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Novembre 2013

Elle remonta à la surface en prenant une grande inspiration. La quantité d'air qu'elle aspira était telle qu'elle sentit une douleur dans la poitrine, ce qui lui arracha une grimace sur le visage. Elle n'avait retenu son souffle qu'une dizaine de seconde et pourtant, elle respira comme si elle avait manqué d'air toute sa vie. Elle retira ses lunettes de natation et s'assit sur le bord de la piscine pour reprendre son souffle. La jeune femme profita de cette pause pour regarder l'heure sur le cadran numérique qui dominait l'endroit. Il allait bientôt être 19h, et il faisait déjà bien sombre à l'extérieur. Les grandes baies vitrées qui entouraient Elina ne suffisaient plus à éclairer la piscine publique et l’éclairage artificielle des néons avait pris le relais depuis un moment. Le centre allait bientôt fermé, et elle était très loin des objectifs qu'elle s'était fixée aujourd'hui. Alors, elle remit ses lunettes, et plongea à nouveau.

Depuis sa première opération, Elina n'avait jamais réellement repris une activité physique sérieuse. Elle avait préféré ignorer les conseils des médecins et continuer à boire plus que de raison pour oublier ses erreurs et leurs conséquences. Elle qui avait tout perdu et qui avait été endetté par son hospitalisation, elle avait préféré continuer à se morfondre en se disant que la meilleure manière de mettre fin à tout ça, c'était de disparaître de ce monde. Et puis un jour, son ex lui envoyait un colis et elle se prenait une balle dans le ventre. Évidemment, elle avait survécus à cette tentative d'assassinat. Mais il devenait difficile de s'en sortir financièrement avec ce deuxième séjour à l’hôpital.

Heureusement pour elle, Elina avait la jeunesse et une solide expérience à faire valoir. Il n'avait donc pas été trop difficile de se faire embaucher dans ce laboratoire d'analyses médicales. Ce n'était qu'un contrat de remplacement et il n'y avait que peu de chance que la jeune femme se voit un jour proposer une meilleure place. Mais ça payait le loyer et remboursait un partie de ses dettes. Et grâce à cette précarité financière, la jeune femme n'avait plus assez d'argent pour ses addictions. Sans argent pour acheter de l'alcool, il lui était difficile de boire. Cependant, elle n'avait également pas assez d'argent pour s'acheter ses calmants, et il était devenu de plus en plus difficile de gérer ses crises d'angoisse et ses cauchemars.

Pour se défouler, la roumaine s'était mise à la natation. Et profiter des bien-faits de l'eau avait donner de nouvelles sensations à la jeune femme. Elle aimait toujours courir, mais elle préférait largement troquer l'activité de la ville pour le calme d'une piscine publique en début de soirée. Même s'il était beaucoup plus difficile pour elle de reprendre son souffle depuis qu'il lui manquait un poumon, Elina continuait d'intégrer une activité sportive dans sa routine. Ça l'empêchait de penser à tout ce qu'il n'allait pas dans sa vie. Au moins pendant un court instant.

Après avoir terminé treize des cinquante longueurs qu'elle s'était imposée, la jeune femme s'accouda sur le rebord de la piscine pour reprendre son souffle. Autrefois, elle aurait pu facilement atteindre cet objectif facilement et elle aurait probablement cherché à dépasser ses limites. Mais ça, c'était avant ses hospitalisations. Elle était devenu faible, bien plus qu'avant, et c'était frustrant. Mais le pire dans tout ça était qu'Erin n'était désormais plus là pour la soutenir. Elle devait aujourd'hui affronter sa faiblesse seule. Elle avait goûté au plaisir et au bonheur d'avoir quelqu'un pour l'épauler, qui veillait sur elle dans les moments difficiles. Elle avait sentit le confort de pouvoir enfin faire confiance à quelqu'un, au point de s'abandonner. Et que restait-il de cette confiance ? Simplement l'amertume de la trahison. Encore une fois.  

Elina s'arracha ses lunettes de plongée et les claqua contre le rebord, éclaboussant un peu son visage, avant de les ignorer. Elle posa ensuite son menton sur le carrelage de la piscine et laissa la poussée d'Archimède porter son le reste de son corps. Elle se sentait seule. Erin faisait sa vie dans une université paumée. Emma combattait les forces du mal. Et la roumaine analysait des prises de sang. Elle se sentait seule et misérable. Et fatiguée aussi par tous ces abandons. Si elle disparaissait demain, si la Chimère la retrouvait, personne ne le remarquerait. Finalement, c'était peut-être ça la solution : disparaître.

Un coup de sifflet sortit la jeune femme de ses pensées. Le maître-nageur, un blondinet qui n'avait pas encore atteint la trentaine et qui exhibait fièrement ses tablettes de chocolat, venait d'avertir tous les baigneurs qu'il était temps de rejoindre les vestiaires. Cependant, ce playboy transpirant la superficialité par son attitude de séducteur arrogant ne prit même pas la peine d'attendre que tout le monde soit sorti de l'eau sain et sauf avant de quitter son poste. Il s'était dépêcher de rejoindre sa bimbo aux cheveux noirs qui l'attendait au pieds de sa tour d'observation. Elina venait à peine de sortir de l'eau que le couple commençait déjà à s'entre-dévorer. Ces gamins libidineux peinaient clairement à gérer leurs excès d'hormones. La roumaine les observa disparaître derrière une porte « réservé aux employés » dans un soupir de dégoût. Comment pouvait-on à ce point manquer de retenue…

Elle prit son temps pour rejoindre les vestiaire, si bien qu'elle était la dernière à rejoindre les cabines de douche. Elle entra dans la première cabine disponible et se dirigea sous le pommeau de douche mais ne fit pas couler l'eau tout de suite. La jeune femme s'adossa dans un premier tant contre le mur et ferma les yeux quelques instants. Elle ressentait de nouveau une crampe à l'estomac, et essayait de se concentrer pour calmer la douleur en se massant sommairement le ventre. Dans ce genre de situation, c'était la seule chose qu'elle pouvait faire. Cette douleur lui rappela qu'elle avait faillir perdre la vie l'année passée dans un motel sordide. Elle lui rappela ce que c'était que de se faire tirer dessus, ainsi que les conséquences qui en découlait.

Soudain, un coup de feu sorti la roumaine de ses sombres souvenirs. Très vite, l'adrénaline se mit à circuler dans chacune de ses veines, et la douleur disparu. Tous les muscles de son corps se crispèrent et elle fit face à l'entrée de sa cabine, sur la défensive. Si quelqu'un lui voulait du mal, ce n'est pas à moitié nue qu'elle ferait la différence. Mais elle ne laisserait personne l'achever sans se défendre. Elle observa longuement la porte de sa cabine, prête à intervenir à tout moment. Instinctivement, elle regarda le verrou qu'elle avait oublier d'activer. Devait-elle le faire ? Ça risquerait certainement d'attirer l'attention. Elle hésita un moment, mais le danger n'arriva jamais. À la place, Elina entendit une femme fredonner une chanson qu'elle ne reconnaissait pas. Elle réalisa alors que le bruit qu'elle avait entendu venait sûrement du claquement d'une porte. À croire qu'elle n'était finalement pas la dernière personne ici. Peut-être s'agissait-il de la bimbo avec qui le maître nageur venait de tirer son coup.

Elle ne fit pas attention au fredonnement qui se rapprochait et soupira de soulagement. C'est alors qu'elle entendit la porte de sa cabine s'ouvrir et le soulagement fit place à la terreur. Finalement, un agent de la Chimère l'avait bel et bien retrouvé. Elle se retourna, poing serré, et vit volte face à son agresseur au moment où celle-ci verrouilla sa cabine. Le fredonnement cessa au moment où une petite blonde croisa son regard emplit de panique.  C'était donc à ça que ressemblait le bourreau envoyé par K-C : une gamine de 25 ans en bikini bleu à la mine surprise et effrayée. Elina avait déjà affronté des créatures bien plus menaçantes, mais il ne fallait pas se fier aux apparences et rester prudente. La roumaine défia son adversaire du regard et cette dernière, qui semblait confuse par la situation, prit finalement la parole d'un ton hésitant. 

« Oh putain ! Désolé… heu… Vraiment désolé ! C'est que… c'était pas verrouillé. J'pensais qu'y avait personne. Merde, je m'en vais. Désolé. »

Elina était perdue. Elle ne parvenait pas à comprendre ce qui était en train de se passer sous ses yeux. L'inquiétude l'avait quitté et énormément de confusion régnait désormais dans son esprit. Peut-être que cette jeune femme était une espionne qui essayait de fuir maintenant qu'elle avait été repérer. Peut-être que si Elina baissait sa garde, son ennemie en profiterait pour lui sauter à la gorge et lui briser la nuque. Ou peut-être que la petite blonde n'était en fait personne, et qu'elle s'était bel et bien trompé de cabine. Mais à ce stade, il était difficile d'en être sûre.

L'inconnue tourna le dos à Elina et se dépêcha de déverrouiller la porte. Mais la tâche qui était sensé durée que quelque secondes se prolongea dans le temps. La petite blonde dans son maillot deux pièce commença à s'acharner sur la serrure, celle-ci semblant réticente à vouloir libérer les deux jeunes femme de cette situation plus qu'improbable. Elina posa son épaule contre le mur de la cabine et croisa les bras, sans quitter des yeux la supposée espionne. Et étrangement, elle vit que cette dernière commençait à s'affoler et à  frapper de ses mains le verrou en lâchant quelque jurons au passage. Jusqu'à ce qu'un bruit de métal briser retentit dans la cabine.

« oh merde... »

La petite blonde se retourna lentement, et la roumaine pouvait maintenant voir toute la panique sur le visage de l'inconnue qui tenait dans les main une pièce métallique qui n'était clairement plus à sa place.

« Je… je l'ai cassé »

Pardon ?  

   

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La scène qui se déroulait sous ses yeux était surréaliste. Cassé ? Comment ça « cassé » ? Comment pouvait-on casser le verrou d'une serrure ? Est-ce que ça signifiait qu'elles étaient coincées ici ? Elina observa attentivement la pièce métallique qui se trouvait dans la main de l'inconnue qui semblait aussi déstabilisée que la roumaine par cette situation invraisemblable. La petite blonde tenta alors de recoller sommairement le morceau, suffisamment pour pouvoir au moins déverrouiller la porte, mais sans succès. Elina avait envie de la bousculer et de prendre sa place, peut-être qu'elle s'y prendrait d'une meilleure manière. Mais elle n'osa pas s'imposer de la sorte. Elle préféra attendre que cette intruse abandonne cette idée avant de prendre le relais. Pour le moment, la roumaine resta en retrait et commença à tourner en rond dans cet espace exigu. Et après plusieurs tentatives infructueuses, le petite blonde changea de stratégie. 

« Attends, j'ai une autre idée, j'ai vu ça dans les films »

Elle s'éloigna de la porte pour prendre un peu d'élan et Elina compris instantanément ce que l'inconnue comptait faire. Et c'était une mauvaise idée ! Elle tenta de l'avertir et de l'arrêter mais il était déjà trop tard : ce petit brin de femme avait déjà asséné un gros coup de pieds à la porte, mais son pieds d'appuis glissa sur le carrelage humide de la cabine. Elina, qui s'était élancée pour empêcher la jeune femme impulsive d'agir, n'eut pas le temps d'esquiver la chute de sa compagne d'infortune. Déstabilisée par le poids du corps de cette dernière, la roumaine glissa à tour et, dans un cris de surprise, les deux femmes se retrouvèrent au sol dans une position gênante et inconfortable. 

Sans doute sous l'effet de l'émotion, la petite blonde se précipita pour se relever sans faire attention à ses mouvements. Et son coude vint heurter la mâchoire d'Elina qui se mordit la joue sous le choc. La douleur la fit grimacer et la roumaine pouvait déjà sentir le goût du sang dans sa bouche. Si cette femme n'était pas une espionne envoyée pour la tuer, la scientifique était malgré tout convaincue que son espérance de vie était drastiquement réduite en la présence de cette blonde maladroite. 

« J'suis désolé...! Désolée ! Vraiment… désolé ! »

Elina tenta de se relever quand elle vit la main bienveillante de son agresseur tendue vers elle. Accepter l'aide de la petite blonde c'était se risquer à d'autres maladresses de sa part. De plus, si la roumaine choisissait de prendre cette main pour se relever, leur centre de gravité à toutes les deux se déplacerait dangereusement et les deux femmes risqueraient de se retrouver à nouveau au sol si les appuis de l'inconnue n'étaient pas assez solides. Sans compter que le sol était toujours glissant. Elina refusa alors cette main tendue et se releva seule en crachant du sang dans l'égout de la douche. C’était plus sûr, même si la petite blonde semblait déçue par le choix pragmatique de l'ancienne scientifique. 

« Est ce que… ça va ? »

La roumaine massa sa joue douloureuse avant de répondre dans un soupir. 

« Quand on veut ouvrir une porte avec un coup de pied, il faut viser la serrure. C'est la partie la plus fragile de la porte. Sauf que dans notre cas, les charnière… » qu'elle pointa du doigts en même temps que de les avoir nommé «... sont tournées vers l'intérieur de la cabine et opposent donc une résistance beaucoup plus forte. »

L'inconnue écouta attentivement Elina, regardant les différents éléments au moment où ils étaient mentionnés par la scientifique. Elina avait l'impression de donner un cours à une élève. C'était sans doute ce qu'avait ressenti Emma lorsqu'elle avait expliqué à la roumaine comment forcer une porte d'entrée d'un coup de pied, il y a longtemps sur Nova. 

« Je… J'avais jamais fait gaffe »

Est-ce qu'il était nécessaire de préciser que frapper une serrure pieds nus pouvait être dangereux et qu'en plus le sol était trop glissant pour entreprendre ce genre d'action ? Peut-être. Cependant, Elina ne jugea pas nécessaire de lui faire la leçon. La petite blonde semblait avoir compris son erreur, inutile de l'ennuyer avec cette histoire plus longtemps. Surtout qu'elle semblait vraiment désolée de sa… de ses maladresses. 

Le calme était revenu dans cette cabine de douche et Elina en profita pour analyser la situation. La personne qui se tenait face à elle faisait approximativement la même taille qu'elle. Et Elina n'étant pas spécialement grande, elle était en droit de qualifier cette inconnue de petite. Ses cheveux blond tombaient sur ses épaules et la nature l'avait plutôt gâté de formes séduisantes. La cabine de douche les isolait des néons du vestiaire mais le peu de lumière qui parvenait à entrer dans cette cabine se reflétait parfaitement dans ses yeux bleu-gris. D'un côté, c'était logique puisque les yeux clairs étaient plus sensibles à la lumière. Finalement, cet éclat lumineux qui brillait dans les yeux de jeune femme n'était rien de plus qu'un phénomène physique et biologique tout ce qu'il y avait de plus normal. 

Erin aussi avait le regard brillant. Ce genre de lueur qui apparaît chez les gens qui croquent la vie à pleine dent et à qui tout leur réussit. La vie semble si facile pour ce genre de personne. Tout avait été plus simple à l'époque où elle rencardait la jolie rousse. À ses côtés, tout paraissait réalisable. Combien de dangers avait affronté la roumaine pour sauver leur idylle ? Combien de sacrifices avait-elle fait pour au final être trahie par la paléobotaniste ? Erin avait toujours été présente aux côtés de la scientifique et elle lui avait apporté un souffle nouveau. Elina s'était sentie capable de grandes choses, même d'empêcher une organisation terroriste de s'enfuir avec un projet secret. Mais au moment de sauver le monde, cette sale rouquine avait donné la priorité à une gamine sortie de nulle part. Comment la roumaine était-elle supposée arrêter l'homme qu'elle avait l'espace d'un instant considérer comme son mentor toute seule ? Sans cette force que lui donnait Erin, la même force qui l'avait poussée à affronter une plante carnivore avec un simple couteau, cette même force qui l'aidait à se battre pour rester en vie, comment Elina était-elle supposée mener ce genre de combat ? Cette force l'avait quitté depuis que cette peste lui avait tourné le dos. 

Finalement, l'amour comme toutes les autres interactions sociales ne menait qu'à une seule issue : la déception. Et le facteur commun à toutes ces malheureuses expériences était Elina. Peut-être qu'elle n'était pas faite pour être aimée. Peut-être était-elle destinée à être le jouet d'une personne qui était simplement un peu plus loyale que les autres. Après tout, Einstein disait que seul un fou était capable d'attendre un résultat différent en répétant les mêmes erreurs. Et Elina avait été folle de croire qu'en donnant sa confiance à quelqu'un elle finirait bien par ne plus être trahie. Puisque l'humanité était prédestinée à lui planter un couteau dans le dos tôt ou tard, alors autant ne plus croire en l'humanité. On ne la trahirait plus si elle ne donnait plus sa confiance. On ne l'abandonnerait plus si elle ne donnait plus son amour. Et on n'essayerait plus de la tuer si elle s'éloignait à tout jamais du Jurassic Park. C'était une vision simple et utopiste de croire que faire le choix de l'isolement la rendrait heureuse, mais depuis plusieurs mois ça semblait fonctionner. En tout cas, ça ne la rendait pas plus malheureuse. 

« Est-ce que tu as une idée ? »

Elina se ressaisit. Ressasser le passé et justifier sa solitude n'était pas vraiment le genre d'analyse qu'elle avait imaginé faire. Pour le moment, il y avait d'autres priorités : elles devaient sortir d'ici. La roumaine ne voulait pas passer la nuit dans une cabine de quatre mètres carré avec une inconnue et c'était sûrement réciproque. Il fallait trouver une solution pour…

« qu'est-ce que tu fais ?! » demanda la roumaine, surprise. 

« Je nous sors de là. » répondit avec détermination la petite blonde qui venait de s'allonger sur le dos pour essayer de passer par l'ouverture sous la porte. 

C'était exactement pour éviter ce genre de situation que l'on donnait aux enfants des jouets où il fallait mettre la bonne forme dans le bon trou. Elina avait déjà remarqué que la poitrine généreuse de la petite bonde l'empêcherait de s’échapper par cette petite ouverture, aussi élastique soit-elle. L'inconnue au bikini bleu était maintenant allongée au le sol, les jambes écartées et les genoux relevés pour tenter de s'appuyer à tout ce qui était possible. Seul le visage de la jeune femme avait disparu de l'autre côté de la porte. Si maintenant elle se mettait à dire qu'elle était coincée, tous les éléments seraient alors réunis pour faire un mauvais film porno. 

« Aide-moi, j'crois que je suis coincée... »

Les gémissements qui suivirent ces paroles ne rendirent la situation que plus gênante. 

Sérieusement ?! Combien de situations compromettantes cette nana bizarre allait-elle devoir vivre avant de comprendre que foncer tête baissée ne menait à rien ? Elina se précipita pour aider la jeune femme, même si elle ne savait pas encore comment elle pourrait être utile. Si cette petite tête blonde était parvenue à se faufiler sous cette porte, il n'y avait aucune raison pour que l'opération inverse ne soit pas réalisable. Pendant que l'inconnue se débattait chaotiquement pour se libérer, la roumaine tenta de soulever et de plier le bois de la porte un minimum. Et finalement, sûrement grâce à l'énergie du désespoir, les mouvement aléatoire de la jeune femme combinée à la force de nouveau né d'Elina finirent par ramener la petite blonde à l'intérieure de la cabine. Retour à la case départ.  

La roumaine bloqua un de ses pieds nus contre l'une des parois de la cabine et, sûre de ses appuis, tendit une mains pour aider la jeune femme à se relever. Mais la petite blonde ignora Elina et se releva seule. À ce moment, elle eut la conviction d'avoir effectivement vexé l'inconnue un peu plus tôt lorsqu'elle avait elle-même refusé son aide. 

Une fois relevée par ses propres moyens, la blonde regarda autour d'elle pour trouver une autre idée farfelue. Et elle ne tarda à venir. 

Les yeux de cette femme s'égarèrent quelques secondes sur la poitrine d'Elina qui comprit instantanément où elle voulait en venir.

« Je ne passe pas non plus ! » anticipa la roumaine en croisant les bras, presque vexée…

« Ok, mais si tu me fais la courte échelle, je pourrais peut-être passé par l'ouverture au dessus » 

« Je ne vais rien te faire du tout ! »

A quel moment la jeune femme pensait pouvoir passer par une ouverture beaucoup plus fine qu'au sol ? Avait-elle seulement conscience du danger auquel elle s'exposait ? 

Sa réponse un peu sèche choqua la jeune femme. Elina ne voulait pas se retrouver dans une situation plus complexe que de « simplement » être bloquée à l'intérieur d'une cabine de douche. Elle ne voulait pas que la situation ne s'aggrave. Si l'une d'entre-elles venait à se blesser, elle n'aurait que leur maillot pour arrêter une hémorragie. Et les décisions hâtives et un peu trop téméraires de la petite blonde commençaient à la stresser. Cela se ressentait dans le ton de sa voix. 

La roumaine soupira pour se calmer. 

« Si t'es bloquée là-haut, je ne pourrais rien pour toi » reprit-elle plus doucement, comme pour s'excuser. 

Le calme revint une fois de plus dans les vestiaires de la piscine alors que les deux femmes se dévisageaient, cherchant l'inspiration dans les yeux de l'autre. Et pour ne pas changer, ce fut encore une fois cette inconnue qui rompit le silence.

« Bon, dans ce cas il ne nous reste plus qu'une chose à faire »

Elina interrogea du regard la jeune femme avant que celle-ci ne se mette à hurler à plein poumon. 

« À l'aiiide ! » 

Faire du bruit pour attirer l'attention de quelqu'un qui serait éventuellement encore présent était l'idée la moins dangereuse qu'elle avait eu pour l'instant. La brune décida alors de rejoindre les efforts de sa comparse.

« On est coincée ! »

« Aidez-nous ! » 

À leurs cris se joignait le martèlement frénétique de leurs mains sur la porte de la cabine. Elina en était convaincue, elles faisaient toutes les deux suffisamment de bruit pour réveiller un mort. Et la réponse à leurs appels à l'aide ne se fit pas attendre. Le courant se coupa, et les yeux bleu-gris de la petite blonde disparurent dans les ténèbres.

   

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“On fait quoi maintenant ?”

Une voix claire et perçante, émise par une silhouette sombre et menaçante à peine perceptible. La petite blonde avait disparu aussi vite que le courant s’était coupé dans les vestiaires. Elle n’était plus qu’une masse obscure et difforme qui lui faisait face. Seule la faible lumière des panneaux “sortie de secours” qui se reflétait contre les parois de la salle donnait un semblant d'éclairage, tout juste suffisant pour distinguer des formes vagues et des ombres inquiétantes. Si la roumaine n’avait pas pris le temps d’observer en détails la jeune femme un peu plus tôt, son cerveau aurait sans doute transformé la silhouette de l’intruse en quelque chose de beaucoup plus effrayant. Il fallait rationaliser. La personne piégée dans la même cabine n’était qu’une inconnue qui s’était perdue. à priori, ses intentions n’étaient pas hostiles. Il s’agissait juste d’une malheureuse coïncidence et d’un enchaînement de malchance. La roumaine devait s’en convaincre pour ne pas devenir folle, surtout si…

“On va rester coincé ici toute la nuit?”

Surtout si elles étaient coincées ici toute la nuit. La situation était plus qu’inconfortable et Elina n’avait aucune envie de passer la nuit ici avec une pile électrique hyperactive, hyper sociable, et hyper maladroite. Elle allait avoir besoin d’une boîte de calmants ou d’une bonne bouteille pour endurer cette épreuve. Et il n’y avait rien de tel dans les alentours. La roumaine avait surtout besoin de rentrer chez elle mais elle en était dans l’incapacité pour le moment. Et c’était frustrant. Même en tournant en rond dans le coin de cabine qu’elle s’était réservé, même en croisant les bras et en se refermant sur elle, la jeune femme ne parvenait pas à calmer son malaise. Elles ne pouvaient pas sortir d’ici. Et Elle allait devoir supporter cette situation. Pour l’instant…

“Est ce que tu as une nouvelle idée?”

Pour l’instant elle n’avait pas d’idée puisque son sujet de préoccupation actuel était de devoir gérer son anxiété sociale. Cependant, ce malaise allait devoir attendre. Car ses principaux ennemis pour la nuit seraient le froid et l’humidité. La faim et la soif seront des éléments gênant plus que mortels puisque personne n’est jamais mort de faim ou de déshydratation en si peu de temps. La gestion de la fatigue et du stress aura également son importance, tout comme le besoin d’intimité. Les deux femmes ne disposaient actuellement d’aucune ressource pour affronter cet événement. Il fallait traiter chacun de ces éléments individuellement et elles n’avaient à leur disposition que leur maillot deux pièces respectif. Pas de clope. Pas de feu. Pas d’intimité. La nuit s’annonçait difi…

“Pourquoi tu dis rien?”

“Je réfléchis, merde! Est-ce que…” ça t’arrive de réfléchir…

Elle parvint à se retenir de terminer sa phrase. Attaquer gratuitement la jeune fille ne mènerait à rien de bon. Surtout si elles devaient passer la nuit ensemble. Cependant, même si la roumaine s’était retenue de dire le fond de sa pensée, elle sentait bien que l’atmosphère s’était refroidie. Elle n’avait pas besoin de voir le visage de l’inconnue pour comprendre qu’elle avait été blessée par la réaction explosive d’Elina. Même s’il était difficile de réfléchir avec une personne comme la petite blonde dans les parages, sa réaction avait été disproportionnée.

“Je ne voulais pas…”

“Ça va, c’est bon. T’inquiètes.”

Et voilà. Son malaise commençait déjà à se faire ressentir. Surtout que ce n’était pas son genre d’être aussi grossière. L’inconnue pouvait bien dire que ça allait, Elina ne croyait pas ses paroles. Le fait que l’elle l'ai coupée avant même que la roumaine n’ait eu le temps de faire ses excuses était la preuve que ça n’allait pas. Et même si la cabine empêchait une grande majorité de la lumière de rentrer, Elina pouvait clairement voir que son interlocutrice venait de lui tourner le dos pour faire les cent pas près de la porte.  

La jeune femme soupira.

Il fallait désormais trouver une solution pour régler le malaise qui régnait maintenant entre les deux jeunes femmes. Mais Elina ne savait pas quoi dire. C’était assez ironique de voir qu’il était plus facile pour la scientifique de recomposer un génome vieux de plusieurs millions d'années que de trouver trois mots à aligner correctement pour briser la glace. C’était également assez ironique de voir que c’était elle, la personne la moins à l’aise en société, qui cherchait un moyen de renouveler la communication. Il fallait se l'avouer, il n’existait que très peu de situations dans lesquelles la roumaine se sentait dépassée. Elle était une survivante, elle avait combattu des créatures terrifiantes, encaissé des événements traumatisants, et pourtant elle ne parvenait pas à surmonter sa phobie sociale.

Ne trouvant aucune solution à cette impasse, elle préféra laisser ce silence malaisant dominer la pièce dans laquelle elles se trouvaient. Mais ce fut finalement l’inconnue qui prit l’initiative de mettre fin aux hostilités. Ce qui était rassurant.  

“Est-ce que…” commença-t-elle, hésitante “... on va s’en sortir?”

La question était surprenante et pleine d’inquiétudes. Elina ne s’attendait pas à voir le doute s’installer dans le cœur de cette femme qui paraissait si sûre d’elle quand elle mettait en application ses plans loufoques pour s’évader de cette cabine de douche. Pourtant, la réponse était simple : bien sûr qu’elles allaient s’en sortir. Mais si l’inconnue se posait ce genre de question, un simple “oui” ne suffirait probablement pas à la rassurer.

“Théoriquement, un humain peut vivre 3 minutes sans oxygène, 3 jours sans eau et 3 semaines sans nourriture. Donc à priori, on devrait pouvoir s’en sortir, oui.”

La nouvelle semblait avoir rendu l’optimisme à l’inconnue puisque sa voix semblait moins éteinte et qu’elle faisait de nouveau face à la roumaine.

“Tu as l’air de t’y connaître. Ça t’arrive souvent d’être coincée dans des cabines de douche?”

Pas vraiment. Il s’agissait en fait d’une simple théorie qui était utilisée par les personnes qui étudient la survie en milieu hostile. Ce n’était pas vraiment son milieu d’expertise et la durée varie selon l'âge, le poids, le vécu et sûrement aussi le génome de la personne. De plus, Elina doutait qu’un scientifique ait vraiment pris le temps de chronométrer la durée de vie d’un humain privé de l’un de ces éléments. De plus, c’était la première fois qu’elle était bloquée dans une piscine avec une inconnue.

“Heuu, non, pas vraiment.”

La silhouette ria dans sa gorge.

“C’était une blague, pour détendre l’atmosphère.”

D’accord. Elina ne comprenait pas où était la blague mais après tout, elle n’avait jamais été la plus drôle de la bande.

“Désolé, je ne suis pas très à l’aise avec…” Elina ne termina pas sa phrase. Elle avait failli dire “avec toi” mais ce n’était pas vraiment la petite blonde le problème. La roumaine était simplement maladroite avec les gens de manière générale. Mais elle ne savait pas trop comment exprimer son malaise. Alors elle se contenta de conclure par “...enfin… tu vois…” afin de déléguer la responsabilité à cette inconnue d'interpréter correctement le fond de sa propre pensée.

La silhouette en face d’elle émit un petit ricanement avant de répondre.

“T’inquiète, j’avais remarqué.” Fit la petite blonde d’un air moqueur avant de reprendre son air enjoué habituel. “On n’a qu’à commencer par se présenter!”

Et pour ne pas laisser le temps à la roumaine de protester, la pile électrique reprit la parole.

“Moi, c’est Charlie. Charlie Sandoval” dit-elle en lui tendant la main tout en continuant de parler. ” Mais tout le monde préfère m'appeler Sandy. “Charlie”, c’est trop masculin à leur goût. Même mes parents m'appellent Sandy, tu te rends compte de l’ironie ?”

Trop d’informations. Beaucoup trop d’informations. Elina s’était juste contenté de dire qu’elle n’était pas à l’aise dans cette situation et cette Charlie avait sauté sur cette opportunité pour régler ce problème en voulant instaurer un climat de confiance par des présentations. Sauf qu’Elina n’avait rien demandé… La roumaine avait simplement entrouvert une porte pour commencer à parler plus facilement et Charlie venait de défoncer cette porte d’un grand coup de pied, était partie se chercher une bière dans le frigo, et s’était installée dans le canapé en décidant du programme TV. Voilà comment Elina interprétait cette main tendue et le long monologue de la blonde.

La jeune femme attrapa la main de l’intruse comme elle aurait pu le faire avec un mouchoir souillé.

“Enchantée…” Répondit Elina, sans vraiment être sûre d’être réellement enchantée de cette rencontre. “Tu accordes toujours autant d’importance à ce que pensent les autres ?”

Charlie lâcha la main de la roumaine et eut un mouvement de recul. Elina comprit alors qu’elle avait peut-être mal choisi sa question. C’était pourtant étrange que la petite blonde se justifie autant pour un simple surnom. Le sujet était peut-être sensible. Elle ne put s’empêcher de s’en vouloir d’avoir posé cette question en voyant l’extravertie sur la défensive.

“Heu, pas vraiment. Tu peux m’appeler comme tu veux.”

Elle avait merdé et ruiné à nouveau l’ambiance. Et dans ce genre de situation, il vallait mieux utiliser l’humour pour corriger le tir. Charlie elle-même avait utilisé une blague pour détendre l’atmosphère. Elina devait improviser quelque chose et vite.

“Tu as… Un prénom original. Il y a d'ailleurs un plat qui porte ton nom.”

L’ombre pencha la tête en signe d’interrogation.

“Qu’est qu’on mange ce soir ? Comme tu veux” enchaîna la jeune femme en imitant du mieux qu’elle le pouvait un couple se disputant sur le repas du soir.

Un silence gênant s’installa et Elina craignait que ce ne soit parce que sa blague était mal comprise. Tout comme elle-même n’avait pas compris la blague de l’intruse juste avant. Alors, devant l’absence de réaction, elle s’empressa de se justifier.

“Parce que tu as dit que”

Mais elle n’eut pas le temps de terminer son explication que le fou rire strident de l’intruse se fit entendre dans tout le complexe. Elina se pinça les lèvres, ne sachant pas si le rire était forcé ou naturel, et fit du mieux qu’elle put pour rester stoïque devant les éclats de rire de “comme-tu-veux” qui peinait clairement à retrouver son calme. Sa blague n’était pourtant pas si drôle que ça.

“Ah merde” parvint finalement à dire la silhouette hilare de la petite blonde qui reprenait maintenant son souffle et dont les mouvements de bras firent comprendre à Elina qu’elle s’essuyait les yeux. “Celle-là, on n’me l’avait pas encore faite !”

Au moins, le résultat était là. Charlie venait de retrouver la joie de vivre qui semblait l’animer au quotidien. S’il suffisait d’un jeu de mot médiocre pour donner le sourire à la jeune femme, alors elle ne devait pas être compliquée à vivre.

“Au fait, tu ne m’as pas encore dit comment tu t’appelles.”

“Elina. Mais tout le monde m'appelle Elie”

Ses yeux s’étaient habitués à l’obscurité. Et en se concentrant un minimum, la roumaine pouvait revoir certains détails qui avaient disparu dans les ténèbres. La silhouette de la blonde était devenue plus fine, moins floue. Les traits du visage devenaient plus clairs et le regard azur de l’intruse était désormais beaucoup plus perçant. Elina pouvait même voir un sourire se dessiner sur les lèvres de la jeune femme avant qu’elle ne prenne la parole.  

“Ravie de faire ta connaissance, Lina.”