Non ! Non ! Non ! Et non ! », s’égosillait-il en tapant du poing sur la table qui lui servait de paillasse.

Il n’y avait rien à faire. Il lui manquait forcément quelque chose mais quoi ?

Un vrai laboratoire ? Plus de personnel ? La nature et l’origine même de cette molécule ? Plus de connaissances ? Peut-être plus de patience ?




Gregory venait presque à en douter de ses capacités, ce qu’il trouvait d’ailleurs particulièrement stupide. Ses diplômes et ses réussites, il n’avait plus rien à prouver. Encore aujourd’hui, il avait accompli quelque chose de grandiose compte tenu de l’endroit où il menait ses expérimentations mais il était vrai qu’il commençait à manquer cruellement de place et de moyens. Il avait réquisitionné presque la moitié de son bungalow qu’il avait stérilisé et suffisamment aseptisé pour en faire un véritable laboratoire de poche. D’aucun aurait pu croire qu’il avait monté un petit atelier de méthamphétamine. Ce qu’il aurait d’ailleurs tout à fait pu faire pour arrondir les fins de mois et rembourser le matériel qu’il avait dû acheter. Et puis, après tout, il n’y avait rien de sorcier. Ce n’était que de la chimie pure et dure.

Mais est-ce qu’il était capable de faire mieux que Walter White ?

Possible.

Probablement.

Mais en y réfléchissant davantage, c’était peut-être ça qui lui manquait finalement. Il manquait de moyens humains, il manquait d’un point de vue extérieur. Il lui fallait un partenaire, il lui fallait son Jesse Pinkman. On ne trouvait malheureusement pas ça au coin d’une rue et les distributeurs d’acolytes n'existaient à priori pas encore non plus. Ce n’était pas les larbins stagiaires qui manquaient mais Gregory ne leur faisait pas confiance. De toute façon, il suffisait de leur parler cinq minutes pour évaluer leur niveau d’incompétence.

Et donc, à la question : “quel est leur niveau d’incompétence ?”, le scientifique vous répondrait probablement très sérieusement : “oui”.

Gregory soupirait. Son bureau et sa cuisine étaient devenus des lieux austères et une curiosité pour des lambdas. Depuis quelques mois, l’anglais travaillait jour et nuit. Il se sentait à bout, aux bords de l’implosion mais tôt ou tard, cela finirait par payer. Il le savait au fond de lui, il finirait par y arriver. La persévérance était une arme à ne pas prendre à la légère et le scientifique n’en démordrait pas.

Gregory tapotait une petite fiole de 5mL du bout des doigts avant de la mettre dans le mini-frigo. Ce n’était pas grand chose, elle n’était pas pleine mais ça suffirait amplement pour le moment.

Le Compsognathus était décidément un animal fascinant. Sur un nouveau carnet, l’anglais semblait avoir continué sa prise de notes et le vieux scientifique semblait relire à la lueur du soir les quelques lignes qu’il avait déjà rédigées proprement.

Seuls, ils sont timides et espiègles. En groupe, ils deviennent féroces, erratiques et violents. Un peu à la manière d’une fourmilière, comme les Paratrechina longicornis ou “fourmis folles”, ils avançent en horde à la recherche d’une source de nourritures. De nature plutôt charognarde, ils n’hésitent cependant pas à s’attaquer à plus gros qu’eux si la faim les tiraille. Les quatre individus qu’il avait déjà pu disséquer lui avait permis de découvrir qu'en réalité, les tissus et les pores de leurs peaux semblaient dégagés une sorte de phéromone qui, une fois mélangé à de l’adrénaline, provoquait une réaction chimique puissante qui déclenchait un tel comportement et décuplait l’odeur, imperceptible pour un Homme mais presque enivrante pour un Compsognathus.

C’est également lors de ces expérimentations qu’il avait pu récupérer des petites glandes salivaires situées dans la mâchoire inférieure de ces petites créatures. Un venin presque inoffensif mais qui rendait parfaitement docile n’importe qui mais seulement à partir d’une dose relativement élevée. Contrairement aux serpents dont le venin provenait de la mâchoire supérieure et à la manière de Heloderma suspectum ou Monstre de Gila, un des rares lézards venimeux de notre planète, le Compsognathus ne le relâchait pas immédiatement. Il s’écoulait le long d’un canal entre les lèvres et la mâchoire jusqu’à ces petites dents pointues et rainurées. Le venin était alors inoculé lorsque la créature tenait fermement une proie. Et, tout comme le Monstre de Gila, lui aussi semblait agir sur le système nerveux mais d’une façon peu anodine puisqu’il s’agissait d’un mélange d’endorphine et de cataplexie lente et indolore. Les Compsognathus ne semblaient cependant posséder qu’une petite quantité de ce doux poison, non mortelle pour l’Homme ou pour une créature en bonne santé.

À la datation des différentes entrées dans ce carnet, cela ne faisait certes que quelques mois que Gregory travaillait dessus mais il était rapidement arrivé à la conclusion qu’il ne semblait exister aucun antidote possible en cas de morsure. Il n’y avait pas d’antidote car les effets qu’il produisait n’étaient visiblement pas assez nocifs pour l’être humain, surtout à petites doses.

En théorie, si un homme de taille moyenne et dans la force de l’âge se faisait attaquer par six - disons huit de ces dinosaures - les effets pourraient approximativement durer une demi-heure. Leurs morsures provoquaient des gonflement, des fourmillements sur la zone voire des nausées pour les cas les plus extrêmes, en témoignent les marques de dents qu’il avait sur son avant-bras. Quant aux autres sujets testés, principalement des rats et des souris, ils semblaient entrer dans une sorte de sommeil apaisant puis se réveillaient lentement après quelques heures. Certains sujets ont même pu survivre après plusieurs morsures sans jamais n’avoir aucun effet secondaire ou de complication par la suite.

Mais même s’il n’existait aucun antidote, les propriétés de ce venin pouvaient toujours être exploitées. Par exemple, pour celui de Heloderma suspectum ou Monstre de Gila, c’est plus d'une douzaine de peptides et protéines qui ont été isolées, incluant hyaluronidase, sérotonine et phospholipase ainsi que plusieurs kallicréines comme les glycoprotéines.

« Fascinant non ? », fit-il à voix haute.

Et magiquement, en 2005, les États-Unis ont pu approuvé un médicament contre le diabète de type 2 basé sur l'exénatide-4 dérivé de la salive du Monstre de Gila. Cette protéine étant proche d'une hormone humaine et servant à réguler l'insuline et le glucagon.

Partant de ce postulat, quel remède miracle et fantastique pourrait-il ainsi concocter avec le venin d’un Compsognathus ?






Et comme pour répondre à sa question, des petits piaillements d’oiseaux le sortaient soudainement de ses pensées. Le scientifique avait bientôt terminé son étude sur ce dinosaure mais il souhaitait encore en apprendre davantage. Bien sûr, il n'oubliait pas son objectif principal mais son laboratoire de fortune lui ouvrait des possibilités qu’il n’aurait jamais eu dans ceux d’Ingen.

Alors pourquoi ne pas en profiter ?

Il aurait été stupide de ne pas en profiter. Non ?

Fort heureusement, Gregory ne l’était pas. La science primait avant tout et InGen, contrairement à lui, ne faisait que gratter la surface de leurs découvertes. Ils avaient inventé la roue mais se contentaient de l’exposer dans une vitrine. Ils avaient inventé la presse mais ils imprimaient des feuilles blanches. Ils avaient découvert le feu mais ces idiots mangeaient encore leur viande crue.

Pathétique.

Gregory jeta un coup d'œil à sa montre et, constatant l’heure et sans plus attendre, le scientifique ouvrit la petite cage. Le dinosaure fit un bond en arrière pour esquiver sa main mais ce fut malheureusement pour lui sans succès. D’une main ferme, il le sortit alors et l’approchait d’un petit bocal en verre. De ses doigts gantés, il approchait un morceau de caoutchouc qu’il tenait au bout d’une tige en métal et sur lequel le Compsognathus s’acharnait déjà de plus bel. Il orientait légèrement la créature et les premières gouttes de venin commencèrent alors à couler dans le tube.

« Merci Dr. Goodfellow pour vos précieuses recherches. »

Le bruit des gouttes frappant le fond du bocal, le grognement hargneux du petit animal. L’herpétologue amateur affichait alors un sourire satisfait. Dans le mini-réfrigérateur, coffre fort de glace, derrière lui trônait déjà cinq petites fioles comme celle qu’il venait d’y ajouter. En plus de faire avancer ses recherches, elles ne lui étaient pas complètement inutiles. Surtout que ce venin ne laissait à priori aucune trace dans le système. Il restait encore à découvrir s’il pouvait être ingéré ou différé sous un autre format que liquide. Gregory voyait grand, il voyait loin. Il voyait déjà de potentielles utilisations en médecine pour des opérations mais aussi chez les forces de l’ordre. Cela restait toujours moins violent pour le corps qu’un taser ou qu’une anesthésie locale après tout.

Mais il avait d’autres plans en tête, des idées un peu plus farfelues. Il déposait de nouveau le dinosaure dans sa cage puis la refermait soigneusement tandis que ce dernier grognait encore son mécontentement. Il déposait ensuite le flacon sur son bureau et retirait ses lunettes, un air pensif sur le visage.

Est-ce qu’il envisageait réellement de piéger le Dr Wu ?

Si les distributeurs d’acolytes n’existaient à priori pas encore, trouver des acolytes aux distributeurs était sûrement une chose que Gregory ne s’attendait pas à vivre et si on lui avait expliqué le concept il n’y aurait probablement pas cru non plus. Pourtant, cela faisait maintenant un peu moins d’un mois qu’il avait officiellement rencontré ce fameux Christopher Nedry devant l’un de ces appareils fantastiques. Malgré un charisme d’invertébrés poilus et une extravagance pour le moins unique, le scientifique ne pouvait pas nier que ce dernier lui avait largement facilité la tâche. “L’habit ne fait le moine” était assurément l’expression qui collait le mieux à ce curieux personnage. Ses compétences lui avaient en tout cas déjà apporté des éléments plutôt surprenants.

Pourquoi diable n’avait-il pas rencontré cette énergumène plus tôt ?

Gregory traînait encore devant son ordinateur et feuilletait les nombreuses pages parmi les nombreux documents que Nedry lui avait transmis. Il ouvrit la boîte orange, fit basculer son contenu et avala deux petits comprimés avant de reprendre sa lecture. Il pouvait le dire sans rougir, les recherches du Dr Moldovan étaient fascinantes, méticuleuses et très détaillées. Rien ne semblait passer aux travers de son filet qui se voulait millimétré. Les protocoles étaient respectés et appliqués à la lettre, quand ce n'était pas elle-même qui les avait créés de toute pièce. Ses remarques étaient pertinentes, les commentaires judicieux. Non, il n’y avait rien à dire, Elina Moldovan était bel et bien une pince-sans-rire comme on les aime. Gregory parlait en connaissance de cause puisqu’il avait brièvement pu travailler avec elle avant sa démission. Quel gâchis… Un si beau cerveau qui partait on-ne-sait-où ! C’était frustrant ! Et inutile de préciser qu’elle avait clairement laissé un trou béant dans le service scientifique du parc au vu de la charge de travail qu’elle effectuait quotidiennement. Quel égoïsme… Mais le Dr Wu, tel le rat taupier qu’il était, avait alors profité de son départ pour reprendre la place qui, d’après son comportement imbu de sa personne, lui était due. Le domaine scientifique était vraiment un monde de rapace !

Mais malgré tout ça… Malgré son travail exemplaire, elle ne faisait mention nulle part de cette étrange molécule dans ses rapports. Tout était décrit dans les moindres détails et celui-là n'était pas le genre qu’elle aurait omis sur un coup de tête.

Est-ce qu’elle était seulement au courant ? Est-ce que déjà à cette époque le Dr Wu effectuait lui-même certaines manipulations ? Ou est-ce qu’elle avait simplement gardé cet élément pour elle ?

Il était aussi vrai que les hybrides de l’ampleur et de la complexité de l’Indominus Rex n'existaient pas encore dans le parc durant cette période et que sans ça - même si ça lui faisait mal de l’avouer - Gregory lui-même n’aurait probablement jamais découvert l’existence de cette molécule.

D’un autre côté, il n’imaginait pas un instant que la possibilité qu’elle l’ait découverte ne soit pas envisageable mais une question demeurait cependant : pourquoi était-elle partie ? Pourquoi avait-elle démissionné ? Avait-elle seulement une bonne raison de l’avoir fait ?

Les clauses que l’entreprise lui avait fait signer empêchaient de toute façon de s’approprier toute forme de propriété intellectuelle. Même si elle avait découvert quelque chose, elle n’aurait rien pu en faire. Encore était-il qu’elle pouvait toujours s’en servir pour des petits projets et expérimentations personnels, comme Gregory le faisait déjà en réalité.

Espionnage industriel ? Ou était-elle simplement partie à cause des événements de 2013 ? Instinct de survie ou désaccord quelconque ?

Curieusement, elle n’était pas immédiatement partie puisqu’il avait eu l’opportunité de la rencontrer. Une veine sur sa tempe se dessinait lentement et ses mâchoires se serraient. Quel gâchis… Des gens auraient été prêts à n’importe quoi pour avoir sa place, surtout à son âge.

Avait-elle eu une offre plus intéressante autres parts ? Est-ce que seulement ça existait ?  

Il n’y avait aucun moyen de connaître la vérité.

Quoique.

Il y en avait en réalité un mais il allait nécessiter des ressources assez conséquentes. Ça ne serait pas une chose aisée et Gregory savait par avance que ça ne serait pas gratuit.

Le problème de Chris Nedry, c’était que cela pouvait aussi bien lui coûter un paquet de chips, un mois de larbinage divers et varié ou bien encore sans raison apparente des milliers de dollars. Son imprévisibilité en faisait quelqu’un de - et ça lui faisait mal de dire ça - dangereux. Il pouvait aussi bien vous snober pendant des jours et disparaître de la surface du globe ou soudainement sortir de derrière une plante comme par magie pour vous harponner avec son ventre bedonnant. Rapidement, Gregory avait compris que son accord avec cet homme s’apparentait davantage à une coalition qu’à une véritable alliance. Ce qui lui convenait parfaitement, n’en déplaise aux rageux et aux stagiaires. Il allait juste devoir se méfier de lui à minima et prendre des pincettes.

Gregory reculait sur le dossier de sa chaise et plaçait ses deux mains sur sa nuque. Puis se mit à frotter frénétiquement sa jambe qui se voulait douloureuse. Tu parles d’un acolyte ! Bernardo, lui, il n’essayait pas de poignarder Zorro quand il avait le dos tourné. Bernardo, Bernardo… On était plus sur du Sergent Garcia là ! Et pourtant… Il y avait un quelque chose chez lui qui lui plaisait et le peu d’informations qu’il lui avait donné lui semblait déjà inestimable.

Est-ce qu’il allait devoir retrouver Elina Moldovan pour en savoir davantage ? Est-ce que ça avait un intérêt quelconque ? N’était-elle pas trop intègre pour ce genre de projets ? N’allait-elle tout simplement pas le dénoncer immédiatement ?

Il allait certainement devoir réfléchir longuement et nettoyer derrière lui toute trace de tout ça avant de passer à l’acte. Mais l’idée d’avoir une partenaire scientifique de sa trempe à ses côtés pour réaliser ses expérimentations et surtout isoler cette étrange molécule lui plaisait de plus en plus. Aussi singulier que cela puisse paraître, Gregory avait bel et bien du respect pour cette femme. Ce qui était suffisamment rare pour lui faire esquisser un sourire en coin.