Le 6ème cercle de l'Enfer

*Toc… Toc… Toc…*

La mélodie répétitive et rythmée par la détermination d’un homme résonnait dans le couloir qui menait au laboratoire. Il approchait du but et il le savait : ce n’était plus qu’une question de temps. Il fallait la jouer fine et rien n’allait être simple dans cette affaire mais il allait obtenir ce qu’il voulait. C’était un mystère à résoudre et Gregory aimait les énigmes. Et si ce n’était pas ça la solution à son problème ? Cela aurait eu au moins le mérite de l’occuper pendant un temps. Mais pourquoi faire autant de broutilles autour de “ça”, si ce n’était pas “ça” la solution ? Et qu’est-ce que c’était au juste ? C’était la question à un million de dollars qu’il essayait de résoudre maintenant depuis près d’un an et demi. À l’origine, la création des dinosaures n’était pas quelque chose de simple et nécessitait une technologie de pointe pour y parvenir. InGen était dans les années 90 très avancé sur son temps et appliquait une technique révolutionnaire et tout juste découverte. Nous étions alors qu’aux prémisses de ce que l’entreprise serait par la suite. Les années 2000 et la montée en puissance de ce que pouvait être l’ADN pour la médecine, la justice et plus largement pour les sciences ont été un revirement d’ampleur pour le monde. Recréer des dinosaures était devenu alors pour InGen d’une facilité déconcertante, une banalité presque ennuyante. La technique restait globalement la même mais les machines évoluaient à une vitesse hallucinante. Ce qui prenait alors des jours voire des mois ne prenait alors plus que quelques heures. Au fur et à mesure des années et des évolutions technologiques, le monde scientifique ne faisait plus que gagner un temps considérable. Au même titre que les formules mathématiques établies par des lois physiques régissant notre univers, les procédés ne pouvaient en somme pas changer mais les moyens pour atteindre les résultats attendus en revanche ont effectué un bond invraisemblable. Et cette idée de gagner toujours plus de temps s’est portée sur le quotidien de l’humanité. Tout doit aller plus vite, c’était le maître mot scandé par le monde. Ainsi, des accélérateurs de croissance pour que les créatures grandissent plus vite ont été mis au point. Éthiquement ridicule et très moyen si on lui demandait son avis mais financièrement rentable puisqu’en deux trois temps mouvements on avait un dinosaure grandeur nature avec le cerveau d’un nouveau né. Fantastique… Et malléable !

Et pourtant, InGen était bien la seule entreprise en capacité de le faire. Les dinosaures, la technique, la pratique, tout était breveté. C’était une évidence. Mais qu’est-ce qui empêchait une autre entreprise de se lancer dans la résurrection des dinosaures ? L’intérêt ? Le porte-monnaie ? Après tout, rien que l’achat des sites de fouille était plutôt onéreux. Mais en soit, rien n’était incontournable. Les fossiles et l’ambre peuvent très bien être puisés sur d’autres sites, les espèces recréées peuvent être différentes et si on voulait même être tâtillon et qu’on avait des avocats en béton, on pouvait très bien utiliser l’ADN d’un autre batracien. Pour ce qui est de l’intérêt, il pourrait varier : études et analyses comportementales, génétiques et/ou physiques dans un premier temps pour les plus banales. Disséquer ces animaux pour découvrir de nouvelles propriétés ou de nouvelles utilisations par la suite. Et enfin, commercialisations globales : cosmétiques, textiles, drogues diverses et variées de l’aphrodisiaque à l'hallucinogène, alimentations et même divertissements. Les espèces déjà créées par InGen étaient protégées, que ce soit celles sur le parc ou celles sur le site B. En faire de nouvelles, un nouveau brevet, par une autre entreprise ouvrait concrètement les portes vers de toutes nouvelles applications. Légales ou non. Alors pourquoi personne ne le faisait ? InGen était loin d’être l’entreprise la plus profitable et la plus riche. C’était plus complexe que ça. Non, recréer des dinosaures n’était pas aussi simple et tout était loin d’être révélé librement au public. Les animations du centre de la découverte dans le soi-disant laboratoire de la création Hammond n’étaient presque qu’un ramassis de conneries. On jetait de la poussière dans la gueule des visiteurs en leur promettant qu’il s’agissait d’authentiques paillettes. Le pire était sûrement que tous ces analphabètes et absolus crétins s’en contentaient. L’argent offrait bien des choses mais pas des neurones. Et c’était peut-être pas plus mal parce qu’il était de toute façon probable qu’ils ne sachent pas quoi en faire.


Quoi qu’il en soit, Gregory s’approchait du but. Ô doux frisson. Il le sentait. Ce frisson d’être au porte d’une découverte fantastique se faisait de plus en plus intense. Une chose l’avait mise sur la piste et on lui avait livrée sur un plateau. Un beau et grand plateau de 6 mètres de haut et 20 mètres de long. Pour parler vulgairement, si de l’ADN de batracien avait bel et bien été utilisé pour compléter les génomes incomplets des dinosaures, une molécule aux propriétés étranges avait été également utilisée pour souder le tout. Sur un dinosaure lambda, cette trace était finalement à peine visible. Sur une créature hybride composée d'autant de génomes différents, c’était une autre histoire. On ne se contentait pas de compléter grossièrement les trous comme avec un dit “lambda” mais qu’on y ajoutait également d’autres propriétés ou particularités pour satisfaire la demande. Les yeux avides du vieux scientifique avaient tout de suite repéré cette “anomalie” sans réellement comprendre de quoi il s’agissait mais celle-ci était de toute évidence utiliser de manières plus intensives sur un hybride. Lorsqu’il avait confronté ses supérieurs sur le sujet, la question avait été écartée, évincée et on lui avait vite fait comprendre qu’il n’obtiendrait pas de réponses de leur part. Ce qui était très mal le connaître.

Cela faisait déjà près d’un an et demi que Gregory était penché sur la question et autant dire qu’il l’avait retourné dans tous les coins possible et inimaginable. Il était prêt à tout et n’importe quoi pour arriver à ses fins. Il s’était même rapproché de la concurrence pour avoir le recul nécessaire et guetter d’une manière ou d’une autre les avancées qui se faisaient autour d’InGen. Sur le papier, la théorie lui semblait plutôt claire. En pratique, c’était bien là la difficulté du projet. La seule fois où il avait réellement eu accès à cette fameuse molécule sous sa forme la plus parfaite, ce fut lors de la conception de l’Indominus Rex. Et depuis lors, les créatures étaient sous surveillance de jour comme de nuit. Lorsque l’albinos avait tué sa sœur, Gregory avait bien tenté de récupérer les restes pour les analyser mais sans succès. Premièrement parce qu’il n’y en avait quasiment pas (de restes) et deuxièmement parce que tout avait été parfaitement nettoyé. Pour le peu qui restait, il avait été utilisé comme engrais au Jurassic Garden. La seule satisfaction dans cette histoire était de savoir que “la fleur de Wu” baignait dans les excréments de sa propre créature. L’ironie était plutôt satisfaisante quand on y réfléchissait. Oui. Le Dr Henry Wu était dans la merde jusqu’au cou. Cela faisait des mois que Gregory le suivait comme son ombre. Cela faisait des mois qu’il faisait des heures supplémentaires pour grappiller ne serait-ce qu’une petite information. Inutile de faire de grandes enjambées si c’était pour se casser la gueule. Non, cela prendra le temps que cela prendra. Il était aux portes d’une découverte, elles finiraient forcément par s’entrouvrir et alors il glisserait sa canne dans l’interstice pour y entrer dans un fracas comme il savait le faire. Une entrée fracassante pour une sortie réussie.

Aujourd’hui encore, il avait suivi le moindre pas de son supérieur. Cela faisait quelque temps qu’il recevait des appels téléphoniques d’une personne qui semblait l’ennuyer au plus haut point. Ce qui était sûr, c’est qu’il ne s’agissait pas de Simon Masrani. Gregory aurait reconnu sa voix criarde et son accent entre mille. Pour les avoir vécus, il savait déjà comment se passaient les échanges entre le scientifique et le directeur. Cela se terminait généralement par l’exaspération du Dr Wu et son isolement presque immédiat pour calmer probablement sa frustration. Celle de travailler pour un patron dont la simplicité ne pouvait qu'exaspérer. Mais il avait généralement carte blanche, un accès total aux portes monnaies et à la panoplie de génomes de l’entreprise. Avec ça, qui ne serait pas tenté pour quelques projets personnels ? Mais non, ces appels qu’il recevait de plus en plus régulièrement semblaient réellement le tourmenter. Cela en était arrivé au point où il laissait bien souvent sonner le téléphone en soupirant avant de finalement répondre en s’isolant. Le Dr Henry Wu était quelqu’un de mystérieux, un incompris qui aimait la solitude. Gregory avait bien vite compris que, contrairement à la plèbe qui cherchait avant toute chose une reconnaissance quelconque à un degré où elle serait satisfaite de discuter avec un caillou, il ne deviendrait pas ami avec Wu. Il ne l’aurait pas comme ça.

L’avantage d’une canne, hormis l’équilibre et le charisme qu’elle vous procurait, était que l’on vous entendait arriver de loin. Outil de choix pour rythmer votre démarche et orchestrer une entrée de maître. Quand à votre sortie, si vos propos n’ont pas terminé de convaincre ou de marquer le point final, elle laissera ce son singulier qui ponctuera votre discours. Succès garanti. L’avantage d’une canne, hormis l’équilibre et le charisme qu’elle vous procurait, était que sans, plus personne ne vous entendait. Vous n’existez temporairement plus aux yeux du monde. Certaines manipulations nécessitaient de toute façon un environnement stérile et malgré son handicap, Gregory était plutôt du genre à respecter ce genre de règles qu’il menait avec une expertise sans nom. Il ne manquait d’ailleurs pas d’envoyer quelques brimades bien senties à ceux qu’il estimait moins que loin, à ceux pour qui les règles n’étaient que des contraintes. Il avait donc laissé sa canne à l’entrée sur un porte-manteau et s’approchait tant bien que mal de son supérieur, lentement mais sûrement, sans un bruit. Il cherchait des yeux le portable qu’il entendait vibrer. Le Dr Wu n’était pas très grand. Il ressemblait à une fouine, à un vermisseau se dissimulant dans son bureau quand l’occasion se présentait et toutes les excuses et les prétextes semblaient suffisants pour le faire. Il n’était pas rare de le voir disparaître et ressurgir à n’importe quelle heure. Il y avait derrière lui toute une équipe de scientifiques en tout genre, généticiens, biologistes, techniciens à son service. Mais le Dr Wu semblait toujours seul. Il ne sympathisait qu’avec très peu de monde, s’attribuant les mérites des autres et agissant principalement dans l’ombre. Une sorte de génie incompris pour qui Gregory avait malgré lui développé une certaine forme d’obsession, une certaine forme de respect. Il ignorait seulement s’il devait le considérer comme son égal ou comme un rival, les deux n’étant pas incompatibles.

À côté, le Dr Morrison était un géant qui, depuis les cieux, discernait enfin l’interlocuteur sur le téléphone : “Mills”. Le scientifique fronça des sourcils devant ce nom qui ne lui disait rien. Il n’était pas quelqu'un de très social, tout du moins pas si cela ne lui apportait rien, mais il n’y avait à sa connaissance aucun “Mills” dans les parages. Un partenaire ? Un promoteur ? Un investisseur ? Une personne extérieure ? Les possibilités étaient grandes pour le moment et il était inutile de tergiverser autour de la question.

« Che l'anima col corpo morta fanno », marmonnait Wu dans sa barbe inexistante.

Gregory arquait un sourcil. Il savait en revanche reconnaître une faille quand il en voyait une et il y avait là un coup à jouer. Si cela ne ressemblait pas au Dr Wu qu’il connaissait, cela ressemblait néanmoins à une invitation pour engager une conversation. Haussant les épaules inconsciemment, le scientifique se lançait malgré tout pour lui répondre.

« Mais à la demande que tu me fais… Ici sera bientôt satisfaite et aussi au désir que tu me taises »


L’ironie le fit sourire. Gregory adorait l’ironie, surtout quand elle faisait sursauter son interlocuteur perdu dans ses pensées. Il ne l’avait donc véritablement pas entendu arriver.

« Pardonnez-moi. Je n’ai pas pu m’en empêcher. J’ignorais que vous, un homme de science, avait ce genre de lecture. J’ai fini le séquençage que vous m’aviez demandé. »

Bien entendu, Gregory savait que le Dr Wu lui avait donné ça pour l’occuper et pour ne plus l’avoir par les pattes. Et bien entendu, il avait terminé ça à vitesse grand V. Même s’il devait l’avouer, il avait délégué certaines parties à des “stagiaires”, appelés communément “êtres humains malléables” ou “esclaves”. Ces choses informes vouées à être utilisées par des entreprises véreuses en leur promettant monts et merveilles. Stagiaires. Esclaves. Franchement. Ça sonnait presque pareil. Sûrement une déformation du mot avec le temps… Bref. Gregory avait déjà eu une information aujourd’hui qui lui semblait capitale. Rien ne l' empêchait de faire demi-tour et de trouver un arrangement avec son ami informaticien pour creuser davantage. Mais aujourd’hui, il se sentait l’âme d’un pêcheur et il lançait désormais sa ligne en espérant que le gros poisson mord. Dans tous les cas, il ne rentrera pas bredouille.

« C’est tout de même marrant ces petites choses que l’on retrouve partout dans nos génomes sans savoir de quoi il s’agit, vous ne trouvez pas ? », fit-il en se grattant la barbe d’un air forcé. « Enfin ! Vous aviez l’air en pleine réflexion, je peux peut-être vous aider ? »

Le docteur Wu affichait son traditionnel air offusqué. Les sourcils froncés, un soupir prêt à sortir à tout instant, un rien ne semblait l’exaspérer. Il s’approchait à pas de loup vers la porte et la fermait délicatement. Il ne produisait presque aucun son dans ces déplacements si bien qu’il semblait presque flotter. On aurait presque pu le croire si le frottement de ses vêtements ne se faisait pas entendre de temps en temps. Wu avait cette manière de se mouvoir qui lui donnait un air sournois mais qui lui donnait aussi de la valeur, de la prestance lorsqu’il entrait dans une pièce. Il baissait ensuite les stores et la pièce s'emplissait à la fois d’une certaine intimité mais aussi d’une atmosphère oppressante. Le supérieur avait désormais un regard mauvais qu’il adressait directement au vieux scientifique. Non pas que celui-ci était habituellement bienveillant, loin de là. Mais ce regard était différent, plus sombre. Voilà à quoi ressemblait donc le vrai visage de Henry Wu. Celui de Gregory se mit donc instantanément à niveau et se fit plus intense et perçant à son tour. D’un ton désobligeant et défiant, Dr Wu lançait bien évidemment les hostilités.

« Écoutez moi très attentivement Mr Morrison, en temps que votre supérieur hiérarchique, je vais être très clair sur votre rôle au sein de cette entreprise : vous travaillez sur les tâches et dans les conditions que je vous donne. Toute forme de zèle sera considérée comme un potentiel manquement à votre devoir et à un risque prononcé de manquement à la sécurité du Jurassic World, car je pourrais très habilement faire comprendre à Mr Masrani que vous représentez une menace en cherchant à divulguer des secrets du parc. »

L’ironie, toujours, fit sourire Gregory d’un air provocateur, presque insolent. “Divulguer des secrets du parc”. Des menaces et du chantages, si rapidement, un excès de vitesse qui ne manquait pas de flasher dans l’esprit du vieux scientifique. Ces mots n’avaient pas été employés au hasard et, encore une fois, Gregory avait l’impression d’avoir mis le doigt là où ça faisait mal. Est-ce que le Dr Wu avait des choses à avouer ? Ce dernier se dirigeait de nouveau vers la porte de son bureau, l’ouvrait et poursuivait avec toujours cette arrogance qui lui était propre.

« Le terrain sur lequel vous vous aventurez est très risqué, nombreux sont ceux qui ont voulu découvrir les secrets d’InGen. Aujourd’hui ces hommes sont presque tous morts. Contentez vous de faire le travail pour lequel on vous paie et ne m’importunez plus sous aucun prétexte. Allez donc voir le Dr Casta et vérifiez qu’elle ait bien fait ce qu’il lui avait été demandé. »

À nouveau, était-ce une menace ? Un avertissement ? Un conseil ? Peu importait, Gregory restait impassible puisqu’il savait désormais qu’il était aujourd’hui suffisamment proche pour obtenir ce genre de réponses. Il recevait ainsi ces mots comme une aubaine qui provoquait désormais chez lui un sourire carnassier et l’excitation d’une potentielle découverte. InGen, une si belle entreprise, des projets littéralement titanesques, clé vers l’avenir et éco responsable en devanture mais l’arrière boutique lui semblait déjà bien plus sombre et donc… Bien plus intéressante. Les méchants lui avaient toujours semblé plus intéressants parce que tout simplement mieux écrit de manière générale. Il n’y a pas de bons gentils sans un bon méchant. Et même avec ça, l’archétype du gentil est toujours similaire, plat et ennuyant. Barbant. Alors que celui du méchant peut être entièrement différent à chaque fois. Peut-être l’est-il pour une bonne cause. Un drame qui bouleversa sa vie et changea complètement l’idée qu’il se faisait de la vie. Peut-être cherche-t-il à réparer un tort qu’on lui a causé par le passé, quel qu'en soit le prix à payer. Ou alors peut-être est-il tout simplement diabolique et que, quoi qu’il advienne, il est impossible de découvrir pourquoi. Un mystère qui planera et suscitera les théories les plus intéressantes, les plus folles et les plus tirés par les cheveux possibles. Et c’est ça qui attire chez le méchant, chez le monstre, chez le tueur. On est fasciné malgré tout par les actes innommables qu’il a commis, qu’il commet et qu’il va commettre. On essaye de comprendre pourquoi il les fait, dans quel but. On se demande ce qu’il se passe dans sa tête.

« Maintenant sortez ! », indiquait son supérieur d’un geste de la main comme s’il congédiait un enfant.


Gregory, toujours sourire en coin, boitait péniblement jusqu’à l’entrée. Après quelques pas douloureux, il s’arrêtait à la hauteur de son supérieur qui se trouvait à côté de l’unique sortie et le jaugeait à son tour d’un regard sombre. Le vieux scientifique se penchait vers l’avant et balançait un bras vers l’extérieur de la pièce pour se saisir de sa canne qu’il avait laissé pendre sur un patère. Une fois en main, il s’en servit immédiatement d’un geste rapide et exécuté avec précision. De son extrémité, il attrapait la poignée de la porte qu’il fit cette fois claquer sous le regard médusé et offusqué de son supérieur alors que Gregory se dressait désormais devant lui. Satisfait de cette mise en scène, le vieux scientifique se lançait à son tour et sa voix se faisait plus piquante et caverneuse, comme si elle venait du plus profond de ses entrailles.

« “Je suis un qui descend avec ce vivant de cercle en cercle, et j’entends lui montrer l’Enfer.” », il marquait une pause pour que le Dr Wu comprenne le message.


“Le guide”. Ça lui semblait être un bon titre non ? Mais est-ce que Henry Wu voudra bien le suivre en enfer ? C’était là une autre question. Gregory savait d’ores et déjà qu’il entamait un jeu qu’il n’était pas sûr de gagner. Cela étant dit, où serait le plaisir de jouer s’il n’y avait le risque de perdre ?

« La mort est inévitable et, de mon jeune âge,  j’ai déjà appris à l’accepter et à embrasser l’idée qu’elle sera grandiose. », fit-il en souriant. « Henry, Henry,…», soupirait-il. « Pourquoi faire de moi votre ennemi quand je peux être un fidèle allié ? Je n’ai que faire des secrets d’InGen. » Mensonge. « Au Diable le Dr Casta et le Dr Ruso. Au Diable tous ces scientifiques de pacotille. Je m’adresse au scientifique devant moi, le seul ici qui comme moi a une vision et de vraies ambitions. », dit-il en le pointant du doigt.


Wu ne semblait pas particulièrement atteint par les bassesses du genre et ne semblait pas pour autant impressionner face à l’homme qui était tout de même plus grand que lui et qui venait de se rebeller. Il affichait néanmoins un air intéressé dont profitait Gregory pour s’engouffrer dans cette faille. Son supérieur était un mur quasi impénétrable, un mystère à lui tout seul. Les secrets d’InGen ne l’intéressaient pas vraiment et même si ce n’était pas entièrement vrai, ceux du Dr Wu l’était beaucoup plus. InGen était une entité intangible mais les hommes derrière cette entreprise ne l’était pas. Si Gregory était beaucoup plus âgé que lui, Henry en revanche faisait presque partie des murs et avait bâti cet empire qui n’était pas le sien par son cerveau et par ses actions. Et la reconnaissance qu’il en avait était largement amoindri au point où ce dernier avait rédigé un livre. Acte désespéré d’un scientifique qui patauge dans une mare aussi grande que Masrani Global. Tout du moins, c’était l’image que Gregory lisait lorsqu’il regardait son supérieur mais il faut parfois savoir lire entre les lignes. Ce qu’il tentait de faire actuellement. D’une certaine façon, c’était peut-être ça qui le rendait intéressant aussi aux yeux du scientifique.

Et donc, il profitait de cet instant de faiblesse pour se lancer dans ce drôle de jeu. Un jeu unique, un mélange à la fois de puzzle, d’échec pour la stratégie, de jeu de rôle pour le côté théâtral et de poker pour le bluff. Un douce association de réflexions, de manipulations et d’anticipations qui animait Gregory d’une flamme qui se lisait désormais dans ses yeux. Et, d’un bleu froid et glaçant, il continuait dans sa lancée qui allait cette fois être plutôt franche et directe.

« Soit vous avez conçu ou extrait cette molécule soit on vous a donné simplement un échantillon sur lequel travailler. », il avait levé deux doigts qu’il avait abaissé à chaque “soit” pour marquer son propos. « Dans les deux cas, ça n’enlève rien à votre génie mais  si on me demande mon avis c’est tout bonnement du gâchis. Si elle détient réellement les propriétés que j’ai pu lui trouver juste en grattant la surface avec l’Indominus, recréer des dinosaures n’est qu’une banalité parmi une multitude quasi infinie de possibilités. Et j’aime à croire que si vous l’aviez réellement conçu, non pas que je doute de vos compétences, vous ne vous seriez pas contenté de ça, vous ne seriez pas simplement rester ici à déléguer des séquençages bidons. »

Il marquait une courte pause pour reprendre son souffle avant de reprendre.


« Non, vous valez bien mieux que ça. Je crois que vous avez été évincé et je crois que je ne suis pas le seul à chercher la vérité ici. Je crois que le Jurassic World n’est que la devanture d’une chose encore plus grande et que le Dr Wu que je respecte travaille sur un projet encore plus grandiose que des dinosaures, encore plus fascinant que l’Indominus Rex. Et je voudrais en être. »

Le Dr Wu était passé par des phases de désintérêt, de surprises voire parfois de stupéfaction selon les mots que Gregory employait. Non seulement il venait de lui dire “non” mais il venait également de tenir tête à son supérieur. Le Dr Morrison venait de faire tapis dans le jeu des 7 familles, la réaction de Henry Wu était donc plutôt justifiée dans tous les cas. Mais après avoir observé et côtoyé ce dernier depuis autant de temps, Gregory était sûr de lui. Il y avait quelque chose derrière ce rideau de paillettes qu’était le Jurassic World et il était déterminé à le tirer d’un coup sec pour découvrir la vérité. Il y avait autre chose derrière cet homme et si l’histoire ainsi que la science-fiction avaient bien tenté de nous enseigner quelque chose, c’était qu’il fallait se méfier des hommes en cols roulés.


Merci Jack Torrance pour cette entrée fracassante.

Le Dr Wu affichait un sourire narquois et recomposait soudainement un air sérieux qui déformait son visage.

« Théorie très intéressante, je vous propose de me faire un rapport de ce que vous avancez et je me pencherais dessus dans les plus bref délais. »

Sa main se reposait sur la poignée de porte et s'apprêtait à congédier le vieux scientifique. Arborant à son tour un sourire en coin qui remontait ses fossettes d’un air malsain, Gregory posait la pointe de son pied pour bloquer son ouverture. La porte fit entrer un souffle de fraîcheur provenant des laboratoires quand celle-ci s'ouvrit et se stoppa aussitôt sous le poids du vieil homme. Coupé dans son élan, la surprise s’affichait immédiatement d’un air de contrariété sur la tête de son supérieur qui lui jetait désormais un regard noir. Celui-ci n’avait clairement pas l’habitude qu’on lui dise “non” et Gregory s’acharnait depuis toujours à lui rappeler que c’était une réponse envisageable.

Il restait ainsi de marbre et ne disait mot, affichant toujours une attitude provocatrice puisque cela semblait vraisemblablement fonctionner sur le sino-américain. Pour marquer davantage sa présence, le sénior apposait une main sur le chambranle pour contrer toute nouvelle tentative désespérée et pour l’empêcher de se faufiler dans on ne sait quelles interstices. Il serrait sa canne dans l’autre main en se demandant l’espace d’une seconde s’il devait lui mettre un coup sur le crâne pour le faire taire. Le vermisseau devenant rouge glapissait faiblement devant lui tandis que d’un air impérial le vieil homme ne bougeait pas d’un nanomètre. Bien au contraire, il se penchait même légèrement vers le scélérat pour marquer encore davantage la différence de taille jusqu’à ce que ce dernier cède et lâche un soupir de frustration. Il faut dire que, pour en avoir provoqué plus d’un chez son chef de section, le scientifique les connaissait bien.

Faisant volte-face, ce dernier se dirigeait vers son bureau qu’il regagnait avec une certaine hargne. Il invitait ensuite son homonyme à s’asseoir en face de lui en désignant la chaise avec une lassitude qui lui était propre. C’était celle d’un homme qui semblait déjà usé par la vie, par l’incompétence de ses comparses mais aussi imbu de sa personne. Le Dr Wu était quelqu’un de fier et qui pouvait l’être à bien des égards. Gregory ne pouvait le contredire et malgré son comportement il exprimait un certain respect pour lui. Il acceptait donc cette invitation toujours en souriant mais dans un silence qui en disait long. Il savait que d’une manière ou d’une autre il allait avoir ce qu’il voulait mais c’était loin d’être gagné.

La persuasion pouvait se décliner de bien des manières. Après tout, il venait déjà de persuader par son physique. Se redressant sur sa chaise, Henry brisait finalement le silence qui s’était installé dans le bureau.

« J’ignore par quel biais vous avez réussi à découvrir cette molécule, mais vous devez comprendre dans quoi vous mettez les pieds. »


“Je mets les pieds où je veux LittleWu.”


« Je ne plaisantais pas…»


“Moi non plus.”


« …quand je disais que des personnes disparaissaient lorsqu’elles s’approchaient un peu trop près de ce secret. C’est la vérité et vous l’avez certainement compris. »


“Oui.”


« Le potentiel de cette découverte dépasse l’entendement et par conséquent, des personnes bien plus dangereuses que vous et moi cherchent aujourd’hui à se l’accaparer. Vous comprendrez donc ma réticence et mon insistance sur le fait que je ne veux pas que vous vous mêliez de cela, vous comprenez ? »


“Oui mais… Oh ? Vous vous inquiétez pour moi… Si ce n’est pas trop mignon !”


Gregory acquiesçait brièvement. Henry ne faisait que confirmer ce qu’il savait déjà mais c’était déjà une bonne chose. Il n’avait jamais été aussi proche du but et il sentait la chaleur gagner sa poitrine. La découverte, le mystère, la résolution d’une énigme, des frémissements d’excitation, la solution au bout des doigts. Il trépignait d’impatience et bouillonnait intérieurement.

« Pouvez-vous me dire en quoi cette molécule est importante dans la création des génomes de dinosaures Mr Morrison, et surtout, que croyez vous pouvoir faire si vous étiez en possession de sa forme brute ? J’ai besoin de vérifier si vous ne me menez pas en bateau et si vous êtes vraiment la personne avec qui je pourrais parler de tout ça... »

Henry ouvrait un tiroir de son bureau et en sortait deux verres ainsi que trois bouteilles tout en continuant de poser des questions légitimes mais dont la pertinence échappait un peu à Gregory pour le moment.

« Et une autre question, plus personnelle… Expliquez-moi ce que vous cherchez à accomplir ici ? De quel bois êtes-vous fait ? Je veux comprendre vos motivations et savoir depuis combien de temps vous fouinez dans mes travaux ? »

Puis, d’une main sournoise, il l’invitait à choisir un poison. Que valait cet interrogatoire ? Est-ce que ses intentions avaient vraiment une importance pour lui ? Et que valait cette proposition soudaine ? Était-ce par simple politesse ? Était-ce cordial ? Professionnel ? Pourquoi ne pas proposer un café comme tout le monde ?




Gregory avait les jambes croisées, une main leste faisait rouler et pivoter entre ses doigts sa canne sur le sol au fur et à mesure de sa réflexion. Dans tous les cas, le vieux scientifique ne buvait pas d’alcool ou tout du moins n'appréciait pas assez la boisson pour en faire tout une histoire. Quant au thé, sans mauvais jeu de mot, ce n’était pas sa tasse… De thé. Nouveau sourire en coin, nouveau silence. Le scientifique allait finalement lui répondre.

« Je vous en prie… Servez-vous. Je ne bois pas pendant mes heures de travail mais merci quand même. », déclinait-il d’abord poliment mais d’un ton qui se voulait moqueur. Il posait sa main sur son torse et reprit toujours avec toujours la même intonation. « Votre réticence et votre insistance me touche beaucoup. Vraiment. » Son visage devint plus sérieux et sa voix gutturale, ce qui le rendait plus lugubre.  « Mais je ne suis ni stupide, ni aveugle. Disons qu’à force de suivre les miettes, on finit éventuellement par tomber sur le pain. J’ignore et j’essaye encore de déterminer lequel des deux vous êtes. Je ne “fouine” pas Mr Wu. Je cherche. Je suis un scientifique, pas un rongeur. Je ne sers que mes intérêts, ceux de la science et de la médecine. Vous comprenez donc ma persistance et mon insistance sur le fait de ma présence dans votre bureau. Vous comprenez ? », fit-il en tentant de l’imiter.

Gregory ne pensait pas un seul instant que le Dr Wu pouvait avoir de la sympathie ou de la bienveillance pour lui. Cela ne lui ressemblait pas. Faire de la fausse politesse pour tenter de justifier ses actions non plus par ailleurs. Alors quelles étaient les raisons et les intentions de Henry Wu ?

Le vieil homme savait qu’il ne pourrait pas y couper et qu’il allait devoir jouer carte sur table. Ce n’est pas pour autant qu’il révélerait tout son jeu mais il devait faire un effort s’il voulait pouvoir continuer de discuter avec son interlocuteur sans que celui-ci ne cherche à le renvoyer. Il s’éclaircissait la voix comme pour retrouver un ton plus cordial et reprenait donc d’un air plus enclin à la négociation.

« La majorité des scientifiques et généticiens embauchés chez vous ont gobé tout simplement les immondices qu’on a pondu pour le public. InGen…»  Le vieil homme frottait inconsciemment d’une main sa jambe qui se faisait douloureuse tandis que son chef semblait de plus en plus irriter par sa présence. Il se corrigeait. « Vous n’êtes pas à votre premier coup d’essai. Vous pratiquez l’hybridation depuis toujours mais vous ne comblez pas réellement l’ADN des dinosaures avec de l’ADN de grenouille. Quand on est pas omnibulé par l’exploit que vous avez fait, on comprend rapidement que c’est absurde. A la limite, de l’ADN d’oiseau aurait été logique. Non. De l’ADN de grenouille et pas n'importe laquelle : la rainette arboricole. Pourquoi ? Uniquement, pour adapter ces créatures à un environnement chaud, humide et tropical. Pourquoi pas un oiseau exotique alors ? Parce que vous... Je dis vous mais en réalité John Hammond, même s'il était plus que ça, vous en conviendrez, était un vieux excentrique qui avait la même vision du dinosaure que sa clientèle. De gros lézards écailleux. Il ne voulait pas de plumes. Voyons, ce n’est pas comme ça qu’on peignait les dinosaures dans nos livres d’enfance après tout. Authenticité, authenticité… Il avait des œillères que vous n'avez pas su lui enlever. Les gens sont juste trop bêtes pour voir que les grenouilles n’ont aucune similarité avec les lézards. »

Il marquait une pause pour reprendre son souffle et pour jauger un instant son interlocuteur qui semblait clairement voir où la discussion menait mais qui écoutait malgré tout le raisonnement du vieux scientifique. Tous les deux savaient en réalité déjà où tout ça conduisait alors à quoi bon continuer ? Henry Wu voulait probablement savoir ce qu’il savait et ce qu’il ne savait pas. Sur ce point, son supérieur avait pour le moment un avantage indéniable.

« Aussi infime soit-elle, cette molécule, on la retrouve dans chacun des dinosaures du parc. Il faut juste savoir où chercher. L'Indominus ? Encore un projet commercial d'un nouvel excentrique. Certes. », il appuyait ce point en levant un doigt vers le plafond avant de reprendre. « Mais ça vous a permis aussi d'expérimenter et de tester certaines limites de cette molécule. Ce que vous ne pouviez pas refuser. Peu vous importait l’absurdité de ce qu’on a créé dans ce laboratoire. Une hybridation avec autant d'espèces différentes, d'époques différentes. Du jamais vu. Impossible. » , il balayait sa main devant lui puis refermait son poing pour ne laisser plus qu’un seul doigt qu’il balançait de gauche à droite. « Mais pas avec cette molécule miracle. Alors, avec de telles promesses et de tels exploits, vous me demandez encore mes motivations ? »

Il appuyait le regard du Dr Wu qui acquiescait à son tour brièvement. Un échange de regard d’égal à égal. Les deux scientifiques semblaient d’accord et se comprenaient. Gregory ajoutait finalement pour éclaircir ce dernier point.

« Elles sont sans limites. Alzheimer, Parkinson, Diabète, Sclérose en plaques, Paget, Cancer, Sida, Crohn, Charcot. J’en passe et certainement des meilleurs. Pour le reste, inutile de vous préciser mes intérêts personnels je suppose ? »

Il faisait évidemment référence à sa propre condition et qui n’était de toute évidence un secret pour personne. Sa canne, appendice ostentatoire, était malgré lui l'étendue de ce qu’il était aujourd’hui mais aussi un rappel constant qu’il ne serait jamais plus la personne qu’il fut jadis. Marcher, courir, sprinter, fuir, sauter, enjamber, s’accroupir, fléchir, s’asseoir, se coucher. Des choses que chacun fait au quotidien sans se poser la moindre question. Pour Gregory, c’était un calvaire et une anticipation calculée aux moindres gestes. Il ne pouvait pas réellement marcher sans sa canne, pas sur de longues distances. La majorité de cette liste lui était impossible à faire et, pour le reste, il ne le faisait pas sans douleur. Rien n’était gagné quant à l’utilisation de cette molécule miracle. Rien ne lui prouvait qu’elle serait capable de soigner toutes ces maladies et rien ne laissait envisager qu’elle puisse miraculeusement permettre la régénération d'un muscle atrophié. Mais si elle pouvait régénérer de l’ADN de plusieurs milliards d’années, c’était une piste plus que pertinente à suivre. N’attendant pas spécialement de réponses à cette question rhétorique, il ajoutait finalement d’un air des plus sérieux.

« Qu’avez-vous à me dire sur cette molécule ? », fit-il en jointant ses mains sous son menton.

Henry Wu se détourna de Grégory, raidi de frustration et de lassitude. Ce dernier n’avait pas daigner prendre l’une des trois boissons, prétextant qu’il ne devait pas boire au travail. Mais il n’était pas question de cela. Le scientifique en chef avait besoin de percer la vraie nature de l’homme qui se trouvait en face de lui et ce n’est pas de cette manière et face à un indécis qu’il pourrait avoir confiance en lui. C’était probablement une perte de temps. Il rangea donc les 3 bouteilles, sans insister, écoutant les explications que l’autre souhaitait lui partager.

Il avait passé les derniers jours à aller d'une enquête à l'autre, devant chercher minutieusement à osciller entre les besoins de Mills et ses propres convictions. Heureusement, son rôle dans la crise actuelle était minime, même s'il était plus crucial que la plupart des autres. Masrani avait mis sur ses épaules une énorme pression sur la création des hybrides. Si les premiers avaient été un échec, les projets suivants eux, s’étaient avérés très prometteurs. Il avait même risqué d’y perdre la vie après avoir subit l’attaque d’E750.

Après tout, il avait été investi dans le projet Scorpius Rex tout comme il l'avait été avec l'Indominus Rex, mais comme avant, les tribunaux s'intéressaient davantage aux responsables actifs. Qui joue avec la science peut se retrouver devant monts et merveilleuses plaintes judiciaires. Wu en avait plusieurs à son actif, mais il pouvait compter sur le soutien de ses patrons et actionnaires en recherches. Il jouissait d’une sorte d’immunité, mais il ne pouvait pas non plus s’extraire de tous les reproches qui lui étaient fournis. Il avait déjà subi cela avec InGen. Il devait se montrer méfiant avec tout le monde désormais.

Pourquoi a-t-il toujours été blâmé lorsque les gens qui l'ont embauché pour créer une forme de vie génétiquement modifiée ont déclaré que cette forme de vie génétiquement modifiée s'était retournée et avait commencé à tuer des gens ? On l’avait payé pour la création de plusieurs Tyrannosaures. Devait-on lui mettre sur le dos les incidents de San Diego ? Les morts à Jurassic Park ? Les possibles futures incidents avec des dinosaures ? En tout cas, Henry ne s’en était jamais préoccupé. Pour lui, les responsable, c’était ceux de la sécurité. Il avait toujours mis énormément de cœur à la réalisation de ses « bébés ». Toutefois, il fallait toujours un bouc émissaire aux médias et aux investisseurs pour pouvoir « tourner la page » dès qu’un problème pointait le bout de son nez. Par problèmes, on entendait évidemment le mot « Morts ». Ce n'était pas de sa faute si les idiots de Jurassic World avaient cru que l'Indominus Rex aurait dû être isolé avec rien d'autre que sa propre sœur pour lui tenir compagnie. Résultat : la reine blanche avait dévoré un spécimen à plusieurs dizaines de millions de dollars. Encore un échec qui aurait pu se solder de bien meilleurs manières si seulement on avait pris part de son avis.
Ce n’était pas sa faute si ces imbéciles voyaient l’animal comme une banque que les gens viendraient voir. Plus la créature à de produits dérivés, plus elle plaît aux investisseurs.

Plus, toujours plus. Et l’authenticité dans tout ça ?

Grégory expliqua de manière suffisamment clair ce que Wu pensait tout bas. Ce n’était effectivement pas un simple chercheur. Cet homme savait parfaitement de quoi il parlait et comment le démontrer. Quant à sa vision de l’idéal saurien, ils partageaient la même. Un bon point, mais toujours insuffisant pour briller à ses yeux. Ce dont il avait besoin là, tout de suite. C’est d’un atout, d’une pièce supplémentaire, d’une carte à jouer. Ce n'était pas de sa faute si des idiots comme Masrani et Claire Dearing refusaient de voir l'Indominus comme un atout. Mais Grégory, lui comprenait tout cela, comprenait l’importance de leur travail ici, dans l’ombre. Et toutes ces possibilités…

Oui, il avait recommandé que les deux Indominus Rex nés soient isolés, mais il avait insisté sur le fait qu'ils devraient être déplacés dès qu'ils seraient suffisamment grands et matures pour vivre dans un enclos beaucoup plus grand. Tout comme ses projets. Il ne pouvait pas donner suite à ce dont il rêvait si il restait cloîtré entre ces murs. Et pourtant, il disposait d’un matériel génétique de pointe, presque ce qu’il y avait de plus avancé dans le monde actuel, mais ça ne lui suffisait pas, il avait besoin de plus, il avait besoin de bras, il avait besoin de temps.

Bzzzzzzzz, Bzzzzzzzzz
Mills.

Grégory avait remarqué la sonnerie vibrante du téléphone de son patron et avait vu que ce dernier ne répondait pas et qu’il était exaspéré.

Henry s'était souvent demandé pourquoi John Hammond avait cédé ce qui restait d'InGen à Simon Masrani. Il avait appris plus tard qu'il y avait des groupes de personnes qui voulaient de toute façon utiliser les dinosaures, et il pensait que la meilleure façon de les protéger était de céder l'île d’Isla Nublar à la Masrani Corporation, même si Henry n'en avait aucune idée de la manière dont cela les protégeait à long terme. Il y avait quelque chose d’autre là dessous. Il le sentait. C’était comme un signal, dans ses tripes. Handréas avait pris un temps la succession, lors de l’incident sur Jurassic Park, des hommes qu’il ne connaissait pas avait travaillé sur ses projets et subitement disparus à l’arrivé du PDG de Masrani Global. Ils avaient fait beaucoup de travaux dans l’ancien parc, pourquoi faire si c’était pour reconstruire ailleurs ? Trop de questions, trop d’inconnues, et trop de personnes qui avaient mis les pieds dans son laboratoire. Wu avait l’impression que son intimité avait été bafouée, brisée, plus d’une fois. Il se sentait constamment sur écoute, surveillé, intimidé.

Bzzzzzzzzz, Bzzzzzzzzz…

Constamment.

Grégory s’apprêtait à lui dire quelque chose vis à vis de la sonnerie, il le coupa dans son élan en répondant à l’une de ses questions ; car oui, même si cela ne paraissait pas le cas, Wu n’avait perdu aucune miette de son comparse. Il le tenait en étroite surveillance.

- « Ce que je peux vous en dire, c’est que nous n’avons aucun moyen d’obtenir sa nature réelle. J’ai travaillé sur une copie synthétique pendant des années. »

Simon Masrani avait passé des années à essayer de s'assurer que le nouveau complexe n'échouerait pas de la même manière que celui de Hammond, ce qui signifiait ne pas commettre les mêmes erreurs, comme dépendre de l'automatisation. Un choix audacieux que Wu respectait, mais il avait également ses limites. Henry avait été ravi d'avoir une fois de plus la chance de travailler avec les dinosaures, non pas parce qu'il les aimait, mais parce qu'ils représentaient l’opportunité unique de pouvoir travailler sur un avenir où l’on pourrait modifier l’ADN humain, génétiquement.
Pourquoi tout le monde sur Terre n’a-t-il pas compris que pour survivre, il leur faudrait recourir au génie génétique pour devenir une race totalement différente ? C’était l’ordre naturel des choses. Seulement pour maîtriser cette technologie, il aurait besoin de la source pure de ce qu’ils appelaient, la tétracyclomisyne.

- « Nous devons trouver un moyen d’isoler cette molécule, elle est si infime que je n’ai jamais réussi à l’utiliser complètement. Son équilibre est fragile et si puissant. J’ai bien compris vos intentions Mr Morrison, mais je n’ai guère apprécié la façon dont vous avez forcé ma porte. Je n’ai absolument aucune confiance en vous. Toutefois, j’accepte de vous mettre à l’épreuve, si c’est ce que vous cherchez. »

Le regard de son interlocuteur changea, il avait visé juste.

Il y a des années, lorsque le premier embryon de dinosaure avait été créé après avoir récupéré suffisamment de matériel génétique à partir de moustiques piégés dans l'ambre, John Hammond et son ami Benjamin Lockwood avaient célébré leur succès, puis ils s'étaient brouillés. Même Henry ne savait pas pourquoi. Lorsque Hammond l'avait amené, ainsi qu'un certain nombre d'autres généticiens, à créer suffisamment d'embryons viables pour créer les animaux dont Jurassic Park avait besoin il fut bien obligé de travailler sur ladite molécule. Lorsqu'il avait découvert la vérité, il se souvenait encore de ne pas savoir s'il devait rire ou pleurer face à l'hypocrisie dont Hammond avait fait preuve envers son ami. Maintenant qu’il maîtrisait cette technologie, il en voulait plus, il voulait connaître les réels pouvoirs de cette si petite chose présente dans chaque forme de vie préhistorique du Jurassic World.

Hammond voulait simplement créer un zoo de parc à thème glorifié, avec des manèges, des restaurants et des cadeaux. Masrani avait une vision plus parfaite, marchande, cosmétique. Aucun d’eux n’était dans le vrai. L’avenir résidait dans la science et dans ce qu’elle pourrait apporter.

- « Je travaille sur un autre hybride : le « Stégocératops ». Je vais vous faire parvenir mes recherches. Si vous trouvez un moyen de synthétiser une combinaison d’ADN suffisamment robuste pour cette nouvelle créature et que nous donnons naissance à un génome viable, alors nous pourrons regarder ensemble dans quelle direction nous pouvons aller ensemble. »

Henry voulait rendre la race humaine plus grande qu'elle ne l'était, il l'a sincèrement fait. Il voulait améliorer les choses. Des idiots comme Ian Malcolm ont peut-être décrit son travail comme erroné et qu'il ne devrait pas être surpris si quelque chose se produisait, mais Henry s'en fichait parce que d'autres scientifiques essayaient d'introduire des traits de différents animaux dans l'ADN humain, ou qu'ils expérimentaient avec la génétique pour guérir les maladies. Mais si il détenait la clé, le chaînon manquant, alors ce serait une réussite inestimable pour lui.

Il essayait seulement d’aller plus loin et il avait de bonnes raisons de rendre l’humanité meilleure. Contrairement à ce que beaucoup de gens pensaient de lui, beaucoup le considérant comme rien de plus qu'un fou égoïste déterminé à ruiner le monde avec des monstres génétiques, Henry Wu voulait améliorer les choses.

Par exemple, des dizaines de maladies paralysaient les êtres humains. Ne serait-il pas préférable que leur corps soit conçu pour traiter des maladies comme le cancer, comme le rhume, et qu'il soit capable d'y résister après un court laps de temps ? Henry était meilleur que cela, mais quand il regardait la myopie étroite de l’homme en général, les faux engagés sur les réseaux sociaux, les chamailleries pour trois franc si sous, pour des choses qui, à long terme, ne signifieraient rien de toute façon, il se demandait si la race humaine pourrait avoir besoin d'un petit remaniement de son génome. Un petit coup de pouce d’intelligence, ça ne pouvait pas faire de mal à grand monde. Si au moins cela permettait de se débarrasser des cons...

- « Ce seront nos travaux officiels au sein du Jurassic World... » Laissa t-il en suspens.

Ce n’était pas anodin si Henry proposait à Grégory de travailler sur ce spécimen. La juxtaposition de deux ADN d’espèces recrées était un exercice de pointure. Quelque chose qui demanderait plusieurs semaines de travail, mais qui montrerait au responsable de la division scientifique comment son collègue se débrouillerait à la tâche. A travers cette mission, Grégory expérimenterait également sur la Tétrocyclomisyne.

Le docteur Wu fit le tour de son bureau, se relevant d’une manière élégante et assurée. Il se dirigea à nouveau vers la porte, comme pour un nouveau tour de manège, mais cette fois-ci, il s’approcha de Grégory pour ne se retrouver qu’à quelques centimètres de ce dernier. Ils échangèrent un regard puissant, chargé en intensité. Comme un défi, une manière de lire dans les pensées de l’autre. Ils se respectaient mutuellement mais ne pouvaient pas se faire confiance. Leur partenariat était voué à sens unique. L’un voulait des informations, l’autre se servirait de lui.

- « Pour ce qui est des autres recherches... »

Il sortit le téléphone de sa poche et le tendit à Grégory qui découvrit le nom de l’insistante personne « Eli Mills ». Il prit le combiné et compris là où Wu voulait en venir.


- « Enregistrez ce numéro et demandez lui  de faire vos preuves. Ces dernières devront rester complètement confidentielles. Vous venez de rentrer dans la cour des grands Mr Morisson, tachez de ne pas me décevoir. »

Pour cet autre aspect, le travail dit « de l’ombre », Grégory allait devoir se surpasser et tenter de trouver diverses manière de surprendre son boss si il voulait garder la cadence. Mills n’était pas un tendre et ses investisseurs faisaient parti d’un public encore moins patient que lui. Du travail, il en voulait, il allait être servi. De la génétique, pure et dure. L’exigence même de son métier. Trouver un moyen de créer quelque chose de nouveau en partant de ce que la vie nous à offert.

Sans génétique, la race humaine pourrait disparaître, mais même s’ils savaient tout ce qu’ils faisaient, il restait encore beaucoup de choses qu’ils ne savaient pas. Beaucoup pensaient que grâce au travail révolutionnaire qu’il avait réalisé sur les dinosaures du parc d’origine, ils en savaient davantage sur la génétique, sur ce qu’elle pouvait faire et ce qu’elle pouvait apporter, mais il y avait bien plus encore. C'était l'une des raisons pour lesquelles il avait travaillé sur l'Indominus Rex. Il savait qu'il pouvait créer un nouveau type de dinosaure, le rendant « excitant » pour la foule, même s'il considérait la recherche comme étant à courte vue. Il avait créé l'hybride en utilisant l'ADN de divers animaux, y compris des espèces non dinosaures, et malgré le résultat inévitable en raison de la stupidité à courte vue de la société Masrani, Henry avait considéré qu'il s'agissait d'une grande expérience.

Ce n’était pas son coup d’essai. Blue, une jeune vélociraptor avait reçu plus de gènes d’animaux dit « intelligents » comme les dauphins. Il s’avérait que cette femelle était bien plus coopérative et docile envers les humains. Cela n’avait rien à voir avec la grande carnassière blanche, mais si il était capable d’obtenir un dinosaure docile et un fou dangereux, alors il pouvait maîtriser les comportements à partir de l’ADN, il en était certain. Sa prochaine créature serait monstrueuse et contrôlable et tout le monde le féliciterait pour ça.

Après un sourire forcé, Henry attendit que Grégory enregistre le numéro avant d’indiquer de nouveau la porte de son bureau. Il y avait un silence gênant et pesant, mais l’essentiel avait été dit entre les deux hommes. Chacun y avait trouvé une avancée significative, à son échelle. Restait maintenant à voir comment la mayonnaise allait prendre entre les deux hommes. Ce qui promettait une arabesque des plus détonantes.

Et puis après tout, si Grégory échouait, il savait que Mills l’en débarrasserait facilement. Ni vu, ni connu. C’était ça aussi, l’avantage d’être Henry Wu.

La sonnerie harcelait inlassablement et coupait la discussion continuellement de quelques vibrations désagréables. Encore que Dr Wu aurait placé stratégiquement l’appareil pour apprécier les frémissements… Mais non, le téléphone se trouvait simplement dans sa poche et, quand celui-ci revenait à la charge, Henry fermait les yeux visiblement irrités, lui aussi.

Gregory, les yeux noirs, s'apprêtait à lui faire une remarque lorsque ce dernier lui répondit finalement, mettant temporairement fin à son agacement.

« Ce que je peux vous en dire, c’est que nous n’avons aucun moyen d’obtenir sa nature réelle. J’ai travaillé sur une copie synthétique pendant des années. »

Bingo. Enfin. Enfin, son supérieur avait craqué et allait parler. Ce n’était pas trop tôt. Et peut-être allait-il finalement arrêter de tourner autour du pot. Le scientifique se penchait alors légèrement vers l’avant pour écouter attentivement les prochains propos de celui qu’il considérait comme son égal.

« Nous devons trouver un moyen d’isoler cette molécule, elle est si infime que je n’ai jamais réussi à l’utiliser complètement. Son équilibre est fragile et si puissant. »

Henry parlait visiblement de cette molécule avec une certaine fascination mais aussi une frustration perceptible. Gregory sentait que celle-ci représentait à la fois le travail d’une vie mais aussi un grand défi, un challenge qu’il tentait de relever depuis maintenant de nombreuses années.

« J’ai bien compris vos intentions Mr Morrison, mais je n’ai guère apprécié la façon dont vous avez forcé ma porte. »

“Forcé ma porte” ?, s’interloquait-il.

Est-ce que le terme n'était pas un peu exagéré ? Gregory en avait réellement forcé plus d’une dans sa vie et celle de ce bureau n’en faisait pas encore partie. Certes, il était entré de manière subtile et silencieuse mais c’était aussi lui, le “grand” Dr Wu, qui avait laissé entrer le loup dans la bergerie à l’origine. Tous ces moutons s’affairaient dans l’autre pièce. Gregory, lui, ne s’était jamais dissimulé et avait dit les choses à plat dès qu’il estimait le moment de le faire. “Homo homini lupus est” avait dit Plaute. Et certes, on ne pouvait pas dire que Gregory était la personne la plus honnête mais il avait aujourd’hui joué carte sur table. Il avait pris un risque qui pour le moment s’avérait rentabiliser. Qui était-il donc pour insinuer qu’il est manqué de subtilité ? “Forcé sa porte” devenait alors un terme un peu fort.

« Je n’ai absolument aucune confiance en vous. »

Sur ce point, il ne pouvait pas le contredire. Pour ce qui était de la confiance, c’était même plutôt une bonne chose. Si Wu le lui avait accordé immédiatement, Gregory aurait clairement été déçu du personnage. En réalité - et c’était une évidence que lui non plus ne lui faisait pas confiance non plus - c’était un mal pour un bien. L’important, surtout, était de croire au doux corps spongieux qui se trouvait dans leurs boîtes crâniennes. Et personnellement, lui, avait une confiance absolue et aveugle à son cerveau, à ses intuitions et à sa volonté imperturbable.

« Toutefois, j’accepte de vous mettre à l’épreuve, si c’est ce que vous cherchez. »

“Vous mettre à l’épreuve”, disait-il avec une simplicité déroutante.

Quelle idée ridicule. Et puis quoi encore ? Il voulait lui faire une dictée aussi ? Est-ce que Gregory avait une tête à ça ? Est-ce que Gregory avait vraiment du temps à perdre avec ça ? Est-ce qu’il l’avait bien regardé ? Est-ce qu’il n’avait pas fait ses preuves il y a longtemps déjà ? Le scientifique était presque offusqué de cette proposition hasardeuse. Quand bien même, il continuait de l’écouter car tout vient à point à qui sait attendre. “Satius est supervacua scire quam nihil.” Encore vaut-il mieux savoir des choses inutiles que rien du tout.

« Je travaille sur un autre hybride : le “Stégocératops”. »

Le nom lui fit froncer les sourcils alors que son homonyme continuait ses explications.

« Je vais vous faire parvenir mes recherches. Si vous trouvez un moyen de synthétiser une combinaison d’ADN suffisamment robuste pour cette nouvelle créature et que nous donnons naissance à un génome viable, alors nous pourrons regarder ensemble dans quelle direction nous pouvons aller ensemble. »

“Vraiment ?”, pensait Gregory en arquant un sourcil.

C’était ça son épreuve ? Il l’avait fait travailler sur le premier hybride véritablement complexe, l’Indominus Rex. Il l’avait fait travailler les yeux bandés parce que le projet était classifié et confidentiel. Il l’avait fait travailler sur cette chose sans qu’il ne connaisse véritablement le résultat attendu. Et aujourd’hui, pour le mettre à l’épreuve, il voulait le faire travailler sur une créature dont le nom ne gardait même pas secret l’origine des génomes ?

“Où était le piège ?“, pensait-il.

Le vieux scientifique était décontenancé, il ne pouvait pas le dire autrement. Qu’attendait réellement Henry ? Que voulait-il réellement ? Est-ce qu’il cherchait à gagner du temps ? Est-ce qu’il espérait l’occuper avec un coloriage en attendant qu’il accomplisse ses méfaits dans son coin ? Ou bien est-ce que c’était lui donner l’occasion d’utiliser cette fameuse molécule ? Est-ce qu’il venait indirectement d’avouer que Gregory était bel et bien plus doué que lui et que, de fait, lui parviendrait sans nul doute à isoler la molécule ?

« Ce seront nos travaux officiels au sein du Jurassic World... »

Henry Wu se levait et faisait le tour du bureau pour se mettre à son niveau. Il l’observait avec un air de défi et Gregory ne put s’empêcher de lui rendre son regard.

« Pour ce qui est des autres recherches... »

Son supérieur glissait sa main dans sa poche et en sortait alors son téléphone portable.

“Enfin”, pensait Gregory qui ne supportait plus les vibrations incessantes de l’appareil. Henry avait ouvert l’interface des contacts et “Eli Mills” s’affichait désormais fièrement sous ses yeux dans les mains du sino-américain.

« Enregistrez ce numéro et demandez-lui de faire vos preuves. Ces dernières devront rester complètement confidentielles. Vous venez de rentrer dans la cour des grands Mr Morrison, tâchez de ne pas me décevoir. »

Gregory attrapait donc le téléphone et entamait de récupérer le numéro de ce fameux “Mills”, comme lui avait suggéré Wu.

“Bien sûr.”, souriait-il d’un air carnassier.

Cependant, à peine avait-il commencé l’opération que le son désagréable fit vibrer sa main et… Inutile d’être Einstein pour deviner qui était en train d’appeler.

Encore…

Tant mieux. Une aubaine du destin même. Cela lui ferait gagner un temps précieux.

Ne souhaitant surtout pas décevoir son supérieur, le vieux scientifique, sans y réfléchir à deux fois, appuyait immédiatement sur le bouton vert devant le regard médusé et désespéré du Dr Wu. Et comme pour se mettre à distance du nabot avant qu’il ne réagisse, Gregory se relevait en même temps qu’il répondait au combiné et entamait une marche boiteuse dans la pièce au fur et à mesure de la discussion.

« Bonjour Mr Mills ! », dit-il en souriant à son supérieur. « Oui tout à fait, Dr Gregory Morrison à l'appareil. Enchanté ! »

……

« Non et bien c’est très simple, c’est-à-dire que le Dr Wu est actuellement indisponible et il m’a confié son téléphone. »

……

« Oui tout à fait, c’est bien ça. »

……

« Oh non, je vous assure. Nous avons une certaine confiance mutuelle. Suffisamment pour qu’il me confie son téléphone, imaginez-vous ? », fit-il en regardant Henry dans les yeux en souriant.

……

« Non, tout à fait. On ne peut rien vous cacher, ce n’est effectivement pas anodin. Je pense qu’il a simplement oublié de vous le dire, il est vrai qu’il est très occupé ces derniers temps. Il souhaiterait que je fasse mes preuves, il m’a sélectionné tout particulièrement pour cette tâche par ailleurs… »

……

« Oh vous savez, je travaille pour InGen mais tout comme lui je sers la science avant tout. Nous partageons des intérêts communs, dirons-nous… Alors, que puis-je faire pour vous ? »

……

« Oui j’imagine. »

……

« J’en conviens oui. »

……

« Parfait, faisons comme ça. Et bien, cela serait avec plaisir. Je lui passerais le mot oui. »

……

« Au revoir Mr Mills. »






Gregory raccrochait sereinement le téléphone. Cet échange avait été en plus à la hauteur de ses attentes : simple, efficace et formel. Ça avait eu au moins le mérite d’être clair. Eli Mills ne serait pas son ami et, au même titre que lui et le Dr Wu ne se faisaient pas confiance, il en serait de même pour cet inconnu. Gregory n’était de toute façon pas là pour ça.

Pianotant rapidement sur le clavier tactile du téléphone, le vieux scientifique vérifiait que l’opération d’origine était terminée. C’était le cas. Parfait. Historique : effacé. Il enregistrait ensuite son propre numéro sur le portable de Henry et s’envoyait dans la foulée par message celui de ce fameux Mills. Puis, du bout des doigts, il tendait finalement l’appareil à son supérieur qui le fusillait du regard.

« Mr Mills vous passe le bonjour. Je me suis permis d’enregistrer également mon numéro de téléphone, j’espère que vous ne m’en voudrez pas. En tout cas, je suis ravi de notre petit compromis. Je suis sûr que nous allons faire de grandes choses ensemble. J’en suis certain. Est socia mortis homini vita ingloria. Peut-être pourrions-nous en discuter autour d’un café ? Quand dîtes-vous ? », dit-il en lui tendant la main pour sceller leurs affaires.

Le Dr Morrison affichait un sourire fier et carnassier. Ses yeux brûlaient d’une lueur qu’il sentait machiavélique. L’excitation qu’il ressentait faisait trembler ses organes et bouillir son sang d’un feu qui réchauffait son corps. Henry Wu avait cru voir en lui le moyen d’arriver à ses fins, il avait vu en lui la solution à un problème. Mais dans quel sens allait ce contrat ? Qui se servait de qui ? Travailleraient-ils réellement ensemble ? Ils étaient tous deux le moyen d’atteindre le savoir d’une chose qui dépassait l'entendement mais ils avaient tous deux probablement des objectifs bien différents. Est-ce qu’ils étaient un produit capable de s’assembler ou étaient-ils l’exact opposé ?

D’une façon ou d’une autre, il y a bien longtemps qu’ils avaient tous les deux vendu leurs âmes pour arriver à leurs fins. Mais Gregory avait la sensation que Henry venait de lui donner sans le savoir le peu qui lui restait. Le Diable attendait ainsi patiemment qu’il scelle ce pacte d’une poignée de main.

Aujourd’hui, Gregory avait lancé les dés et ils avaient roulé en sa faveur. La chance avait été favorable. De la chance ? Bien sûr que non. Abject et ridicule. La chance n’avait rien à faire ici. La chance, ça se créait, ça se saisissait, ça se provoquait. Il n’était pas question de hasard ici, certainement pas. Et Gregory excellait dans le domaine sacré de la provocation. S’agissait-il encore de savoir quand et où le faire, ce qui n’était évidemment pas un problème pour lui.

Aujourd’hui, il avait gagné. Il avait déjà les réponses nécessaires pour arriver à ses fins. Que le Dr Wu décide ou non de l’aider, qu’il décide de l’évincer de toutes ces histoires ou qu’il lui refile intégralement ce maudit projet, ça n’avait plus d’importance car ce dernier lui avait dit ce dont il avait besoin pour avancer. Quant à la suite, Gregory l’obtiendrait avec ou sans son consentement.

Mais où allaient donc les limites de l’irrespect chez Grégory ?
Plus il restait au contact de cet homme, plus son attitude détestable lui donnait envie de faire marche arrière et de faire appel à la sécurité. Et ce serait amplement mérité. N’y avait-il pas d’atteinte à la vie privée dans ce dernier geste de l’homme à la canne ? Il avait délibérément répondu à un appel qui ne lui était pas destiné. C’était une faute grave et un comportement inacceptable pour le professeur Wu qui se contenait désormais de hurler sur son compère. Mais Mills était à l’autre bout du fil et il connaissait son impatience et sa pugnacité. Il se retint d’intervenir, croisant les doigts pour que toute cette entrevue se passe pour le mieux. L’air hautain et supérieur de Morrison n’allait pas non plus pour le rassurer. Il ne manqua pas de se faire « remarquer » à sa façon, se présentant comme le nouvel interlocuteur par qui Eli devrait passer désormais. 

Il géra la conversation d’une main de maître, ne se laissant pas désarçonner par l’homme d’affaires, allant droit au but. Henry commençait à être nerveux, ce qui se traduisait par un rictus sur son visage. Un toc dont il avait du mal à se débarrasser. Qu’allait-il dire la prochaine fois qu’il l’aurait au téléphone ? Qu’allait-il penser de lui ? Allait-il lui reprocher de ne pas lui avoir parlé de Grégory, de ses projets ? Et s'il s’était mis dans le pétrin ? Et si Mills lui coupait les fonds pour ses recherches parallèles ? Non, au final, la conversation se passa bien et Morrison finit par raccrocher, satisfait de son succès culotté.

Il pianota quelques touches sur le portable de Wu, ce qui obligea l’homme d’origine asiatique de faire quelques pas en avant vers l’autre scientifique, lui indiquant que la plaisanterie avait assez duré. Mais celui-ci affichait un sourire narquois.

- « M. Mills vous passe le bonjour. Je me suis permis d’enregistrer également mon numéro de téléphone, j’espère que vous ne m’en voudrez pas. En-tout-cas, je suis ravi de notre petit compromis. Je suis sûr que nous allons faire de grandes choses ensemble. J’en suis certain. Est socia mortis homini vita ingloria. Peut-être pourrions-nous en discuter autour d’un café ?  Quand dîtes-vous ? », dit-il en lui tendant la main pour sceller leurs affaires.


Hors de question. Grégory était allé un peu trop loin en si peu de temps.

- « Draco dormiens numquam titillandus… N’oubliez jamais à qui vous avez affaire M. Morrison. Je ne suis pas homme aisé à avoir le temps pour un café, mais seulement à attendre des résultats. »

Il lui serra la main en retour. Une vraie poignée de main, solide, puissante, comme pour jauger la force de caractère et la solidité, la véracité de tous les échanges qui avaient eu lieu dans ce bureau. Le généticien en chef avait lancé un regard sombre et sérieux à son « adversaire ». La quête du génie scientifique a toujours été un facteur important de lutte de pouvoirs entre chercheurs de renom. Grégory faisait partie de ces personnes sur lesquelles il valait mieux garder un œil plutôt que de s’en faire un ennemi. Toutefois, Henry ne pouvait masquer ses sentiments à son égard. Il ne l’aimait pas et ce n’était pas près de changer. Cet homme était aux antipodes de ce qu’il appréciait chez un confrère, il espérait simplement que ce dernier ne commette pas d’erreurs compromettantes qui mettraient en danger sa place au Jurassic World et ses lubies personnelles sur son temps, en dehors du travail.
Wu n’invita pas Morrison à sortir du bureau cette fois-ci, il avait compris que ce dernier ne s’en irait que lorsqu’il en aurait terminé, comme un cafard dans un cellier. Après avoir échangé quelques banalités pour se dire au revoir, il lui lâcha une nouvelle phrase par énigme, qu’un homme intelligent comprendrait, comme une mise en garde supplémentaire :

- « Faites en sorte de ne jamais atteindre le neuvième cercle M. Morrison, ce parc regorge de « Lucifer » qui ne manquerait pas à s’occuper de votre châtiment. Et oui, avant que vous ne posiez la question, c’est bien une menace. Mais vous êtes homme intelligent, vous savez que je ne vous ferai pas confiance. Pas pour l’instant du moins… Vous comprendrez donc que pour un temps, la surveillance autour de vous sera certainement plus importante. Mais n’ayez crainte pour MES projets. Ils sauront se montrer discrets... »

Henry n’aimait pas s’avouer vaincu, il refusait que l’autre ne parte avec un sourire victorieux. C’était lui le chef ici, c’était son laboratoire. Il bossait pour lui, pas l’inverse. Il fallait le remettre à sa place et le lui faire comprendre une bonne fois pour toutes. Une fois ce dernier enfin parti, Wu s’empressa d’appeler un autre de ses alliés pour pouvoir mettre à profit sa filature. Pas question de laisser un moment de répit à Grégory compte tenu de son attitude et de ses ambitions.
Après avoir tapé le numéro et attendu que la tonalité ne cesse, il tomba enfin sur la personne sur qui il souhaitait tomber :

- « M. Hoskins ? C’est Henry à l’appareil. J’ai besoin qu’un de vos hommes suit une personne en particulier. Je vais vous envoyer les détails. Tout cela doit rester discret au maximum évidemment... »
[…]

Le Dr Wu entretenait une relation particulière avec l’un des responsables de la sécurité de Masrani Corp. une entente, rendu possible grâce à Eli Mills qui détournait une partie de la propriété intellectuelle de Jurassic World et qui avait besoin d’aide de personnes compétentes sur le terrain. Des personnes haut placées avec des couvertures mutuelles pour se protéger. Un plan subtil qui lui permettait d’avoir un profit réciproque d'un point de vue triangulaire.

- « C’est une priorité importante. Je ne peux pas entrer dans les détails par téléphone, retrouvons nous à l ‘endroit habituel. »
[…]

Il ne voulait pas que l’on puisse retracer ses conversations téléphoniques et voulait à tout prix éviter que l’on entende ce qu’il avait à dire, en particulier s'il était sur écoute. Le simple fait que Grégory soit déjà au courant pour la Tétracyclomisyne était un danger pour ses opérations dans son laboratoire.

- « C’est une question de propriété intellectuelle. »
[…]

Il savait qu’en utilisant ses mots, il attirerait l’attention de son interlocuteur sur la priorité de la mission. Il y avait un risque pour leurs travaux secrets. Ils devaient s’assurer qu’ils seraient couverts et que leur nouveau potentiel « allié », ne faisait pas du zèle. Mais Wu savait que tout se payait avec Hoskins. Il voudrait certainement tirer profit de la situation, mais il n’avait pas le temps de trop négocier avec lui. C’est quelque chose qu’ils élaboreraient ensemble. Plus tard.

- « Non, non, je vous l’ai déjà dit, l’ADN de vous savez qui n’est pas un élément de négociation ! Vous avez déjà fort à faire sur le programme des raptors avec Mr Grady, ne gâchez pas cette opportunité ! Je vous rappelle que vous êtes engagé au même titre que moi, je ne pense pas qu’il apprécie le ton et les conditions que vous imposez ! »
[…]

Il s’était emporté et en avait trop dit. Il s’en voulait presque immédiatement, mais on lui avait forcé la main, on était entré dans son espace vital, Morrison l’avait exaspéré et il avait brisé certaine de ses certitudes. Il voulait du calme, du respect. Il voulait retourner à son travail, quitte à se noyer dedans.

- « Faites le suivre. J’appuierais votre plan de dressage à des fins militaires plus tard. »
[…]

C’était ce qu’il y avait de mieux à faire pour que l’autre homme abdique. Henry ne cautionnait pas l’idée que des raptors soit dressés pour le combat, mais nous vivions dans un monde ou l’évolution génétique n’était pas la priorité. La course à l’armement, typiquement américain, était un domaine très lucratif. Cependant, le professeur refusait que les créatures qu’il avait conçues avec John Hammond puis avec Masrani, servent de fer de lancement à une nouvelle ère. Le contrôle des espèces dans le monde restait un élément clé et indiscutable pour la sécurité mondiale.

- « Oui. Très bien oui. Parfait. Faisons comme ça. Au revoir M. Hoskins. »

Musique du RP:

Et maintenant ? Allait-il pouvoir retourner au travail sans trop se soucier du reste ? Savoir que Grégory serait mis sur surveillance ne le rassurait qu’à demi-mots. Il devait trouver qui était cet homme, chercher un point faible, de quoi le faire chanter en cas de nécessité. Le département informatique pourrait l’aider, mais il n’avait guère confiance en ces types. La mauvaise expérience qu’il avait eue avec Denis Nedry des années auparavant ne l’enchantaient pas du tout, surtout lorsqu’il savait qu’un membre de sa famille avait repris les rennes. Coïncidence. Non, certainement pas. C’est pourquoi il ne pouvait pas passer par leur service. Il devait faire confiance à d’autres geeks, qui n’auraient pas peur d’explorer le dark web, qui connaîtrait les moyens de rendre une potentielle menace inactive. C’était ça aussi, l’avantage de jouir du pouvoir.

Henry referma la porte de son bureau et vérifia une fois de plus que les stores empêcheraient quiconque de venir le déranger. Il ferma ensuite son bureau à clé et s’empara de la bouteille de Thé Matcha, vide, dans laquelle il dissimulait un trousseau secret. Cette boisson avait toujours favorisé chez lui des vertus essentielles en lesquelles il croyait fermement : tranquillité d’esprit et vigilance. Diminution de la fatigue mentale, meilleure réflexion. Un breuvage parfait pour tout scientifique devant passer une journée de réflexion intensive. Il ouvrit un compartiment secret de son bureau dans lequel il vérifia la présence de différents éléments clé parmi lesquels on pouvait trouver de l’ambre fossile, trois étranges fioles d’un produit aux couleurs azur, un ordinateur portable, un disque dur, un morceau de météorite et une vieille capsule de pellicule pour le développement des photographies…

C’est de ce dernier objet dont il se saisit. Diminution de la fatigue mentale, meilleure réflexion. John Hammond et les autres fondateurs y étaient présents, ainsi que lui, à peine sorti de ses études, dans les laboratoires du Manoir Lockwood, en présence de Nessie, dans les bras de Patrick Denver, leur tout premier « dinosaure » viable. Ils étaient assis façon photo de classe, Mary et Jonathan avec un bébé dans les bras, Thomas, Lilas et Benjamin se trouvaient derrière en compagnie de Charlotte Lockwood. Devant, on retrouvait Wu, John et Anton McGready, bien alignés devant l’une des tables de travail sur laquelle on pouvait voir, sous cloche, une magnifique fleur bleue aux reflets étincelant, presque phosphorescente en pleine journée. Une tulipe rare qu’il n’avait pu observer que ce jour là. Une fleur, qu’il avait cru au départ être une création de l’équipe de recherches, mais qui selon lui, n’avait rien de tout ça. Plus le temps avait passé, plus il avait tenté de retrouver les traces de cette plante, si mystérieuse, objet de nombreuses convoitises. Le lien ? Évidemment qu’il l’avait fait. Mais Wu avait de l’avance que sur un certain point. Il ignorait si elle existait encore et comme tous ceux qui étaient au courant de son existence étaient mort… Il avait pris une autre option : celle de recréer cette tulipe après des années de recherches, par hybridation végétales, il avait synthétisé et crée la « fleur de Wu », Karacosis wutansis.


Après de nombreuses années de recherches et la publication de son livre, Henry restait persuadé qu’il y avait un moyen de recréer la tulipe présente sur la photographie, mais il lui manquait plusieurs éléments importants essentiels. Les Lockwood étaient bien plus avancés que lui à l’époque et ils avaient mené des projets avec les Moore qui dépassaient l’éthique et la conscience humaine. Ils avaient réussi à créer quelque chose d’unique, un « miracle de la vie ». Mais Henry n’avait jamais atteint ce stade. Il avait réussi des prouesses sur les plantes. Il avait réussi même à créer un raptor tout à fait particulier et maintenant, il faisait des avancées significatives dans l’hybridation des espèces animales. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’il ne trouve, qu’il ne comprenne le fonctionnement de la Tétracyclomisyne. Charlotte Lockwood aurait pu l’aider, mais elle n’était plus. Il devait garder pourtant le secret sur ses travaux et ses ambitions personnelles, car il savait désormais qu’il n’était plus le seul à faire ces recherches.

Il connaissait Handréas, il savait très bien pourquoi il avait attaqué le Jurassic Park, quelques années plus tôt. Pourquoi il avait tenté une prise de pouvoir ici. Pourquoi il avait fait surveillé le laboratoire par Wellan Wörst et pourquoi ils avaient fouiné autant sur l’île des brumes. Ils cherchaient eux aussi ce que l’on appelle « Projet T » dans le jargon. Mais eux, étaient persuadés que John Hammond avait caché la fleur quelque part sur l’île. Henry, lui, ne voyait pas cela du même œil. Si c’était bien de cette tulipe que provenait le pouvoir scientifique qu’il avait eu dans ses mains ces dernières années, alors il y avait très peu de chances qu’il en existe encore aujourd’hui. Il connaissait la biodiversité de l’île comme sa poche. Aucune « Tulipa Tempus » ne répondait à l’appel. Soit Hammond l’avait caché hors de terre, soit il l’avait repiquée ailleurs. Elle n’était pas sur Isla Nublar, il en était convaincu. 

Les Lockwood et les Moore avaient prouvé que la fleur ne survivait pas en dehors de son milieu naturel, qui réunissait des conditions d’existence bien particulières, uniques même. Et il n’y en avait nulle part ailleurs qu’ici. En revanche, Charlotte avait réussi à utiliser ses découvertes de manière significative, sans disposer de la source principale. Malheureusement, ses recherches ont disparu en même temps qu’elle. Wu savait que si cette brillante scientifique avait réussi l’impossible, il le pouvait également. Par la science, il arriverait à recréer la fleur aux incroyables propriétés. Mais pour cela, il manquait le savoir d’une défunte et un élément clé, dangereux et radioactif. Sans être pessimiste, il avait aussi besoin de plusieurs millions d’années pour forcer l’évolution à faire son travail. Il lui fallait trouver un moyen de réussir à réaliser cette prouesse. Pour cela, il devait continuer à travailler. E750, Indominus Rex, Stégocératops, Spinoraptor, Malusaurus… Toutes ces hybridations lui apprendraient sûrement à mieux comprendre le fonctionnement de l’ADN. Et il n’y a qu’ici, sur l’île des brumes, qu’il pourrait voir son projet se réaliser.

Si il n’avait pas tout révélé aux personnes avec qui il travaillait, à Mills ou à Morrison, c’était parce qu’il était le seul à connaître la véritable nature et l’importance de cette plante. La protéger était en quelque sorte, un moyen d’éviter que son génie scientifique ne soit copié, ou transformé sous d’autres formes, mal intentionné. C’était de l’égoïsme pur, mais il voulait rester maître à bord. Il voulait contenir ce savoir, le garder pour lui, aussi précieux soit il. Il reposa la photo dans la pellicule et rangea précieusement l’artefact dans le compartiment secret avant que son regard ne s’arrête sur l’un des autres objets présent dans ce dernier…

- « Sub pedibus nostris maximus thesaurus est absconditus. Mater Natura, quid fecimus ?»

Que fait un animal acculé et poussé dans ses retranchements ?

Il a peur.

Alors il grogne. Il charge. Il attaque. Il hérisse les poils. Il souffle. Il  tente de vous mordre. Il se défend comme il le peut.

Certaines créatures ont trouvé des solutions alambiquées, complexes et parfois étranges pour échapper ou faire fuir un prédateur. Le toucher, le goût, l’ouïe, l’odorat et la vue. Une peau épineuse, une sécrétion toxique, un bourdonnement strident, une odeur pestilentielle ou bien une couleur terrifiante. Ce ne sont que des exemples basiques, les cinq sens sont utilisés d’une manière ou d’une autre pour désarçonner l’intrus. Sans oublier le mimétisme, qu’il soit visuel, chimique, acoustique, tactile ou comportemental.

De son regard sérieux et noir, Henry Wu lui avait serré la main à contre coeur, une poignée de main solide et ferme. Il l’avait toisé de haut en bas avant de prendre la parole.

« Faites en sorte de ne jamais atteindre le neuvième cercle M. Morrison, ce parc regorge de “Lucifer” qui ne manquerait pas à s’occuper de votre châtiment. »

La trahison. C’était donc ça la crainte du Dr Wu. Pour le scientifique, il n’y avait donc pas l’ombre d’un doute. Il se trouvait tous les deux sur le chemin de Dante.

Mais est-ce que cette fouine se prenait réellement pour son maître ?

« Et oui, avant que vous ne posiez la question, c’est bien une menace. »

À n’en pas douter, pourquoi aurait-il posé cette question inutile quand la réponse semblait aussi évidente.

Mais alors, dans quelle catégorie la menace entrait-elle ?

Ce n’était au final qu’un grognement comme les autres. Il sonnait en revanche presque comme une douce mélodie aux oreilles du vieux scientifique. L’entendre geindre,  sentir son énervement, voir son supérieur se débattre et le menacer ainsi ne faisait qu’augmenter son excitation.

« Mais vous êtes un homme intelligent, vous savez que je ne vous ferai pas confiance. Pas pour l’instant du moins… »

Il n’en attendait pas moins, encore une fois.

« Vous comprendrez donc que pour un temps, la surveillance autour de vous sera certainement plus importante. Mais n’ayez crainte pour MES projets. Ils sauront se montrer discrets... »

Gregory souriait à nouveau en coin et sortait finalement du bureau sans demander son reste. Inutile de perdre davantage son temps avec des politesses, ils en étaient plus là. Ils avaient largement dépassé ce stade.

Combien de Lucifer faudrait-il pour le surveiller lui ?

Un seul était déjà largement suffisant et Gregory avait hâte. Il savait déjà qu’une place toute faite devait certainement l’attendre. En bas, sans doute qu’il se frottait les mains en attendant patiemment son arrivée puisque aucune zone ne lui conviendrait. Enfin Lucifer ne serait plus seul. Enfin, il aurait un vrai compagnon et ensemble ils suivraient les traces de Dante dans les méandres des cercles de l’enfer. Ensemble, ils discuteraient avec Cicéron dans les Limbes, rouleraient un patin à Cléopâtre la luxurieuse, dévoreraient les gloutons qui tenteraient en vain de s’enfuir, regarderaient les avares et les prodigues se disputer éternellement, tremperaient leurs pieds dans le Styx, feraient la fête toute la nuit en compagnie des démons et des Érinyes, plongeraient dans le Phlégéthon, demanderaient conseils à Ulysse et termineraient finalement cette incroyable journée à faire du patin à glace sur le Cocyte. Quel rêve fantastique.

Méfaits accomplis, il se pavanait désormais dans le couloir, sa canne frappait frénétiquement le sol de sa marche cadencée. Il passait sa main derrière son dos et récupérait sous sa veste un talky walky qu’il montait devant ses lèvres.

« Buzz l'éclair à Star Command, est-ce que vous me recevez ? La fouine est mouchée, je répète la fouine est mouchée. Terminé. »

Après un léger silence, l’appareil lui répondait finalement après son bip singulier.

« Star Command à Buzz l’éclair. Bien reçu ! »




Ceci étant fait, il ne lui restait plus que la sécurité à approcher et, sans le savoir, Dr Wu allait certainement lui faciliter le travail. C’était tout simplement parfait car il pouvait le faire suivre autant qu’il voulait mais à la fin de la journée, tout se négociait, tout s'achetait, tout le monde a un prix et tout le monde ment. Tout le monde avait un point faible et Gregory saurait les trouver. Il finissait toujours par les trouver. Tout se goupillait pour le mieux et rien ne semblait pouvoir stopper ses plans.

Quoi qu’il advienne, à la fin de la journée, son objectif restait et resterait toujours le même.

Il mettrait la main sur cette molécule et soignerait Stacy de sa maladie. Il récupérerait l’usage de sa jambe. Mais cela ne s’arrêtait pas à ça.

Gregory avait été sincère avec son supérieur, ses motivations étaient très claires. Il éradiquerait les maladies incurables dans le monde et prolongerait l’espérance de vie de l’espèce humaine sans regard sur la race, l’origine ou le portefeuille. Il mettrait fin aux malformations et aux handicaps. Les ambitions du vieux scientifique étaient grandes, bien plus que les simples créatures ou les fleurs égocentrées que pouvaient concocter le Dr Wu dans son laboratoire.

Non, ça allait bien plus loin que tout ça.

Gregory allait construire une utopie dans laquelle l’Homme serait… presque parfait. Bien sûr, cela changerait considérablement les modes de vie, l’économie et les systèmes déjà mis en place dans le monde entier. Il y aurait forcément un temps d’adaptation plus ou moins long. Aucun risque pour la surpopulation, n’ayez crainte, car la sélection naturelle ferait malgré tout son travail et ça c’était la beauté de la chose. Rien ne pourrait soigner la stupidité des gens. Il y aura toujours des accidents, il y aura toujours de la violence, des bagarres, des viols et des agressions. Rien ne changera la nature même des Hommes. Mais l’Homme ne tomberait plus malade, plus personne n’aurait à subir les désastres et les injustices de la maladie.

Il aurait cette molécule, quoi qu’il en coûte.

Et il ferait le nécessaire.

Il ferait ce que personne d’autres ne serait capable de faire car lui seul pourrait endosser les décisions qu’il faudrait prendre. Il n’était pas dupe, il savait très bien que l’Homme était tout simplement trop bête pour avoir ce genre de pouvoir entre les mains. Non. Le seul moyen pour que cela fonctionne réellement était que lui seul le possède.

Il quitterait InGen et retournerait travailler dans son domaine de prédilection, ce pourquoi il avait fait ses études. Il récupérerait son équipe et agirait dans l’ombre. Il pourrait tester la molécule sur les patients les plus gravement atteints et façonner la molécule jusqu’à obtenir le remède ultime.

Rien ne pourrait l’arrêter.